Abattons les murs, pour la libre circulation des personnes !


Abattons les murs, pour la libre circulation des personnes !


Dans toute l’Europe le débat sur la politique migratoire est à l’ordre du jour. Les mouvements de lutte des sans-papiers, en France, en Espagne, en Italie et aujourd’hui en Suisse, contribuent à mettre en évidence le mensonge institutionnel qui en constitue la pierre angulaire, à savoir la soi-disante maîtrise des flux migratoires.

Jean-Michel Dolivo

Or les frontières ont toujours été et resteront des passoires! C’est un constat: à l’échelle européenne, ce sont quelque 500’000 personnes qui pénétreraient chaque année illégalement sur le territoire de l’Union européenne. Presque deux millions d’étrangers clandestins ont vu leur situation légalisée, a posteriori, à travers des opérations de régularisation, et ce depuis les années 70. En Suisse les personnes illégalisées du fait de la politique discriminatoire des autorités seraient au nombre de 150’000 à 300’000.

Des politiques migratoires…

Dans de nombreux secteurs économiques, des voix se font entendre aujourd’hui pour que soit mis en place un dispositif d’immigration répondant mieux aux besoins des employeurs, tout en maintenant les immigrés dans une situation juridique et sociale de précarité, afin qu’ils ne soient pas tentés de faire valoir leurs droits. Dans ce contexte, le mouvement des sans-papiers qui s’est développé ces derniers mois a rendu public très largement le caractère inacceptable, sur le plan des droits de la personne, des conséquences de la politique migratoire des autorités fédérales. Les sans-papiers, en se manifestant notamment par des occupations d’églises ou de lieux publics, revendiquent des droits élémentaires, en particulier le droit d’abord de voir leur séjour (qui s’élève souvent à de nombreuses années) reconnu par les autorités – celui d’avoir un «papier» -, le droit pour eux et leur famille d’avoir un accès à la santé, à la formation, le droit d’aller et venir sans craindre un renvoi immédiat.

…en fonction des besoins des employeurs

Dans les mois qui viennent les Chambres fédérales s’apprêtent à débattre d’une nouvelle loi sur les étrangers (LEtr), dont le but même, selon le message du Conseil fédéral, est de donner une base légale – jusque là insuffisante – à la politique migratoire helvétique. En d’autres termes cette législation doit inscrire noir sur blanc les discriminations, selon l’origine des personnes, en matière de séjour. La LEtr va ainsi contribuer à fabriquer de nouveaux clandestins!

Interrogée sur sa position en rapport avec ce débat, Christiane Brunner, présidente du PSS, dans le journal Le Temps du 30 juillet 2001, déclare notamment: «Le Conseil fédé-ral devrait procéder à une amnistie générale pour tous les sans-papiers qui se trouvent en Suisse depuis une durée minimale, disons au moins une année, et ce pour autant qu’ils aient un travail » (…). «L’amnistie est une condition préalable à un renforcement des mesures répressives qui soit sensé et ait des chances d’être efficaces».(…) «Je suis favorable à la création de véritables permis de courte durée pour les activités saisonnières. Si cet instrument existait, la plupart des agriculteurs recourraient à des engagements légaux et paieraient des salaires convenables»

Ces propositions ont un goût de réchauffé, elles reprennent entièrement à leur compte une conception utilitariste de l’immigration, comprise pour l’essentiel comme un réservoir de main d’œuvre. Elles rejoignent, sur le fond, le point de vue de Pascal Couchepin, le très libéral ministre de l’économie. Tout d’abord le terme même d’amnistie en dit long: comme si les personnes sans-papiers avaient commis un délit! Mais surtout la régularisation est conçue comme mode de gestion de la force de travail: on laisse, en fermant hypocritement les yeux, les personnes concernées entrer dans les circuits de travail au noir ou au gris (déclarées par leur employeur aux assurances sociales obligatoires et s’acquittant de leur impôt), puis on régularise. Cette main d’œuvre étrangère accepte plus facilement des conditions de travail plus flexibles, des bas salaires, le travail de nuit et du dimanche!

Se battre pour les droits de tous les sans-papiers

A la question de savoir si sa position suppose que l’immigration ne saurait être illimitée, Christiane Brunner répond: «L’idée de limite est inhérente à une politique migratoire basée sur le marché du travail. S’il n’y a plus de travail, le robinet se ferme. Mais l’attrait de la Suisse diminue alors aussi automatiquement pour les étrangers. La limite se donne d’elle-même, mais limite il y a (…).» Les pays dominés, d’où viennent ces travailleurs/euses, sont ainsi considérés comme de simples réservoirs de main d’œuvre dans lesquels on puise, selon les besoins en bras ou en cerveaux des pays riches. Importer de la main d’œuvre «de qualité», c’est-à-dire correspondant aux «besoins» du marché du travail, implique non seulement de la maintenir dans un statut de séjour précaire, mais aussi dans des conditions de travail et d’existence qui répondent au mieux aux intérêts des employeurs, notamment bas salaire, protection sociale réduite, contrat de durée limitée, aucun droit au regroupement familial. Le Président de la Commission européenne, Romano Prodi, a du reste très bien résumé ce nouvel (à vrai dire très ancien) utilitarisme migratoire en déclarant: «Nous avons besoin des immigrés, mais ils devront être choisis, contrôles et placés».

Aujourd’hui tout circule librement sur la planète, sauf les femmes et les hommes! Marchandises et les capitaux n’ont pas de frontières. La libre-circulation des personnes est une exigence démocratique essentielle. «On ne peut accueillir toute la misère du monde», rétorque, la bouche en cœur, celles et ceux qui contribuent à creuser, par leur politique, les inégalités entre pays dominants et pays dominés, et, à l’intérieur même de ces pays, entre riches et pauvres. Les principaux mouvements migratoires ont lieu pourtant entre pays dominés eux-mêmes et de plus personne ne fait jamais le choix librement d’émigrer, de tout quitter. La libre circulation des personnes doit s’accompagner de l’égalité de traitement pour toutes et tous, tant sur le plan des conditions de travail, de la protection sociale et que sur celui de la citoyenneté. L’exigence démocratique va de pair avec la nécessité de garantir à chacun et chacune des conditions de vie dignes. C’est un des enjeux primordial de la lutte des sans-papiers pour la reconnaissance de leurs droits.