Victoire contre le CPE: et Maintenant?

Victoire contre le CPE: et Maintenant?

Le 1er juin, solidaritéS tenait un meeting à Neuchâtel sur le thème «Quelle politique de gauche?». Ce fut notamment l’occasion de donner la parole à François Portal, étudiant en lettres et membre de la LCR à Besançon. Nous nous sommes aussi entretenus avec lui sur le bilan du mouvement contre le Contrat Première Embauche (CPE) et sur ses perspectives.

Peux-tu expliquer les origines du mouvement contre le CPE?

Les élections de 2002 ont été particulières puisque, avec l’échec de la social-démocratie, le deuxième tour de la présidentielle s’est transformé en référendum anti-extrême droite. Référendum réussi, avec 82% de voix contre Le Pen, et manifestations également durant tout l’entre-deux-tours, où une grande partie de la jeunesse a fait ses premières armes militantes. Mais c’est un gouvernement de droite qui a pris les commandes, un pouvoir brutal qui a gagné plusieurs bras de fer, notamment sur les retraites et sur la sécurité sociale. Un vrai rouleau compresseur antisocial. Plusieurs éléments viennent tout de même nuancer ce tableau. Il a connu deux revers électoraux: d’abord aux élections européennes et régionales qui ont vu la social-démocratie gagner, puis le 29 mai, sur la question du traité constitutionnel européen, la victoire du non, qui a pris cette fois à rebrousse-poil tant la gauche gouvernementale (PCF exclu), qui était très majoritairement pour, que bien sûr la droite. Un non qui incarnait une volonté de rupture avec la logique libérale, et un vote de classe, comme l’ont démontré les études statistiques.

Pourquoi le gouvernement est-il reparti en guerre avec le CPE?

En novembre dernier, il y a eu les révoltes des jeunes des quartiers populaires contre les discriminations et leurs conditions de vie. Révoltes matées violemment, avec l’instauration de l’état d’urgence qu’on n’avait pas vu depuis la guerre d’Algérie. Là-dessus, Villepin a concocté son «projet de loi sur l’égalité des chances» (LEC), dont le fameux CPE faisait partie, comme prétendue réponse à ce qu’ils ont appelé «la crise des banlieues». L’idée était claire: se servir de la crise pour faire passer toutes les mesures antisociales qu’ils gardaient au chaud. Outre le CPE, qui prévoyait un contrat spécifique aux jeunes de moins de 26 ans, extrêmement précaire, avec une période d’essai de 2 ans, la LEC contenait également l’apprentissage à partir de 14 ans, c’est-à-dire la fin de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, le travail de nuit à partir de 15 ans, le contrat de responsabilité parentale, qui instaure une série de sanctions, surtout financières, contre les parents d’élèves en rupture scolaire.

On a souvent dit que la jeunesse scolarisée se battait pour les autres… Cela correspond-il à la réalité?

La jeunesse est fortement précarisée dans son ensemble. Un-e étudiant-e- sur deux et plusieurs dizaines de milliers de lycéens et lycéennes doivent bosser pour financer leurs études, la plupart du temps dans des jobs à la con. 900 000 jeunes sont aussi exclus du système scolaire, n’ont pas de taf [travail, ndlr] et n’ont pas le droit au RMI (revenu minimum d’insertion) – puisqu’ils n’ont pas encore 25 ans –, et du coup, 20% de la jeunesse vit au-dessous du seuil de pauvreté. C’est dans ce climat explosif que la droite a tenté de passer en force: avec le CPE l’entreprise de sape antisociale préconisée par le MEDEF (organisation faîtière patronale) passait à la vitesse supérieure. Après les retraites et la sécu, une autre garantie collective était attaquée de plein fouet: le contrat à durée indéterminée.

Pourquoi la jeunesse a-t-elle réagi aussi massivement?

Depuis 2002, la jeunesse s’est fortement politisée. Avec les manifs antifascistes, celles contre la guerre en Irak, contre les réformes scolaires (Loi Fillon l’an passé) et universitaires (LMD), lors des rassemblements altermondialistes, lors de la campagne référendaire… Et si pour les retraites et la sécu le gouvernement pouvait compter sur la division syndicale, lorsqu’il a affaire à la jeunesse, c’est plus compliqué. C’est une vraie lame de fond contestataire qu’on a vue à l’œuvre durant deux mois. Avec, en premier lieu, la jeunesse étudiante, notamment celle de Rennes et de Toulouse, qui a impulsé un mouvement de grève avec blocages. Mouvement qui s’est vite propagé, avec comme mot d’ordre principal, le retrait du CPE. Ainsi, près de 60% des universités ont participé au blocage, dont la très symbolique Sorbonne.

