Les étudiants grecs se soulèvent

Les étudiants grecs se soulèvent

Durant ces dernières semaines, les universités grecques ont été secouées par la plus grande vague de mobilisation étudiante de leur histoire récente. Des centaines de départements ont été occupés, suite à des assemblées générales qui ont réuni une assistance record. En même temps, la plupart des syndicats d’enseignants universitaires ont appelé à une grève de durée indéterminée. Des manifestations massives ont été organisées, auxquelles le gouvernement a répondu par la violence policière.

Deux décisions du gouvernement ont mis le feu aux poudres. La première a été l’annonce de la préparation d’un nouveau cadre législatif pour les universités visant les objectifs suivants:

  • • la réduction du temps alloué à chaque étudiant-e pour finir ses études à 6/7 ans (ce type de limites était inconnu jusqu’ici dans les universités grecques);
  • • l’attribution à chaque étudiant-e de trois chances seulement (plus la comparution devant une commission spéciale) pour passer chaque examen;
  • • l’abolition de l’«asile universitaire» (interdiction de toute présence policière sur les campus sans accord préalable conjointe des recteurs et des représentant-e-s des étudiant-e-s);
  • • la limitation de la participation des représentant-e-s étudiants à l’élection des recteurs;
  • • l’abolition de la fourniture gratuite des manuels et la dégradation de la position du corps intermédiaire enseignant.

La seconde a été la décision d’amender l’article 16 de la Constitution grecque qui établit explicitement que l’éducation supérieure est publique et interdit les universités privées ou non-étatiques.

Processus de Bologne et précarité

Mais il y a aussi des raisons plus profondes à cette agitation. Durant la dernière décennie, la notion même de diplôme universitaire a été constamment attaquée, que ce soit comme certification d’études universitaires ou comme garantie de trouver un emploi décent. Il ne faut pas oublier qu’en Grèce, l’accès massif à l’éducation supérieure a été perçu par les classes populaires comme un moyen d’améliorer leur position sociale, et qu’il y a eu par le passé de nombreuses voies institutionnelles reliant les diplômes universitaires à un emploi stable. Dans ce sens, ce qui est généralement présenté comme le «processus de Bologne» a été perçu comme une attaque aux droits à l’emploi conférés par les diplômes universitaires et comme une tentative de supprimer les aspirations sociales et les attentes fondées sur les études universitaires.

Ceci a été clairement associé à des changements plus fondamentaux dans la production capitaliste elle-même: transformation des relations sur les lieux de travail et émergence d’un nouveau paradigme fondé sur la flexibilité, la précarité, et l’insécurité du travail, ainsi que sur la combinaison de compétences plus élevées avec des droits plus réduits. C’est pourquoi, on peut dire que même les changements proposés en vue de limiter la durée des études constituent une tentative agressive de discipliner les étudiant-e-s en tant que futurs travailleurs-euses et de les faire accepter les nouvelles formes de contrôle despotique sur le lieu de travail. Il est aussi important de relever que, depuis les années 90, le taux de chômage des jeunes est élevé (autour de 20%) et que des formes d’emplois flexibles, temporaires et à temps partiel sont en augmentation parmi les jeunes.

Soumission accrue au privé

Dans un certain sens, l’ensemble du processus de restructuration capitaliste de la production est «préfiguré» par tous les aspects de l’éducation universitaire. C’est pourquoi il y a eu des manifestations de masse et des grèves contre la tentative de mettre en oeuvre le «processus de Bologne» [déjà en 2001] (…). Une résistance des étudiant-e-s de gauche et des syndicats d’enseignants s’est aussi développée contre l’introduction de certifications de qualité (la loi a été passée l’an dernier, mais aucune mesure concrète n’avait été prise jusqu’ici), qui a été perçue comme une tentative de soumettre l’éducation universitaire aux intérêts du capital.

