Le commerce équitable: Une panacée?

Le commerce équitable: Une panacée?

Le commerce équitable suscite bien des interrogations. Nouveau marché porteur ou l’un des moyens pour envisager un autre commerce, impliquant d’autres rapports, d’autres échanges entre producteurs et acheteurs? Michel Besson est directeur de Minga, une association française dont l’un des objectifs consiste à créer des liens entre différentes petites entreprises partageant une conception dynamique de l’équité économique et dont Andines est l’un des membres..

Pourquoi t’es-tu lancé dans le commerce dit équitable?

Il fallait bien manger. Ouvrier, j’ai vécu en Colombie, dans une communauté indienne, puis dans un bidonville de Bogota. À quelques-uns, on a eu l’idée de créer une structure économique pour en vivre, de type «alternative», permettant de créer des emplois, dans une profession que nous ne connaissions pas: le commerce. Nous avons mis sur pied une entreprise à Bogota, Interexpress, en 1987, et, deux mois plus tard, Andines à Paris. On voulait réaliser des échanges économiques à partir de produits artisanaux et les vendre en France, en gardant le contact direct avec les communautés. J’ai toujours cru que, parallèlement au combat politique «direct», des pratiques «alternatives» pouvaient participer à la transformation sociale, sans pour cela croire qu’on pouvait changer le capitalisme de l’intérieur, sachant également que la liberté est plus qu’étroite quand il s’agit du cœur du capitalisme mondialisé. D’où la pertinence et la nécessité du syndicalisme et de l’organisation politique. Les coopératives, les corporatismes se battent finalement pour eux-mêmes. La moitié est de droite. Pour la CGT, les coopératives sont de l’auto-exploitation. C’est en partie vrai. Nous voulions d’abord créer des emplois en Colombie et en France. Puis, nous avons pensé à un commerce équitable lors d’une discussion à Andines, il y a de cela vingt ans. On a alors établi une charte, un cahier des charges. Nous voulions mettre le maximum d’équité tout au long de la filière. Il ne s’agissait pas non plus «d’aider les pauvres», de faire du caritatif, ni du paternalisme, mais d’avoir des rapports d’égal à égal, d’équité économique – acheter des produits et les vendre pour que tous, ici et là-bas, soient payés décemment et que chacun puisse vivre de son travail. Cela a commencé en Colombie mais, maintenant, nous travaillons avec environ vingt pays, dont la France, guidés par le respect de chacun. Pour l’instant, pour nous, le commerce équitable n’existe pas! C’est une démarche, un objectif. On ne se reconnaît pas du tout dans le discours «équitable» à la Chirac, Max Havelaar ou Leclerc (grande surface, jouant la carte marketing de l’écologie et du commerce équitable, ndlr). En fait, c’est un combat politique, à travers une pratique économique – l’échange de produits – qui passe aussi par le culturel, le politique, le social.

Quelles sont les difficultés actuellement?

Il est très difficile, dans ce monde profondément inéquitable, de faire vivre une petite entreprise, tant sur le plan économique que financier. Les PME disparaissent, la précarisation sociale s’accentue. Il est très difficile de trouver des capitaux, de réaliser un emprunt (on ne veut pas être subventionné) pour faire tourner nos boîtes. Du coup, on a énormément de mal à se développer au niveau économique, à passer un seuil, un cap. On pourrait se développer plus, mais on se heurte au manque de moyens.

Ces dernières années, l’idée du commerce équitable a le vent en poupe…

Cette idée de mettre plus d’équité dans les échanges économiques a été récupérée par des politiciens, la grande distribution, des ONG qui ont intérêt à enfermer cette volonté de respect dans les échanges dans un concept humanitaire et qui se focalisent sur l’assistance au producteur, sans remise en cause du modèle économique de cette filière (division du travail, logique productiviste, etc.), sans se soucier le moins du monde de la souveraineté économique et politique des populations. Il s’agit de réappropriation de l’économique et non de maximiser les profits, de changer la finalité économique. Les médias diffusent cette vision caritative, tiers-mondiste, enfermée dans un rapport Nord/Sud. Ainsi, en France, une loi définit ce qu’est le commerce équitable exclusivement dans un rapport Nord-Sud. Les riches du Nord doivent aider les pauvres, enfermant les populations du Sud dans la dépendance. Il s’agit d’un néocolonialisme, d’un colonialisme économique (exemple, le coton d’Afrique). Max Havelaar, parmi d’autres, promeut ce type de rapport, sans remettre en question la division internationale du travail, la dépendance par rapport aux exportations. Cela rend impossible la création d’entreprises locales, par exemple la transformation du coton (habits, couvertures, etc.), par le maintien de la dépendance colonialiste.

Quel bilan tires-tu de ton expérience?

Pour ce qui nous concerne, on se refuse de parler de commerce équitable, on se place sur le plan de nos pratiques. Celles-ci et les échanges se situent dans un mouvement général. C’est effectivement positif sur le plan de l’analyse et de la réflexion. Comment on produit? Quelle production? Comment on consomme? Comment fonctionne l’économie aujourd’hui dans le cadre de la «mondialisation» accélérée? Réfléchir sur le commerce permet de mieux appréhender son fonctionnement et d’imaginer une autre économie, alternative. Le second apport, c’est le débat politique autour de ces questions que sont la mondialisation et les luttes économiques menées par des millions de travailleurs dans le monde. (…)

Propos recueillis par Alain Jacques
(Rouge, no 2161)

A lire: la brochure Vers un commerce équitable, à commander auprès de Minga (6, rue Arnold-Garau, 93450 Île-Saint-Denis ou minga.faire.ensemble@wanadoo.fr), 3 euros; Christian Jacquiau, Les Coulisses du commerce équitable, Mille et une nuits, 22 euros.