Quelle a été l’importance des «blocages» dans le développement du mouvement?

Pourquoi les blocages? C’était le seul moyen de faire tenir le mouvement dans la durée. Et surtout c’était le meilleur moyen de faire grossir jour après jour la mobilisation, de permettre à chacun de s’investir qu’il soit boursier ou non, qu’il ait des facilités dans ses études ou non. Sur la fac de lettres de Besançon, pêle-mêle, ça a donné des projections de films, des ateliers banderoles, des débats (deux par jour environ), un potager au beau milieu de la cour, des AG bien sûr. On avait également laissé la bibliothèque ouverte pour permettre à ceux et à celles qui voulaient bosser ou bouquiner de le faire. Bref, malgré la grève, la fac n’a jamais été morte, et on ne s’est pas retrouvé juste entre militant-e-s comme d’habitude.

La droite a essayé de délégitimer le mouvement en dénonçant les blocages. Est-ce que ça vous a affaibli?

Il est intéressant de voir que c’est sur cette seule question que la droite et l’extrême droite ont tenté de nous attaquer avec le slogan «gauchistes, libérez nos facs!» Et plus encore que sur la question de la grève, c’était là-dessus que c’était important de gagner la bagarre idéologique (qui n’est pas systématiquement restée idéologique d’ailleurs). La droite et l’extrême droite n’ont pas hésité à utiliser diverses méthodes violentes pour mettre le feu aux poudres, monter les étudiant-e-s les uns contre les autres et provoquer des bagarres, qui ont abouti, par endroits, à des fermetures administratives. Or, une fac fermée, c’est une fac où il ne se passe plus rien, plus d’AG, plus de débat, plus d’ateliers. Et où, jour après jour, il y a de moins en moins de monde. Au contraire, il fallait que les facs soient des lieux de vie, qu’il y ait en permanence des débats, des activités politiques et culturelles.

Comment le mouvement s’est-il organisé?

Les grèves étudiantes ont pris la bonne habitude, depuis le milieu des années 80, de fonctionner avec des assemblés générales sur chaque fac et des coordinations au plan national. Au niveau des villes, tous les week-ends, chaque fac pouvait mandater un certain nombre de délégué-e-s pour discuter et voter les revendications et les actions du mouvement. Globalement, les règles n’ont pas beaucoup changé durant les deux mois: c’était 5 délégués par fac bloquée, 3 par fac en grève mais non bloquée, et les autres facs pouvaient envoyer des observateurs et observatrices. L’idée étant d’avoir une représentation réelle du mouvement et de ne pas la laisser aux seuls syndicats étudiants (dont la représentativité est quasi nulle). Sur le papier, ça marche bien. En réalité, on se rend compte qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à une réelle démocratie dans les luttes. En fait, les coordinations étaient tellement longues et prenantes, que seuls les plus motivés voulaient bien se faire mandater. Donc, essentiellement les militant-e-s, ou alors des étudiants très radicaux, mais peu politisés.

Y a-t-il des questions d’orientation qui ont divisé les coordinations?

Curieusement, les bureaucrates de l’UNEF (le syndicat majoritaire) ont réussi parfois à s’appuyer sur les étudiant-e-s non politisés mais très radicaux pour affaiblir les militant-e-s révolutionnaires. En gros, quand une idée un tant soit peu radicale, qui aurait pu se propager, était proposée par l’un de nous (qui n’avait bien sûr pas le droit de signaler son étiquette politique), il suffisait à l’UNEF de souffler aux étudiant-e-s autonomes que ce n’était pas assez radical pour que l’idée soit refusée, et on se retrouvait avec des textes clairement gauchistes et déconnectés de l’immense majorité des étudiant-e-s, donc inutilisables ou presque pour pousser le mouvement plus avant. Ce genre de phénomène a même amené les étudiant-e-s de Rennes à décréter la fin du capitalisme à l’échelle mondiale… Cela dit, les coordinations auront tout de même permis d’obtenir les infos réelles du mouvement, où en était chaque fac, etc. Et ce n’est pas rien. C’était aussi l’occasion pour bon nombre de jeunes étudiant-e-s de se politiser à la vitesse grand V.

