Utilitarisme néolibéral au tour de la culture?

Utilitarisme néolibéral au tour de la culture?

Les conservatoires neuchâtelois ont une longue tradition de formation de musiciens, aussi bien amateurs que professionnels, qui soutient des pratiques musicales denses dans l’ensemble du canton. C’est une richesse culturelle et sociale, qui ne se mesure peut-être pas en profits immédiats, mais qui est source de qualité de vie et de liens sociaux, valeurs peu cotées à la bourse actuellement. Le «processus de Bologne» a initié une refonte complète des systèmes de formation, au niveau européen et dans tous les domaines. C’est l’occasion saisie par le Conseil d’Etat pour sortir sa calculette.

Une première salve a été tirée l’an passé, qui visait à la suppression du secteur de formation de musiciens professionnels (en ne demandant pas d’accréditation HES). Suite à la forte mobilisation du monde de la musique, le Grand Conseil a refusé, en décembre, de se soumettre au Conseil d’Etat et a demandé la poursuite du processus d’accréditation HES.

Toujours au nom d’économies immédiates, le Conseil d’Etat tire maintenant sa deuxième salve, réitérant sa volonté de suppression de la formation de musiciens professionnels dans le canton. Pour faire passer sa proposition – la même qu’en décembre! – le Conseil d’Etat a affiné son argumentation: il oppose maintenant explicitement la HES Musique à la HE Arc et laisse entendre qu’une partie des économies réalisées dans le domaine de la musique pourront servir d’autres domaines de la culture; ce qui est retiré à l’une pourrait partiellement être donné à l’autre… Mettre en concurrence les différends domaines de la culture, diviser pour régner, voilà un bon vieux principe de gouvernants remis au goût du jour.

Cette volonté d’économies, le Conseil d’Etat veut la faire au nom de la priorité qu’il entend accorder à la formation technique et technologique, nous balançant les phrases à la mode sur les micro- et nanotechnologies. C’est un calcul à courte vue, qui s’inscrit dans la vague néolibérale. Miser tout, y compris la formation, sur l’utilitaire immédiat, c’est oublier que la force d’une région ne peut se trouver que dans la qualité des relations humaines, dans la richesse technique, certes, mais aussi culturelle et sociale.

Miser exclusivement sur l’utilitaire immédiat, c’est aussi s’exposer dangereusement à la prochaine crise économique. Le Conseil d’Etat n’en a cure, apparemment. Comme le disait Helvétius 1er, roi des Suisses, dans sa satire en janvier dernier, lors de la manifestation des acteurs culturels qui s’est terminée dans la cour du Château: «quand j’entends le mot culture, je sors ma calculette». Le Grand Conseil saura-t-il se rappeler des arguments forts et de la mobilisation sans précédent en défense d’un conservatoire à double vocation? C’est à espérer; mais le Conseil d’Etat aura tout fait pour empêcher une nouvelle mobilisation d’envergure: le rapport qui vient d’être publié est à l’ordre du jour de la session de juin, au moment des examens…

Henri VUILLOMENET