La population libanaise reste unie

La population libanaise reste unie



Nous reproduisons ici un entretien
avec Nicolas Qualander, membre de la LCR, qui a participé
à une première délégation internationale au
Liban, du 28 juillet au 3 août, organisée pour soutenir la
résistance libanaise, et dont faisaient partie quinze
Français, vingt Grecs, un Autrichien et un Sud-Africain.

Quelles forces a rencontré la délégation internationale à laquelle tu as participé?

Nous avons rencontré toutes les organisations de
résistance: le Hezbollah, bien sûr, puisque c’est
lui qui a le leadership en la matière, le Parti communiste
libanais (PCL), et d’autres forces plus petites comme le Parti du
peuple de Najih Wakim (sunnite indépendant, gauche), la
Troisième force, de l’ex-Premier ministre Selim Hoss, et
le Front démocratique de libération de la Palestine.
Toutes ces forces constituent le front de la résistance
libanaise et ont une coordination régulière. Nous avons
également rencontré le courant du général
Aoun, qui n’appartient pas à ce regroupement mais qui,
ayant passé un accord avec le Hezbollah, a assisté aux
réunions que nous tenions.

Quels étaient vos objectifs?

On voulait d’abord entendre les forces de la résistance
libanaise. On cherchait à créer, sur le long terme, des
contacts permanents, pour pouvoir mettre la résistance libanaise
en relation avec le mouvement social et altermondialiste, à
l’image de ce que nous avons fait en Palestine. L’un de nos
buts était d’organiser de futures missions internationales
de témoignage qui puissent rendre compte des conséquences
des bombardements israéliens.

Le front de la résistance libanaise regroupe des partis aux
projets de société bien différents. Comment cette
association est-elle possible?

Les principales forces de ce regroupement, le Hezbollah et le Parti
communiste libanais, sont d’accord sur la question nationale:
l’occupation israélienne des territoires libanais et la
libération des prisonniers libanais détenus en
Israël. Il y a quelques années, le Hezbollah a fait
libérer beaucoup de prisonniers membres du Parti communiste
libanais, et il continue de revendiquer la libération de
militants communistes. Ensuite, ils ont des points communs concernant
certaines questions sociales. Le Hezbollah et le PCL ont ainsi
organisé la manifestation en défense des services publics
libanais, le 10 mai dernier. Donc, même si le projet de
société à long terme n’est pas le
même, il y a des points d’accord tactiques.

L’armée israélienne a pilonné certaines
parties du Liban, engendrant des dégâts humains et
matériels colossaux. Qu’as-tu pu observer?

La délégation est restée à Beyrouth. De
nombreux quartiers de la capitale ont été
bombardés, dont celui d’Haret Hreik que nous avons
visité. Là, tous les habitants avaient été
évacués et un immeuble sur deux avait été
bombardé. Les écoles de Beyrouth ont dû être
rouvertes pour accueillir près de 30 000 personnes, ce qui va
engendrer de nombreux problèmes à la rentrée
scolaire. De nombreuses tentes prenaient place dans les quartiers
bourgeois, non visés par les bombardements. Sinon, tout le pays
était touché par la guerre: l’essence manquait,
l’alimentation en eau était défectueuse, les
camions étaient bombardés… Dans le sud du Liban,
certains villages ont été rayés de la carte. Les
bombardements israéliens sont à l’origine
d’un flot d’un million de réfugiés (sur
quatre millions d’habitants): la plupart ont rejoint leur famille
dans d’autres quartiers, 250 000 sont partis en Syrie, et le
reste dans les écoles.

Quel est le sentiment de la population?

J’ai senti une très forte volonté de
résistance, toutes confessions confondues. Par exemple, lors
d’une manifestation faisant suite au massacre de Canaa – 50
morts lors d’un bombardement –, on voyait des jeunes filles
chrétiennes non voilées tenant le drapeau du Hezbollah…
Un des buts des Israéliens et des Américains était
de diviser les Libanais et de jouer sur les clivages confessionnels.
Mais ils ont échoué: la population reste unie.

Propos recueillis par Thomas MITCH

Tariq Ali et le Hezbollah

Quelques extraits d’un
entretien accordé le 9 août dernier par
l’écrivain altermondialiste anglo-pakistanais Tariq Ali
à la revue états-unienne Mother Jones.* Il y revient
notamment sur la guerre au Liban et sur le rôle du Hezbollah.

Dans quelle mesure pensez-vous que la dernière guerre du
Liban et les apparents succès militaires du Hezbollah ont
changé l’équation politique au Moyen-Orient?

Le monde a été ébranlé, mais pas assez pour
qu’il comprenne les véritables racines de tout cela. Et
c’est pourquoi nous avons connu cette situation grotesque,
où Israël, les Etats-Unis et la France ont collaboré
pour essayer d’imposer une résolution tellement
pro-israélienne, que même les plus timides des leaders
arabes ne pouvaient l’accepter.

Mais le Hezbollah a changé la donne, il n’y a aucun doute
là-dessus. Maintenant, même le Premier ministre libanais,
qui n’est pas connu pour être un politicien
particulièrement fort, a dû dire à Condoleezza Rice
qu’elle ne pouvait pas songer à visiter le pays. Du jamais
vu! Et l’autre aspect de cela, bien sûr, c’est
qu’il y a eu des manifestations – petites mais importantes
– contre la guerre, à Tel Aviv, Haïfa et
Jérusalem, et je pense qu’elles vont se renforcer, lorsque
les gens vont réaliser que cette guerre absurde et criminelle,
lancée par le régime israélien contre le Liban,
à fait croître leur insécurité. (…)

Comment pouvez-vous soutenir les actions du Hezbollah – ou
celles du Hamas – en dépit de l’adhésion de
ces groupes à une idéologie fondamentaliste que vous ne
vous cachez pas de ne pas aimer?

Je ne suis pas d’accord avec leurs idées religieuses, bien
sûr. Je ne suis pas un croyant. Ce n’est évidemment
pas un secret: je l’ai déclaré publiquement.
Cependant, lorsqu’un pays est attaqué et envahi et que le
peuple résiste, il est important de prendre la parole et
d’affirmer qu’il a le droit de résister et de
défendre son droit à résister. Toute
l’histoire du 20e siècle est l’histoire de groupes
de résistance nationalistes et, dans de grandes parties du monde
musulman, de groupes religieux, par exemple au Soudan et en Libye.
Là-bas, les groupes qui ont résisté à
l’invasion italienne étaient de ceux qu’on ne
pouvait que difficilement soutenir politiquement, mais ils ont
été soutenus contre cette attaque. Lorsque Mussolini a
envahi l’Abyssinie et l’Albanie au nom de la civilisation
européenne et qu’il déclarait qu’il allait
balayer ces despotismes féodaux attardés, il s’est
trouvé de nombreuses personnes en Occident pour défendre
les Ethiopiens et les Albanais contre l’invasion italienne et
dire qu’ils avaient le droit de résister. C’est donc
sur le principe que lorsque les gens, quels qu’ils soient, que
vous les aimiez ou non, décident de résister, vous devez
défendre leur droit à le faire.

*Notre traduction d’après «Toward a New Radical Politics» (version complète en anglais: www.motherjones.com/interview/2006/08/tariq_ali.html).