La politique de la calculette touche la psychiatrie

La politique de la calculette touche la psychiatrie



Le gouvernement neuchâtelois
(majorité rose-verte) concrétise à grands pas le
slogan des radicaux des années 90: moins d’Etat.
Commencée de façon brutale en décembre 2005, la
réduction des prestations de l’Etat continue secteur par
secteur: formation, écoles, université, santé,
soutien social, tous font la pleine expérience des
dégradations des conditions de travail et d’encadrement.
C’est dans ce contexte que le Département de la
santé met en consultation un projet de loi sur la
création d’un établissement psychiatrique multisite
cantonal.

Un nom qui rappelle la création de l’EHM,
(établissement hospitalier multisite) qui a conduit à
faire des hôpitaux neuchâtelois une entité
indépendante de l’Etat, dirigée par un conseil
d’administration fixant lui-même ses
rémunérations. solidaritéS avait combattu cette
privatisation déguisée et soutenu le
référendum du Syndicat des services publics. Nous avons
perdu en votations. Les véritables perdant-es? Le personnel,
bien sûr, mais aussi les malades qui ressentent bien les effets
d’une politique de la santé, conduite selon une logique
essentiellement financière. Aujourd’hui, deux idées
forces gouvernent le projet du conseil d’Etat au niveau des soins
psychiatriques: la réduction des soins hospitaliers (donc du
nombre de lits), accompagnée d’un transfert vers les soins
ambulatoires et l’organisation de la psychiatrie en
filières relativement autonomes.

La santé mentale n’est pas une marchandise

solidaritéS rejette le projet de loi pour la création
d’un établissement psychiatrique cantonal de droit public
soumis à consultation. Il n’y a selon nous aucun bienfait
à attendre de la structure compliquée – et à
coup sûr coûteuse en cadres et en
«stratèges» – que nous propose le CE dans son
projet de loi, et ceci pour deux raisons essentielles:

  1. Les hôpitaux ne doivent pas devenir des entreprises
    commerciales qui répondent d’abord à des exigences
    de rentabilité. La santé n’est pas une marchandise,
    c’est une demande de bien-être auquel l’Etat doit
    répondre. C’est pourquoi, la santé, comme la
    formation, doivent rester des services publics, organisés et
    gérés par un service cantonal travaillant sous la
    responsabilité directe du Conseil d’Etat et sous la
    surveillance du Grand Conseil.
  2. L’accès aux soins doit rester à la
    portée de chacun-e et répondre aux besoins de toute la
    population. Avec une réorganisation du secteur psychiatrique,
    correspondant de fait à une forme de privatisation,
    l’objectif fondamental d’une politique de la santé
    au service de toutes et tous risque, à court ou à moyen
    terme, d’être sérieusement mis à mal.

La souffrance psychique a des causes multiples

La psychiatrie s’occupe des personnes qui vivent mal et qui
souffrent souvent d’une désagrégation psychosociale
dont les causes sont multiples, mais rarement strictement personnelles.
Une des raisons de l’explosion des cas relevant de la psychiatrie
se trouve, à notre avis, au coeur même du système
capitaliste et des logiques néolibérales. Notre
société produit en effet non seulement beaucoup
d’inégalités et d’injustices, mais
d’énormes souffrances. L’un des rôles
d’un Etat qui se veut républicain ne serait-il pas de
combattre, tant que faire se peut, les inégalités et les
souffrances qui en résultent? Mais prisonnier d’une
logique financière, le Conseil d’Etat décide de
réductions d’aide sociale qui auront inévitablement
des conséquences sur la santé.

Charger les familles et les femmes

Les médecins généralistes (ou «de
famille» comme on dit) ont-ils été
étroitement associés à cette démarche? Y
sont-ils favorables? Quels sont leurs arguments? Sur ces points le
rapport reste vague et la loi muette. Voilà qui nous
inquiète.

A court terme, il peut sembler évident que des économies
pourraient résulter du fait que les familles – et plus
particulièrement les femmes – assumeront de plus en plus
à domicile et gratuitement un encadrement et des soins
actuellement garantis dans les hôpitaux psychiatriques. Mais
à plus long terme, la diminution des coûts qu’on
pourrait attendre de ce transfert vers l’ambulatoire n’est
pas démontrée. Une seule chose paraît certaine, le
maintien à domicile de malades aujourd’hui pris en charge
dans des unités psychiatriques, chargeront les familles.

Des filières cloisonnées

Huit filières sont prévues: gériatrie, enfance et
adolescence, addictions, troubles sévères,
développement mental, adultes spécialisé, adultes
général, médico-légal.

Est-on certain que ces filières faciliteront
l’organisation des soins et assureront une meilleure prise en
charge des patient-es? Une catégorisation
systématisée n’ira sans doute pas sans
problème. Comment se feront ces classements? Est-on
assuré que la communication s’en trouvera
améliorée et que les soins y gagneront en qualité?
Que gagneront à cette organisation les patient-e-s, les
médecins et plus généralement le personnel
soignant? Qui décidera de l’affectation de tel-le
patient-e dans telle ou telle filière? Quels coûts
supplémentaires seront liés à cette
répartition des patient-e-s?

L’organisation en filières cloisonnées risque de se
faire au détriment de critères dont on a tendance
à oublier l’importance, tel l’environnement familial
et social des malades (difficultés accrues pour rendre visite
à un membre de la famille ou à un-e ami-e malade,
hospitalisé loin de son domicile).

A-t-on vraiment mesuré l’impact thérapeutique,
financier et social de ces choix? A-t-on suffisamment pris en compte
les problèmes qu’impliquera l’éclatement des
sites de soins, l’éclatement des pratiques actuelles, et
donc des équipes et de leur savoir-faire? Quel sera le
coût social en termes de licenciements et de réductions
d’emploi?

Voilà quelques-unes des critiques et des questions que nous
avons adressées au Conseil d’Etat dans le cadre de la
consultation qu’il a organisée sur ce projet de loi avant
de le soumettre au Grand Conseil. Affaire à suivre.

Marianne EBEL