Réélection d’Uribe en Colombie extrême droite et pensée unique

Réélection d’Uribe en Colombie extrême droite et pensée unique

L’extrême droite colombienneparade après sa victoire aux présidentielles, qu’elle présente comme un triomphe de la démocratie. Le discours officiel s’appuie sur deux arguments. D’abord, les élections se sont déroulées de façon démocratique, puisque la gauche y a participé: son candidat, C. Gaviria, a obtenu 2,6 millions de votes, un niveau jamais atteint jusqu’ici. Ensuite, la victoire d’Uribe marque la fin du système bipartisan, qui a régi la nation pendant le dernier siècle: le candidat du parti libéral, Horacio Serpa, n’a obtenu que 1,4 millions de voix.

A première vue, les résultats de ce vote et la mécanique du système électoral semblent donner raison à l’extrême droite, mais la réalité est plus complexe. Avec ce message de triomphe de la démocratie, la droite cherche à légitimer son régime politique, son système électoral et la mise en place de ses politiques néolibérales. En passant, elle adresse un avertissement à la guérilla, afin de délégitimer la lutte armée, puisque celle-ci n’aurait plus de raison d’être dans un système «démocratique» tout à fait mûr, où le président a été choisi par une majorité de 62% des électeurs-trices, c’est-à-dire par 7.36 millions de votant-e-s.

Deux partis au service de l’oligarchie

Le bipartisme colombien s’est chargé de discréditer la politique: le nombre de citoyen-n-es qui votent ou donnent de l’importance à la participation politique diminue constamment, l’abstention électorale est structurelle et seul un petit nombre de personnes choisissent le président. Ainsi, 27% seulement des 26,7 millions de personnes qui disposent du droit de vote ont choisi d’élire Alvaro Uribe. Malgré cela, la presse présente ce résultat comme une victoire écrasante.

En effet, qu’est-ce que le bipartisme colombien, sinon l’alternance au pouvoir des deux partis politiques traditionnels. Ce système a empêché l’émergence d’autres partis que les Libéraux et les Conservateurs. Il s’est reproduit dans le temps avec un haut degré de symbiose entre l’Etat et les partis politiques. Les barons politiques régionaux, liés aux pouvoirs locaux, aux propriétaires fonciers, aux paramilitaires, aux narcotrafiquants et aux secteurs du capital financier transnational, ont été le substrat par excellence de l’histoire politique colombienne.

Un président ultra-conservateur

Rien ne nous permet de croire qu’il en sera autrement aujourd’hui, compte tenu de la composition de la coalition qui a conduit Uribe au pouvoir: elle incarne tous les pouvoirs qui ont régné en Colombie durant des décennies. Il s’agit de la même extrême droite néolibérale, fonctionnelle aux intérêts des capitaux étrangers, qui va signer le TLC (Traité de libre échange avec les Etats-Unis), poursuivre les privatisations, renforcer son alliance stratégique avec le néo-conservatisme américain, et développer des politiques macro-économiques qui accroissent le PIB et la richesse, tout en condamnant les exclu-e-s de la croissance économique à la pauvreté absolue.

Le discours d’Uribe ne dissimule pas les contenus idéologiques de son programme de gouvernement: opposé à la légalisation de l’avortement, au mariage des homosexuel-le-s, il invoque Dieu à tout bout de champ; une synthèse des «valeurs» de la droite obscurantiste, qui ramène la Colombie des décennies en arrière.

Violence et abus

Les abus du président pendant la campagne sont amplement connus: entre autres, il a refusé de débattre son programme avec les autres candidat-e-s, tout en apparaissant dans tous les médias en qualité de président-candidat, stigmatisant la gauche et utilisant le langage des paramilitaires. Pour des raisons de sécurité, le candidat de la gauche n’a pas pu se rendre dans certaines régions du pays, contrôlées par les narco-paramilitaires, dans lesquelles, bien au contraire, le président s’est retrouvé dans son élément le plus propice. Dans les cas de corruption les plus scandaleux, on a fait retomber les responsabilités sur des cadres moyens, afin de préserver l’image du président.

Dans certaines régions du pays, des paysan-ne-s, des indigènes et des communautés d’afro-descendants ont été empêchés de voter par la contrainte physique et la confiscation des pièces d’identité. On a aussi fait appel à une pratique inconnue à l’étranger, mais courante en Colombie: le vote des morts en faveur des candidats d’extrême droite. Par ailleurs, le jour de l’élection, de nombreux bureaux de vote ont été transférés dans des communes éloignées de la population électrice, sous prétexte que l’ordre public était menacé, ce qui est courant dans les zones où la gauche est majoritaire.

Pendant la campagne présidentielle, la contrainte physique et psychologique contre les adversaires politiques ne s’est pas fait attendre. La pression des paramilitaires en faveur du candidat Uribe et les disparitions forcées ont augmenté. Il faut souligner que, pendant la présidence d’Uribe, la Colombie a battu tous les records en matière de violation des droits humains: elle est devenue le second pays du monde pour les déplacements forcés et le premier pour l’utilisation des mines anti-personnelles.

Médiation internationale?

Dans son dernier rapport, Amnesty International dénonce l’augmentation des attaques contre la population civile pendant le gouvernement Uribe. L’escalade de la violence étatique, sous prétexte de lutte contre le trafic de drogue, vise largement l’insurrection armée et les adversaires politiques, ce que personne ne peut contester. Sans un régime où la corruption, le clientélisme, l’impunité et la contrainte physique remplacent le jeu démocratique, l’ensemble de ces tristes performances aurait difficilement permis la réélection du président.

Certains pays, dont la Suisse, la France, la Suède et Cuba, ont continué à offrir leurs services pour aboutir aux échanges de prisonniers entre les FARC-EP et le gouvernement colombien, mais ce dernier insiste sur sa politique de «sécurité démocratique», basé sur sa volonté d’infliger une défaite militaire à la guérilla pour l’amener à négocier dans une position de faiblesse. Les insurgé-e-s, quant à eux, ont rejeté tout contact avec le gouvernement Uribe. Les proches des prisonniers politiques des deux parties ont fait des appels à la communauté internationale pour encourager la reprise de pourparlers, mais avec ce gouvernement d’extrême droite, les portes restent toujours fermées.

Johnson BASTIDAS