Presses centrales de Lausanne: syndicalistes condamnés

Presses centrales de Lausanne: syndicalistes condamnés

Le Tribunal de police de Lausanne a rendu le lundi 8 mai 2006 son jugement dans l’affaire des Presses centrales de Lausanne (PCL). Quatre syndicalistes de comedia, le syndicat des médias, étaient inculpés, principalement de contrainte. Une syndicaliste, simple participante à l’action, a été libérée de toute peine, alors que les trois autres secrétaires de comedia ont été condamnés à 500 francs d’amende en tant qu’organisateurs de la manifestation. Comedia a décidé de ne pas faire recours contre le jugement, les questions de fond n’ayant pratiquement aucune chance d’être débattues devant le Tribunal cantonal.

Le dimanche 18 juin 2001 en fin d’après-midi, un premier piquet syndical se mettait en place devant l’imprimerie des Presses centrales de Lausanne (PCL). Le but était de dissuader le petit groupe de travailleurs affectés au tirage du quotidien économique l’AGEFI de commencer le travail. Une longue action de «blocage» de l’entreprise commençait, elle ne se terminera que tard dans la nuit après une intervention policière musclée qui restera dans les annales et aura quelques répercussions dans la vie politique locale…

Genèse de l’action

L’action syndicale du 18 mars 2001 était en fait la suite d’une assez longue histoire. Celle-ci commence en juin 2000 quand comedia apprend que la direction des PCL a démissionné de Viscom, l’association patronale de l’industrie graphique, avec effet au 31 décembre suivant.

Le syndicat ne contesta pas le droit de la direction des PCL de quitter son association patronale. Par contre, il n’était pas question pour lui que cette décision unilatérale de l’employeur prive les travailleurs de la garantie que constitue le contrat collectif de travail (CCT) national de l’imprimerie. Comedia prit donc contact avec la direction pour que celle-ci se soumette individuellement au CCT. Plusieurs courriers du syndicat resteront sans réponse.

Puis, une pétition est lancée qui recueille 93 signatures appuyant la demande de soumission au CCT. Rien n’y fait. En parallèle, comedia diffusa régulièrement des tracts pour informer le personnel. Le 6 décembre 2000, devant le mutisme persistant de la direction – sauf dans ses communications internes où elle ne fait qu’abreuver le syndicat de divers noms d’oiseaux – comedia mena une première action en s’invitant à l’assemblée générale des actionnaires. Le président du conseil d’administration fit mine d’ouvrir ultérieurement une discussion, mais ce n’était qu’une manœuvre dilatoire. En effet, la direction mit sous pression la commission d’entreprise pour qu’elle accepte une «solution maison», soit la conclusion d’un accord interne sans intervention du syndicat, signée avec la commission d’entreprise…dont le président n’était autre que le directeur général et le secrétaire son adjoint de direction, état de fait qui sera heureusement jugé par le Tribunal cantonal comme illicite à l’égard de la loi fédérale sur la participation!

L’intervention policière

C’est ainsi que comedia a décidé l’action du 18 mars 2001 à laquelle participèrent plus de 120 personnes. Les autorités lausannoises sont intervenues et ont tenté une médiation. Pour débloquer la situation, comedia a alors proposé un ultime compromis, soit de négocier une convention collective d’entreprise maintenant pour l’essentiel les acquis du CCT national. La direction persista dans son refus montrant ainsi le peu de cas qu’elle faisait du droit de négociation collective.

Une chose incroyable s’est produite à ce moment-là. Plutôt que de prendre fait et cause pour les droits collectifs des travailleurs et leur application dans une entreprise qui fait une grande partie de son chiffre d’affaires avec les commandes publiques, le syndic de la ville et le municipal de police – tous deux élus de gauche – ont décidé de faire intervenir manu militari la police pour dégager les entrées de l’entreprise. Ce fut le premier affrontement physique entre forces de l’ordre et syndicalistes. Il y en eut trois au total, la police allant même jusqu’à transporter plusieurs sacs dans un véhicule de fonction.

Une vision néolibérale des droits fondamentaux

Le jugement ne reconnaît pas de mobiles honorables aux condamnés vu le caractère illicite de cette action syndicale selon la cour civile du Tribunal fédéral. Cependant, tenant compte des objectifs poursuivis par les syndicalistes, à savoir la protection des droits des travailleurs et travailleuses des PCL, le juge a fixé une sanction légère, soit une amende de 500 francs par personne. Toutefois, il est significatif que les considérants du jugement n’entre aucunement en matière sur la relativité du droit pénal en regard de l’application effective des droits fondamentaux, un des arguments centraux de la défense assumée par Me Jean-Michel Dolivo.

En effet, les actes commis par les syndicalistes l’ont été au nom des droits syndicaux, en particulier le droit à la négociation collective qui découle de la législation, de la constitution fédérale et du droit international public. Selon des arrêts de fond du Tribunal fédéral, un employeur qui se refuse obstinément à négocier les conditions de travail du personnel avec un syndicat représentatif commet un acte illicite et viole les droits de la personnalité des salarié.e.s et du syndicat. Dans ces conditions, le droit pénal doit s’appliquer en relation avec les droits fondamentaux, ce que le jugement ne retient pas.

Enfin, le jugement consacre une liberté contractuelle absolue qui donne une marge de manœuvre totale à l’employeur. Or, les salarié-e-s sont dans une situation structurelle d’inégalité en tant que partie faible face à l’employeur. La reconnaissance d’une liberté contractuelle absolue par le juge pénal revient ainsi à consacrer la liberté du renard dans le poulailler, ce que l’on doit contester sur le fond en regard de la tradition syndicaliste et des droits fondamentaux.

Bruno CLÉMENT*

* Secrétaire régional de comedia