Par ailleurs, la proposition d’introduire des universités privées (même sous la forme d’institutions sans but lucratif), comme premier pas d’une plus large vague de privatisations, est envisagée comme une attaque à la notion même d’enseignement public et comme le moyen d’offrir aux familles riches l’alternative d’une éducation privée, au détriment des familles travailleuses. Il est aussi à craindre que les universités privées soient utilisées comme levier pour accélérer les changements au sein des établissements publics, dans le sens d’une pleine soumission aux priorités du capital: développement d’un climat idéologique «entrepreneurial», plus favorable au business, mais aussi orientation de la recherché universitaire en fonction des besoins des grandes entreprises.

Radicalisation d’une génération

C’est dans le contexte de tous ces développements, que le mouvement étudiant a surgi. En un sens, nous assistons au rejet par toute une génération étudiante, non seulement de mesures législatives néo-conservatrices, néolibérales et autoritaires, mais aussi de l’essence du projet capitaliste actuel et du nouveau paradigme du travail. C’est pourquoi ce n’est pas seulement un mouvement étudiant, mais aussi une manifestation d’un cycle historique de luttes sociales plus large contre la phase de restructuration du capitalisme en cours, qui a commencé avec le mouvement français de 2006. C’est pourquoi les commentateurs politiques et les faiseurs d’opinion ont enjoint le gouvernement de ne pas aller poursuivre sur une ligne trop agressive, parce que les véritables enjeux dépassaient l’éducation et tournaient autour de la radicalisation possible de toute une génération.

Par ailleurs, ce mouvement a été aussi très intéressant pour ce qui est des tendances politiques qui y ont pris part. Il faut garder à l’esprit, qu’en Grèce, les syndicats étudiants sont particulièrement forts et politisés (70% des étudiant-e-s ont voté en avril 2006)1, ce qui aide à organiser des assemblées générales et à imposer des occupations. Le rôle de force motrice joué par EAAK2 (mouvement unifié de la gauche indépendante) a aussi marqué une évolution importante. Ce mouvement regroupe la plupart des tendances de la gauche radicale et est organisé comme un réseau de collectifs de gauche indépendants dans de nombreux départements universitaires. En revanche, la Jeunesse communiste, particulièrement implantée a essayé initialement de casser la dynamique du mouvement en défendant ouvertement des positions de repli – par exemple, que les étudiants ne devaient pas faire des occupations durant les examens, etc.) – pour faire ensuite un effort de dernière heure (sans succès) pour le réintégrer. Le rôle moteur de EAAK a été essentiel pour assurer la radicalisation de la confrontation, en ciblant tous les aspects des réformes éducatives3, en étendant le mouvement à toute la Grèce et en garantissant son indépendance de toute forme de calcul et de manipulation politiques.

La lutte continue…

L’annonce par le gouvernement du report du vote de la nouvelle loi, au moins jusqu’à l’automne, a été perçue comme une première victoire dans une bataille prolongée, qui fournit déjà un exemple plus que bienvenu de la capacité des luttes sociales d’obtenir des résultats tangibles et de véritables victoires. Mais les étudiant-e-s, conscients autant de leur force que de la capacité de manoeuvre du gouvernement, sont bien décidés à poursuivre les occupations et les manifestations de masse dans toute la Grèce jusqu’au retrait complet des mesures proposées.

Aristeri ANASYNTHESI*

* Ce document d’analyse a été publié par «La Gauche recomposée», une organisation de la gauche radicale grecque qui dispose d’une forte présence dans le mouvement étudiant (www.anasynthesi.com).

  1. En dépit de la présence impressionnante des listes conservatrice (39%) et socialiste (26%), la gauche dispose d’une présence forte avec la Jeunesse du Parti communiste (plus de 15% des votes), EAAK – Mouvement unifié de la gauche indépendante (plus de 7%) et la Jeunesse de Synaspismos (Coalition de gauche – membre du Parti de la gauche européenne) (environ 2,5%).
  2. D’autres courants plus petits ont ausi été présents dans le movement, comme la jeunesse de Synaspismos (parti fortement représenté parmi les professeurs d’université), ainsi que l’Initiative Gênes 2001 (affiliée au SEK – Parti socialiste des travailleurs, section grecque de l’International Socialist Tendency).
  3. Par exemple EAAK est le seul courant significatif de gauche à s’opposer à TOUTES les formes de certifications de qualité.