Sortir du nucléaire via la LME : Illusions dangereuses...

Sortir du nucléaire via la LME : Illusions dangereuses…


La libéralisation du marché électrique conduit à des monopoles privés qui n’en ont rien à faire des exigences écologiques. C’est pourquoi il faut un débat de fond sur la loi sur le marché de l’électricité (LME).


par Niklaus Scherr


Jusqu’ici, ni en ce qui concerne la libéralisation des chemins de fer, ni pour ce qui est de la poste ou des télécoms n’en est-on arrivé à une bataille référendaire. Ainsi le bradage du service public n’a pas conduit à un large débat politique à l’échelle fédérale. Après tant d’occasions qui nous ont passé sous le nez, la libéralisation imminente du marché électrique devrait conduire à un débat de fond sur les raisons …et la déraison, de la stratégie de dérégulation néolibérale dont la Communauté européenne se fait promotrice. Nous devons tirer au clair où nous voulons du marché et combien nous voulons en voir.


Ceci ne vaut pas seulement pour l’approvisionnement en courant électrique ou en eau, mais s’applique aussi au traitement des eaux usées et dans les domaines de la santé ou de l’enseignement. Un débat de fond en matière de libéralisation ne saurait être seulement un débat autour de la question de savoir si le menu que nous propose l’UE peut être un tant soi peu repeint en rose ou en vert? Pour pouvoir mener un tel débat la gauche suisse aurait intérêt à lire les directives européennes pertinentes et à mesurer plus précisément la marge de manoeuvre de négociations possibles dans les domaines écologiques et sociaux.


La puissance des monopoles privés


Nombre de Verts ou de gens de gauche en Suisse allemande espèrent que la libéralisation conduira à une sortie rapide du nucléaire et leur apportera – à titre personnel – la possibilité de satisfaire leur conscience écologique par l’achat individuel de courant propre issu d’éoliennes ou de panneaux solaires. Le social démocrate et opposant au nucléaire Rudolf Rechsteiner pousse ce credo au paroxysme en affirmant que: «Le libre choix en matière de fourniture de courant est un droit de l’Homme». Et sa collègue de parti Simonetta Sommaruga tonne contre les maléfiques «barons de l’électricité» des griffes desquels il s’agirait enfin de tirer les cons-ommateurs/trices que nous sommes. Comme si nous vivions en Suisse depuis des décennies dans un goulag atomique, alors qu’il faut quand même se rappeler que le 60% de notre approvisionnement électrique est d’origine hydraulique, domaine dans lequel la Suisse est à la pointe en Europe.)


Il y a des choses à tirer au clair: la centrale nucléaire de Kaiseraugst n’a pas été empêchée par plus de marché …mais au contraire à travers des mobilisations citoyennes de protestation, des manifs, des «blocades» et des occupations du site, en résumé par des moyens politiques. La même chose vaut pour l’Allemagne, là-bas aussi des centrales nucléaires comme celle de Wyhl par exemple ont été évitées grâce à une résistance large et pas pour des motifs économiques.


Comme conséquence de la libéralisation – déjà officiellement en cours – ce sont six à huit mégamonopoles privés qui se construisent (comme EDF, l’allemand RWE, EON, etc.) qui concentreront toutes les participations atomiques. Il serait naïf de croire qu’un groupe de consommateurs, écologiquement sensibilisés, pourrait s’imposer par son comportement de marché face à cette croissance de la puissance de monopoles privés. Le combat contre les centrales nucléaires est – et restera – un combat politique et ne sera pas décidé par le marché.


Jusqu’à la votation sur l’énergie de l’automne dernier une certaine gauche-écolo «vendait» la LME comme un paquet ficelé, associé à la redevance incitative en tant que mesure d’accompagnement écologique. Les mêmes milieux menaçaient la LME de référendum si cette taxe ne passait pas le cap des urnes. Tel a été le cas, mais tout à coup, il n’est plus question dans ces milieux de référendum. On se dépense par contre en louanges pour deux clauses hypothétiques et non contraignantes dans cette LME. En vertu de celles-ci la Confédération aurait le droit pendant 10 ans d’effectuer des prêts à intérêt préférentiel à des centrales hydroélectriques dans le besoin. Il est politiquement malhon-nête de mettre en avant ces prêts possibles comme garanties écologiques. En particulier quand on voit comment des pays de l’UE comme la France ou l’Allemagne subventionnent leur producteurs d’électricité issue du nucléaire ou du charbon, afin d’accroître leur puissance sur le marché.


Des exemples instructifs en matière de conséquences de libéralisations, la Californie nous en livre ces temps, après avoir dérégulé son marché de l’électricité en 1996. Des coupures de courant menacent aujourd’hui la Californie pour cause d’approvisionnement défaillant.


Entre-temps on connaît là-bas des prix sur le marché «spot» qui dépassent les 2 Fr. par kWh. Les consommateurs/trices peuvent «s’attendre en moyenne à un doublement de leurs factures» écrit la NZZ qui commente: «Avant même que la libéralisation ne soit mise en oeuvre dans l’ensemble du pays, celle-ci peut d’ores et déjà être considérée comme un échec». (NZZ 17.8.00)


Les buts du référendum


Nous avons besoin d’un référendum contre la LME. En plus d’un débat sur le fond en ce qui concerne les motifs et les contradictions de la politique de dérégulation impulsée par l’UE, nous voulons, par le biais de ce combat référendaire:



  • empêcher que notre réseau, en particulier le réseau à très haute tension, qui est un monopole naturel, ne tombe en mains privées comme le prévoit la LME;
  • défendre réellement nos centrales hydrauliques indigènes;
  • réduire la pression à la privatisation des régies électriques communales et cantonales.






Niggi Scherr est conseiller municipal de l’Alternative Liste à Zurich.


C’est l’un des protagonistes du comité qui a mené la bataille référendaire, victorieuse aux urnes en juin dernier, contre la privatisation de la régie électrique de la Ville de Zürich (EWZ), combat sur laequel nous aurons l’ocasion de revenir. Nos lecteurs/trices peuvent consulter à ce propos le site internet de campagne: www.unserewz.ch qui est en passe d’être réactualisé avec du matériel sur la LME


Scherr est – comme nous – engagé à fond dans la bataille référendaire contre la LME et assure en grande partie la coordination de ce combat en Suisse allemande.


L’article ci-dessus – traduit par nos soins – a été publié dans la WochenZeitung du 11 janvier, sous le titre original d’«Anti-AKW Illusionen». Il s’inscrit dans le cadre d’un débat contradictoire avec le conseiller national du PSS Rudolf Rechsteiner qui, à l’inverse d’ antinucléaires comme ContrAtom, accueille la libéralisation électrique à bras ouverts comme devant nous délivrer des centrales atomiques et de leurs dangers.


Pour que les militant-e-s antinucléaires et opposants au néolibéralisme romands, qui critiquent depuis des années les dangers de cette LME en préparation, puissent prendre la mesure de certaines positions pour le moins surprenantes qui fleurissent dans notre pays, nous publions également, en page suivante, l’article de Rudolf Rechsteiner lui-même, paru dans le même numéro de la Wochen- Zeitung.