Vers une répression accrue du mouvement «anti-mondialisation»


Vers une répression accrue du mouvement «anti-mondialisation»

Le Département fédéral de justice et police vient de publier un rapport sur «le potentiel de violence résidant dans le mouvement antimondialisation». On y réclame le renforcement des bases légales et matérielles de l’action préventive de la police. La police fouineuse est de retour…

Jean Batou

Le rapport du DFJP annonce clairement la couleur: «Ce document souhaite apporter les fondements nécessaires au développement de stratégies et d’actions concrètes en réponse au mouvement antimondialisation.» Il a été rédigé à la demande de la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité. Tout d’abord, quels sont «les objectifs à long terme» de ce mouvement au potentiel criminel? Rien de moins «que de réduire, voire d’éliminer totalement les inégalités sociales, économiques et écologiques au sein des Etats et entre les Etats.» Voilà sans doute de fort bonnes raisons de lancer la police à ses trousses!


Les gauchistes des années 70 tirent les ficelles


Dès les premières lignes, l’obsession policière de la manipulation et du complot est à l’œuvre. Qui tire les ficelles? «De nombreux acteurs de l’actuel mouvemment antimondialisation sont issus de la Nouvelle Gauche ou des sphères néo-marxistes, actives principalement dans les années 70 (…) En effet, physiquement également, les personnes et les groupements qui résistent à la mondialisation sont les mêmes que ceux qui, dans les années 70, étaient dans la mouvance néo-marxiste, critiques à l’égard du système, ou sinon les successeurs directs de ce courant. En effet, «le corpus thématique développé par le mouvement antimondialisation sert avant tout aux mouvements de gauche opposés au néo-libéralisme et au capitalisme de base théorique pour la critique du système.»


Une folie destructrice …sans raison


La police est donc bien la seule à n’avoir pas aperçu l’émergence d’une nouvelle génération politique, au plein sens biologique et culturel du terme, en réaction à la radicalisation des pratiques quotidiennes du monde capitaliste… Elle discerne pourtant un objet social «indéfinissable». L’analyste peine devant la nouvauté: il s’agit de «différents groupements, mais aussi des individus non organisés et pour certains sans étiquette politique (…) Ces personnes tiennent la mondialisation pour responsable de tous les maux de la terre: pauvreté, faim, travail des enfants, manipulations génétiques, atteintes à l’environnement, restrictions salariales, hégémonie, etc. (…) On peine d’ailleurs à comprendre le potentiel de violence dont font actuellement preuve certains jeunes. Souvent cette violence se manifeste par une folie destructrice, apparemment sans raison, ou par une agressivité extrême à l’égard des personnes.»


La violence selon Karl Marx


Et puisqu’on peine à comprendre, on en revient à la bonne vieille logique policière… «L’attitude des militants à l’égard de la violence trouve là aussi ses racines dans la pensée marxiste, sur laquelle une partie d’entre eux se basent. Dans les années 70 déjà, la Nouvelle Gauche partait du principe que toute action dirigée contre les organes de l’Etat, qu’elle soit pacifique ou non, est la réponse légitime à la violence exercée par l’appareil étatique et par la classe dominante (violence structurelle) (…) Certains groupes terroristes ou extrémistes violents, actifs dans les années 70, ont rallié le mouvement antimondialisation et participent aux actions des militants.» De toute façon, le diagnostic est clair: «L’utilisation de la violence pour imposer certaines idées est une solution de plus en plus unanimement acceptée dans la masse jusqu’alors majoritairement pacifique des militants anti-mondialisation (…).» Le grand public y serait d’ailleurs de moins en moins hostile.


Donner de nouveaux moyens à la police


Le rapport devient plus sérieux lorsqu’il préconise le développement de nouveaux moyens d’action policiers. Tout d’abord, «un approfondissement de la collaboration entre les différents services de sécurité, et ce aussi bien au plan national qu’international (…) en vue de l’échange d’expériences et d’informations.» Les récentes propositions allemandes de police européenne contre le mouvement anti-mondialisation trouveront sans doute des oreilles attentives à Berne. Il déplore ensuite «le cadre juridique actuel, [qui] limite en effet les moyens que les forces de sécurité sont à même de déployer à titre préventif au moment même où le besoin s’en fait sentir.1» L’inculpation toute récente de Luca Casarini, porte-parole des Tute Bianche, en Italie, pour «association de malfaiteurs», donne l’exemple!


«On connaît mal l’organisation interne et clandestine du mouvement, qui fonctionne par échange d’e-mails et par rencontres discrètes; elle est également difficile à surveiller», déplore le rapport. Pourtant, on y «discute et planifie parfois des actions violentes (…) [qui] prennent la forme d’actes de sabotage…» Aucun doute n’est donc permis, il s’agit d’un plaidoyer pour le retour en force de la police fouineuse et nous aurions bien tort de le sous-estimer.


1 «Sont comprises dans ces moyens les mesures préventives contre les appels à la violence rendus publics par différents biais, ainsi que contre d’autres délits (mesures contre les administrateurs des pages Internet, les fournisseurs d’accès, les producteurs et les distributeurs de matériel de propagande, etc.)»