Genève : assises du féminisme première édition, quel bilan?

Genève : assises du féminisme première édition, quel bilan?

Les 5, 6 et 7 mai ont eu lieu à Genève les «Assises du féminisme», impulsées par le groupe «Femmes en colère». Ces Assises se sont cependant voulues plus comme un arrêt sur image de ce qu’est le féminisme en 2006, dans sa globalité, que comme une pure réaction à l’élection d’un Conseil d’Etat genevois 100 % masculin.

Ces trois journées de réflexion et de débats se sont déroulées au sein de l’Université, terrain symbolique d’une certaine neutralité ou objectivité non partisane, et ont réuni chercheuses, militant-e-s et politiciennes de tous bords. Je vais essayer de rendre compte des constats et des objectifs dont cette collaboration fructueuse aura permis l’émergence.

Miroir des médias

Deux conférences ont marqué ces journées: Marie-Josèphe Bertini, philosophe, (Université de Nice) a magistralement décortiqué le rôle des médias dans l’impossible pouvoir politique des femmes. La chercheuse a, dans un premier temps, présenté la situation à l’aide de l’outil statistique: sur les personnes interrogées ou citées dans les médias, seules 18% sont des femmes et parmi les politiques interrogé-e-s, 15% sont des politiciennes. La réponse à ce déséquilibre est-elle à chercher dans le fait que parmi les journalistes, 40% sont des femmes mais que 1/10 seulement occupent des postes à responsabilités?

La conférencière a ensuite montré que les médias enferment la femme dans des stéréotypes de genre1, ou la cantonnent dans une passivité fondamentale (la femme idéale ne sait rien, ne dit rien, ne pense pas) quand ils ne la relèguent pas du côté de la passion (la femme qui agit est en fait agie par une émotion qu’elle ne maîtrise pas, comment pourrait-elle alors maîtriser le politique?). En bref, les médias reflètent la manière dont la société traite les femmes, et jouent de surcroît le rôle de police politique du genre.2

De son côté, Patricia Roux, professeure en études genres à l’Université de Lausanne, dans son intervention intitulée Backlash: antiféminisme et illusion d’égalité3, s’est interrogée sur le recul, voire la perte des acquis, du féminisme. Elle met en garde contre un antiféminisme grandissant nourri de ce qu’elle nomme l’illusion d’égalité: des mesures ont été prises pour l’égalité; elle n’est donc plus à construire. La conférencière illustre ce phénomène à l’aide du résultat d’une enquête portant sur la répartition des tâches au sein des couples.

Le scénario actuellement privilégié est celui de l’équité (et non l’égalité): sur 40 heures de travail domestique à répartir, une femme travaillant à 80 % effectuera 24 heures de travaux ménagers et son compagnon engagé à plein temps 16. Ce choix participe de l’illusion de l’interchangeabilité des rôles. Le temps professionnel rémunéré aurait, dans ce contexte, la même valeur que le temps domestique non rémunéré, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette recherche insiste sur le lien entre sphère privée et sphère publique dans la construction de l’égalité.

Ateliers: parité…

Un constat s’est imposé à l’issue de l’atelier quotas/vs/parité: le temps de la parité est venu. Les quotas sont des symptômes de la résistance au changement d’un système politique fait par des hommes pour des hommes: ils donnent l’illusion d’une marche vers l’égalité tout en réaffirmant l’infériorité des femmes. Nous nous réjouirions presque du refus massif le 12 mars 2000 de l’initiative des quotas, puisque nous allons faire incessamment le grand saut qualitatif vers l’égalité sans passer par la case discrimination modérée.

Comment réaliser la parité dans les faits? Les listes paritaires, même si elles la favorisent, ne garantissent pas une élection paritaire. Une solution possible serait de modifier les modalités de vote de manière à assurer une égale représentativité homme-femme après élection, au Parlement comme à l’Exécutif. L’électorat pourrait, parmi un groupe de candidates, en choisir obligatoirement dix, et pratiquer de même avec une liste de candidats. Certains pays pratiquent déjà des élections de ce type. Une étude s’impose qui devrait aboutir au lancement d’une nouvelle initiative.

Racisme et sexisme

L’atelier sexisme et racisme4 a débattu de l’éventuel fonctionnement commun du sexisme et du racisme: Patricia Roux a avancé l’hypothèse que tous deux étaient construits sur l’affirmation de différences et leur hiérarchisation par le groupe qui a le pouvoir. Ensuite, la question de l’acceptation, au nom du respect des minorités, de comportements sexistes dans les communautés migrantes, musulmanes ou tziganes (foulard, excision, mendicité des femmes et des enfants) ou de leur refus, au nom du féminisme cette fois, a été posée. La stigmatisation du sexisme de l’autre, de l’étranger, par notre société a aussi été dénoncée comme l’expression de la volonté de se dédouaner de son propre sexisme. A suivre…

La table ronde sur «Le féminisme peut-il transcender les clivages politiques?» a mis en évidence la difficulté partagée par les politiciennes de faire entendre et respecter leur voix au sein de leurs partis respectifs d’une part, sur la scène politique et dans les médias d’autre part. Au-delà des clivages gauche-droite, être politicienne signifie encore trop souvent aujourd’hui voir son travail dévalorisé ou sa candidature rejetée.

Le bilan sera-t-il plus souriant en 2007? La réflexion se doit en tous les cas d’être poursuivie; c’est pourquoi, loin de vouloir faire main mise sur ces Assises, le groupe Femmes en colère espère bien que d’autres prendront le relais et rendront pérenne la démarche initiée, complément indispensable à la traditionnelle journée du 8 mars.

Gisèle THIÉVENT


  1. Qu’on se rappelle le tapage médiatique autour de la nomination de Monica Bonfanti, cheffe de la police genevoise, qui, dieu merci: «adore faire du shopping.»
  2. Marie-Josèphe Bertini, Femmes, le pouvoir impossible, essai, janvier 02.
  3. Nouvelles Questions féministes, No 22, A contresens de l’égalité.
  4. NQF, No 25/1, Sexisme et racisme: le cas français