Quel a été le rôle spécifique des lycées dans la mobilisation?

Parallèlement à ce qui se passait sur les facs, les lycées ont embrayé à leur tour. Dans certaines villes, ce sont même eux qui étaient les premiers dans la rue. Avec également le principe de blocage, pour les mêmes raisons que les étudiant-e-s. En revanche, au niveau de la structuration du mouvement, les choses ont été plus compliquées, et malgré plusieurs tentatives, aucune coordination lycéenne nationale n’aura pu fonctionner.

Comment les liens ont-ils été tissés entre les jeunes et les salarié-e-s contre le CPE?

Nous avions donc l’ensemble de la jeunesse scolarisée dans la rue. Mais cela ne suffisait pas, et nous le savions. Il fallait un mouvement d’ensemble de la population, et donc les salarié-e-s avec nous. Sauf que là, c’était plus compliqué, il fallait se heurter aux confédérations syndicales, qui n’avaient pas franchement pour projet d’appeler les salarié-e-s à la grève sur la question du CPE. Et pourtant, la force du mouvement de la jeunesse, et sans doute également les multiples bourdes du gouvernement, notamment le recours fréquent aux flics, aura deux effets: entraîner un pan important des salarié-e-s avec nous dans la rue, notamment les 28 mars et 4 avril, avec en point culminant 3 millions de manifestant-e-s; et faire l’unité syndicale, toutes tendances confondues.

Dans quelle mesure le CPE est-il devenu le symbole de la lutte contre la précarité?

Le CPE est devenu un enjeu franchement politique. L’article 8, c’était l’arbre qui cache la forêt, le symbole même de la précarité et des logiques libérales. Ainsi, même le président de l’UNEF (principal syndicat étudiant), a été amené à poser dans Libération la question de la redistribution des richesses, du primat du profit sur les intérêts de l’immense majorité de la population, etc. Parce qu’en effet, depuis 20 ans, sur 100 euros de richesse créée, 10 de moins vont aux salarié-e-s et de 10 de plus aux profits des actionnaires. Et si beaucoup de gens ont été très étonnés de voir que les jeunes n’avaient pas montré tant d’enthousiasme lorsque Villepin a fini par retirer le CPE, c’est qu’ils avaient conscience que la lutte contre le libéralisme avait encore du chemin à parcourir. Reste les autres articles de la loi d’égalité des chances, le CNE (Contrat Nouvelle Embauche), les CDD, les stages non ou peu payés, les boulots de merde chez McDo, les licenciements collectifs, l’entreprise de casse des services publics…

Quel bilan fais-tu du mouvement?

C’est une victoire, car c’est la première défaite majeure que nous infligeons à la droite depuis 2002, après une série de revers pour la jeunesse et l’ensemble du mouvement ouvrier. C’est une victoire, car nous avons échappé à la mise en place d’un dispositif créant un exemple de précarité maximale, qui aurait servi à la généralisation de ce système à tous les salarié-e-s. C’est une victoire, car nous avons, par notre ténacité, prouvé que la lutte paie et peut encore payer. Cette victoire constitue un point d’appui pour les mobilisations futures.

Quelles peuvent en être les retombées de la victoire contre le CPE?

Depuis 2002, les jeunes se sont mobilisés massivement: contre la présence de Le Pen au second tour de la présidentielle, contre la guerre en Irak, contre la réforme LMD dans les universités, contre la mondialisation libérale lors des rendez-vous altermondialistes et en s’exprimant très majoritairement contre le traité constitutionnel européen. Ce phénomène de politisation massive de la jeunesse apparaît évident lorsque l’on énumère ses luttes en moins d’un an. Au printemps dernier, les lycéens et les lycéennes se sont opposés à la loi Fillon tout en contribuant à la victoire du Non de gauche le 29 mai; à l’automne dernier, les jeunes des quartiers populaires se sont révoltés contre les discriminations et leurs conditions de vie; et ce printemps, l’ensemble de la jeunesse s’est retrouvée dans l’action pour rejeter le CPE. En moins d’un an, toute la jeunesse s’est mobilisée contre le libéralisme et ses conséquences. La nouvelle génération militante, qui n’en finissait pas d’émerger, a fait bien mieux: elle a submergé la droite dans un face à face politique. Désormais, l’attente politique est très forte d’une rupture avec le libéralisme et les révolutionnaires ont de grandes responsabilités.

Entretien réalisé par la rédaction