V pour Vendetta: la révolution avance masquée

V pour Vendetta: la révolution avance masquée

Une fois leur lune de miel consommée, Hollywood et la bande dessinée poursuivent paisiblement leur relation faite de hauts (Sin City, Frank Miller et Robert Rodriguez, 2005) et de bas (Elektra, Rob Bowman, 2005). Le dernier rejeton de cette union, V pour Vendetta, est l’adaptation d’une BD culte dessinée entre 1989 et 1990 par David Lloyd sur un scénario d’Alan Moore.

La réalisation du film est signée par James McTeigue, mais, derrière le projet on trouve également les frères Wachowski auxquels on doit la trilogie de Matrix. Il n’est donc pas surprenant que, comme dans Matrix, le film ait été construit comme un large réservoir à références d’ordre politique, culturel, cinématographique, historique ou religieux. Comme dans Matrix, celles-ci finissent par s’entasser, se bousculer, se superposer en discréditant ainsi toute prise de position claire et cohérente.

Le récit se situe à Londres, dans un futur proche. La Grande-Bretagne est devenue un Etat totalitaire fascisant, dirigée par un «Haut Chancelier», ce qui constitue une belle occasion pour fourguer aux spectatrices et aux spectateurs un univers orwellien maintes fois utilisé au cinéma. Après The Wall, Brazil et 1984, ce big brother moustachu qui parle par écran interposé donne une certaine impression de second hand (les Anglais diraient dejiaviu).

La révolte, car révolte il y a, est organisée par un héros à mi-chemin entre Zorro et Cyrano qui puise sa motivation autant dans son besoin de vengeance personnelle que dans de vagues idéaux de «liberté». Il cache son visage derrière un masque souriant à l’effigie de Guy Fawkes, le catholique anglais pendu en 1606, après sa tentative ratée de faire sauter le Parlement. Son nom est «V»… comme vengeance.

V a un talent certain avec la dynamite, et il a aussi beaucoup plus de succès que Guy Fawkes: à l’issue de la symphonie explosive du début du film, il rase le Palais de Justice et promet de faire de même avec le Parlement l’année d’après. Le personnage principal féminin, Evey, interprétée par Natalie Portman, est beaucoup plus intégrée dans le système: elle travaille dans les studios de la télévision, un des centres névralgiques du pouvoir. C’est une promotion due aux frères Wachowski, car le créateur de la BD l’avait imaginée prostituée. Evey est sauvée par V alors qu’elle allait se faire violer par des agents du régime qui l’interpellent puisqu’elle se promène pendant le couvre-feu. Par la force des choses, elle va rejoindre petit à petit la «cause révolutionnaire».

Le film n’abuse pas des effets pyrotechniques typiques du genre et on peut même lui reprocher d’être quelque peu verbeux, surtout lorsque le brio des dialogues du début s’effiloche au cours du récit. Il ralentit décidément dans la seconde partie et se conclut sur une scène qui délectera les esthètes du gore.

Le résultat final n’est pas vraiment réussi même si quelques bons moments viennent ponctuer l’ensemble. L’intérêt du film est plutôt thématique. Le fait qu’un (quasi) blockbuster américain érige en héros un poseur de bombes, nous montre un régime fasciste qui interdit le Coran et interne ses opposants dans des prisons qui nous font penser à Guantanamo peut laisser songeur. En fait, ces clins d’oeil à l’actualité, et qui se situent certes dans une vague opposition aux USA de G. W. Bush, ne suffisent pas à donner une valeur politique au film. Ils sont inefficaces car noyés dans un bric-à-brac symbolique où on trouve de tout (comme dans le souterrain-musée où habite V). Le film est construit selon la recette de la salade russe, on amasse des ingrédients disparates et on espère que la mayonnaise fasse le lien.

V pour Vendetta n’est ni un pamphlet politique ni un appel au terrorisme ni un exemple d’un cinéma commercial intégrant une vision critique de la société. Il s’agit simplement de la superposition de modèles biens rodés: sur un support de récit classique du justicier-seul-contre-tous, qui a fait ses preuves depuis Robin Hood, on rajoute une couche de décors de monde dystopique récupéré des meilleurs classiques du cinéma de science-fiction, on pose par-dessous quelques rondelles de critique anti-Bush et on saupoudre le tout avec ce qui reste d’une belle BD après l’avoir passée à la moulinette. A consommer avec modération.

Gianni HAVER