Anti-démocratisation des études et privatisation rampante

Anti-démocratisation des études et privatisation rampante

solidaritéS et le PST/POP, comme les élu-e-s d’«A gauche toute!», appellent à refuser les nouvelles dispositions constitutionnelles sur la formation. On trouvera plateforme et arguments de la Coordination nationale «NON le 21 mai» sur notre site Internet. Nous publions ici des extraits d’un article de Michel Vincent, enseignant à l’Ecole d’Ingénieurs de Genève HES-SO et syndicaliste, qui explique ce qui est déjà en application dans les Hautes Ecoles Spécialises (HES) qui serviront de modèle à ces «réformes».*

Avec ces «articles constitutionnels sur l’éducation», c’est une révision en profondeur du paysage suisse de formation qui est annoncée. Au nom d’une prétendue «harmonisation», […] les HES ont constitué le «ballon d’essai» des mesures de prise de pouvoir – et de déficit démocratique – imposées aux cantons. Sous l’aspect anodin de «coopération et coordination», il s’agit véritablement de mesures de contrôle et de contrainte, accentuées par la «performance» et la diminution de moyens […].

Contexte suisse et européen

[…} Ces modifications constitutionnelles touchent l’ensemble de la formation (du primaire au tertiaire). Pour les formations supérieures, elles modifient les «règles du jeu» (restructuration en profondeur) et sont concomitantes avec:

  • La mise en place, depuis 1999, du «processus de Bologne» à l’échelle européenne.
  • La modification des parcours d’études et des titres au niveau tertiaire (modèle anglo-saxon).
  • La mise en place des sept HES (pour les formations professionnelles tertiaires)
  • La «refondation du paysage suisse des Hautes écoles», restructurant l’ensemble Uni-EPF-HES.
  • Le développement d’un «espace européen de formation» (équivalences, mobilité, «rationalisation»).
  • La transition vers la «société des savoirs» (ou «de l’information»), accompagnée de la «flexibilisation» du travail.
  • Le renforcement de la mondialisation économique néolibérale, avec rôle réduit de l’Etat, et privatisation rampante des services.

Pour les étudiant-e- s, le modèle de Bologne n’offre pas que des avantages. En réalité, au delà de la «reconnaissance internationale» se profilent les «4 S», déjà à l’œuvre dans les HES:

  • Segmentation des parcours d’études (et interruptions prématurées).
  • Sélection accrue par le biais des finances ou de l’accessibilité.
  • Sous-financement planifié et efforts «d’autonomie» des écoles.
  • Soumission au marché et aux besoins directs de l’économie […].

L’article 48-a, al. 1-c, est instructif.

«A la demande des cantons intéressés, la Confédération peut donner force obligatoire générale à des conventions intercantonales ou obliger certains cantons à adhérer à des conventions intercantonales dans les domaines suivants: […] hautes écoles cantonales.»

Pour qui n’a pas goûté à cette potion, le projet des Hautes écoles spécialisées en Suisse correspond à une réforme sans précédent des formations professionnelles supérieures. Si 4 HES sont «cantonales» (BE, ZH, TI, LU), les 3 autres sont «intercantonales», notamment celle de suisse romande (HESSO). Cette dernière résulte d’un Concordat et d’une Convention, qui ont largement vampirisé les prérogatives cantonales […] Au stade initial […] apparurent des contraintes rapidement devenues excessives:

  • Centralisme et autoritarisme fédéral, densité normative élevée, au détriment des prérogatives cantonales.
  • Recherche permanente de «rentabilisation» par économies d’échelle et «concentrations» imposées.
  • Mainmise grandissante de la finance et de l’économie privée, décideurs importants du système.
  • Application permanente du principe de «concurrence [entre écoles] et collaboration [avec l’économie privée]».
  • Formatage (actuel) des parcours de formation, segmentation des études (Bologne), atteinte à la qualité…

Aujourd’hui, le Fédéral se désengage (après avoir pris le contrôle intégral des HES): sa participation est passée de 33% annoncés à 26% depuis 1999 (perte de 20%). Dans le même temps, les «forfaits étudiants» […] ont diminué – en francs constants – de 15,9%, cette baisse devant atteindre 20% en 2008! Le taux d’encadrement diminue, au profit de «nouvelles missions» (recherche) imposées, mais insuffisamment financées.

Grâce à la perpétuelle augmentation de la «masse critique» exigée pour maintenir une filière, le ménage se poursuit, avec la disparition progressive de filières locales de formation, par «fusion» ou par «délocalisation» au détriment de l’offre de formation pour les jeunes […]

Les articles 61-a, al. 2, et 63-a, al. 4, sont lourds de menaces

[…] Les «organes communs» [qu’ils prévoient] sont des dispositifs de contrôle et de contrainte, situés sur un nouvel échelon décisionnel «supra-cantonal». Pour la HESSO, le Concordat et la Convention, adoptés par les cantons, donnent le pouvoir suprême de décision aux Conseillers d’Etat des départements de tutelle (ex: DIP) regroupés dans le «Comité stratégique». Préparées par le «Comité directeur» (intercantonal), les décisions ratifiées par le Comité stratégique ne sont pas susceptibles de recours au niveau cantonal, ni au niveau fédéral. Il s’agit d’un véritable déficit démocratique […].

Les articles 63-a, al. 4, et 64, al. 2, sont trompeurs

«Hautes écoles […] La Confédération et les cantons veillent ensemble à la coordination et à la garantie de l’assurance de la qualité dans l’espace suisse des hautes écoles. […] La Confédération peut subordonner son soutien notamment à l’assurance de la qualité […].»

La belle affaire que cette «assurance qualité». En réalité, ce n’est pas tant la «qualité» qui est recherchée, que l’efficience et la docilité. Les HES, qui ont connu deux évaluations au niveau national depuis 1999 (les «Peer review» de 2001 et 2003) ont compris que leur accréditation – et leur survie – était en jeu, surtout sur la base d’objectifs à caractère «managérial». Dans un jargon de consultant, il était question de «input», «outcome», «benchmarking» et «cost efficiency». Sur la foi de rapports d’experts, il s’en est suivi une évaluation globale orientée vers un «palmarès», largement dominé par les économies d’échelle et la diminution programmée du nombre de filières. […] Car, en définitive, il s’agit de «faire plus avec moins»… Conclusion: Votons NON le 21 mai […]

Michel VINCENT

* Article a été rédigé pour aRobase journal de la Coordination Enseignement genevoise dans lequel vous pourrez le retrouver en entier, comme sur notre site www.solidarites.ch