Soutenir Doris Leuthard? Quelle cohérence?

Soutenir Doris Leuthard? Quelle cohérence?

«La solitude ce n’est pas être seul, c’est être là où l’on n’est pas»
José Saramago

Une grande partie du mouvement des femmes en Suisse a fêté la journée du 8 mars dernier en réaffirmant sa solidarité envers les femmes migrantes, en particulier «sans statut légal». Au centre des préoccupations du mouvement féministe, un mot d’ordre: «Non à la loi sur les étrangers-ères, Non à la LEtr et la LAsi», ce qui implique notre démarcation claire et non notre solidarité avec celles et ceux qui ont défendu ces lois.

Un féminisme exigeant

En tant que «femme migrante», je me suis sentie ce même 8 mars «Féministe et fière de l’être». En même temps, l’adoption d’un tel slogan mérite, avec modestie, un regard rétrospectif sur les acquis et contradictions du mouvement. La journée de débats du 1er avril, organisée par solidaritéS, sur les liens entre féminisme et anticapitalisme, nous a offert une première occasion de nous y frotter.

Les récentes Assise du féminisme, organisées par les Femmes en colère de Genève, m’ont conduit à poursuivre cette réflexion, au sujet de l’appel à soutenir la seule et unique candidate à la succession de Joseph Deiss au Conseil fédéral, la démocrate-chrétienne Doris Leuthard. La question qui m’a travaillée était: avec quels argument pourrais-je soutenir cette candidature, en tant que «femme-migrante» de gauche?

Leuthard en actes

La lecture de pas mal d’articles et discours de Mme Leuthard, depuis son arrivée à la présidence de ce parti, m’a appris qu’elle est considérée comme une grande et habile politicienne au service du PDC. Comme telle, elle affirme qu’elle défendra les «valeur prônées par son parti, jusqu’à parvenir à le revivifier»1, ce qui m’a fait penser, vu la composition majoritairement de droite du gouvernement et du Parlement, qu’elle n’avait guère besoin de mon soutien.

Comme politicienne avisée au service de son parti, Mme Leuthard, sait qu’on ne jugera plus l’élue sur sa personne, mais sur ses actes. En substance: une main de fer «à la recherche des réformes sur la base d’une politique libérale-sociale» qui serait «la solution»2. Toujours avec sa présentation souriante face au «démons machistes» du Parlement, elle a tenté de faire passer la «douche froide» de la perte des acquis sociaux avec un discours «libéral en semaine» – pour ne pas dire dans la pratique – et «modéré le dimanche»3, comme le dit le slogan de la campagne PDC pour l’ouverture des magasins le dimanche.

Une politique xénophobe antisociale…

Derrière le charme du sourire et le prétendu besoin de croissance, la conseillère centriste a su avec une grande «souplesse d’esprit fournir un bon travail à la cause du PDC» dans le cadre des discussions sur la loi sur les etrangers-ères, la LEtr et la LAsi, en défendant les durcissements avec l’argument que «nous avons la responsabilité d’assurer le bon fonctionnement de l’Etat»4. Argument qu’elle ne partage pas quand il s’agit de défendre les prestations en faveur de la collectivité, au moment de refuser par exemple la proposition pour une caisse-maladie unique et sociale, sous prétexte de l’augmentation des coûts5. Ou quand elle défend le secret bancaire avec l’argument de la protection de la sphère privée des clients des banques et refuse l’imposition des stock-options versés à certains «collaborateurs»6.

…et pro-nucléaire

Il en va de même, lorsqu’elle demande des solutions pour le stockage des déchets hautement radioactifs: elle ose affirmer que «les déchets seront là et ils ne cesseront d’augmenter, qu’une nouvelle centrale nucléaire soit construite ou non», et que la question se pose donc de savoir s’il faut vraiment «privilégier la sécurité avant toute autre chose.»7.

Mon exercice de lecture s’est avéré enrichissant, ce qui me permet de vous avouer, que comme «féministes radicales», nous avons encore beaucoup de travail devant nous et que nous ne devrions pas soutenir un appel à voter pour Doris Leuthard. Quant à moi, je préfère choisir la cohérence de mes pensées et continuer à être, comme l’écrit Michelle Perrin, à «la quête à la recherche d’un monde idéal introuvable, le monde ou il n’y aurait ni dominants ni dominés». Et je vous avoue que celui-ci, je ne le trouve pas dans les discours et proposition de Doris Leuthard.

Ynés GERARDO

  1. Tribune de Genève, 10 mai 2006.
  2. Discours de D. Leuthard à l’assemblée de délegué-es PDC, 27 août 2005.
  3. Site D. Leuthard 2005 et slogans du PDC sur les heures d’ouverture des magasins.
  4. Site D. Leuthard 2005 et discours aux délégué-e-s du PDC le 14 janvier 2006.
  5. Argumentaire du PDC à propos de la caisse maladie unique, du 12 mai 2005.
  6. PV du vote sur le secret bancaire le 21 juin 2005 sur l’imposition des participations de collaborateur du 7 mars 2006.
  7. Interpellation 05.3390 du 16 juin 2006 sur le stockage des déchets radioactifs.