Féministes et fières: Genève 8 mars 2006

Féministes et fières: Genève 8 mars 2006

Qui n’a jamais entendu une femme affirmer «je ne suis pas féministe, mais…», et se lancer ensuite dans un discours critique sur un aspect ou l’autre de la position sociale réservée aux femmes, un discours auquel n’importe quelle féministe souscrirait..? Comment alors ne pas se sentir heurtée, blessée, lorsque l’on est soi-même féministe? et bien sûr, on se dit, mais pourquoi donc ne veut-elle pas se dire féministe? Quel est cet énorme malentendu qui fait que des femmes ne veulent pas se dire féministes?

A l’occasion de ce 8 mars 2006, un petit groupe de féministes genevoises a voulu rappeler ce qu’est le féminisme et affirmer haut et fort que nos luttes et les changements que nous avons promus ont déjà grandement amélioré la position sociale de nombreuses femmes dans les sociétés occidentales, et que ces changements ont également contribué à atténuer, dans certains milieux, le conditionnement sexiste imposé aux hommes et aux garçons.

Un humanisme

Le féminisme est tout d’abord un humanisme qui vise à libérer les femmes et les hommes des carcans dans lesquels la société les enferme pour qu’elles/ils puissent choisir leur rôle social. Il suffit de se référer à la position des femmes dans la société des années 1960 pour voir que les inégalités et le manque de respect étaient leur lot quotidien et constant.

Le principe constitutionnel de l’égalité des droits n’a été adopté qu’en 1981. Que ce soit pour le droit de vote, obtenu au plan fédéral en 1971, le droit à un emploi pour les femmes mariées, le droit de choisir sa maternité, de disposer de son propre corps, de vivre librement son orientation sexuelle, de devenir mère et de continuer à travailler, de choisir son orientation professionnelle, de ne pas être la domestique de son époux, jusqu’au droit de s’endetter… Pourquoi et comment cette position a-t-elle changé?

Ces changements n’ont eu lieu que parce que des femmes ont lutté contre les a priori, se sont organisées, ont écrit, parlé, revendiqué et manifesté sans relâche. Et c’est bien ça, le mouvement féministe. C’est pour cela que nous sommes fières de nous dire féministes.

Lutteuses

Outre les changements de lois discriminatoires, déjà cités, le féminisme a aussi fait évoluer les mentalités. Dans les années 60, personne n’aurait remarqué que le Conseil d’Etat genevois n’était composé que d’hommes. Aujourd’hui, beaucoup de gens ne trouvent plus que ça va de soi que les femmes soient absentes des structures de pouvoir. Pourquoi les gens sont-ils dérangés? Parce que nous n’avons cessé de dire et d’argumenter que les hommes ne sont pas les femmes et que donc, la réelle égalité, c’est 50% de femmes partout. (…)

En dépit de ces avancées, les enjeux actuels pour le féminisme sont de taille. Prenons deux exemples qui sont en continuité avec les revendications sur lesquelles le féminisme s’est construit dans les années 60.

D’abord, le travail domestique et son externalisation: les manières dont il est sous-traité1. Aujourd’hui encore, ce sont les femmes qui sont assignées au travail domestique. Quand on entend parler de prise en charge par la famille (personnes âgées, enfants gravement malades ou nécessitant des soins particuliers, jeunes en difficultés, etc.), il s’agit en réalité des «femmes».

Sans statut légal

(…) Il est grand temps que les femmes qui travaillent dans le secteur de l’économie domestique puissent obtenir un permis de séjour et de travail et ne soient plus contraintes à la clandestinité. Toutefois, les lois suisses ne permettent pas que des travailleuses et des travailleurs considéré-e-s comme peu qualifié-e-s puissent obtenir un permis si elles/ils proviennent de pays non européens. Le «secteur de l’ombre»2 qu’est l’économie domestique est particulièrement concerné par cette impossibilité, qui engendre l’absence de statut pour des dizaines de milliers de personnes, dont une majorité de femmes.
Le travail que fournissent les femmes migrantes, dont une grande partie sont sans statut, permet à l’Etat de ne pas investir davantage dans des infrastructures telles que les Etablissements Médicaux Sociaux et les crèches. Nous, féministes, souhaitons qu’il y ait un débat public sur une organisation sociale et du travail différente, et une réflexion sur les tâches reproductives (éducation et soins aux enfants, aux personnes âgées et/ou malades, tâches ménagères) que l’on pourrait, ou pas, sous-traiter. Lorsqu’il y a sous-traitance, nous voulons que ce soit avec un statut digne pour les femmes et les hommes qui effectuent ce travail indispensable.

Nous, féministes, combattons la Loi sur les Etrangers (LEtr) et la Loi sur l’asile (Lasi), qui ne font que multiplier les barrières entre les populations du Sud et celle du Nord. Les femmes sont davantage touchées (cf. No 83 de Solidarités).
Nous, féministes, questionnons un modèle migratoire basé sur deux cercles, les Européen-ne-s «intégrables» et les autres, qui fabrique de toutes pièces des personnes sans statut légal. A moyen terme? A long terme? A perpétuité?

Chosifiées

Concernant le droit de disposer de notre propre corps, des pas titanesques ont été accomplis. Pourtant, la sursexualisation du corps des jeunes filles, l’utilisation du corps des femmes dans les médias, les troubles alimentaires dont souffrent de plus en plus de femmes, de plus en plus jeunes (un pourcentage d’hommes également, mais bien plus faible), sont autant de situations qui montrent qu’il reste encore du chemin à parcourir. Nous, féministes, ne voulons plus que les femmes aient à se conformer à des images et à des normes qui les réduisent à l’état d’objet.

Il y a donc encore beaucoup à faire; c’est pourquoi, nous continuons à œuvrer pour que les femmes et les hommes aient la possibilité, partout, de pouvoir vivre dans un monde plus juste et de s’épanouir comme elles-eux le décident.

Michèle GOEPFERT et Lætitia CARRERA

  1. Depuis le 8 mars 2003, le Collectif du 14 juin travaille sur la thématique de la féminisation de la migration, du travail domestique et de son externalisation. Les appels Pour le partage du travail domestique entre hommes et femmes et Pour la régularisation collective des personnes sans statut légal thématisent différents axes de réflexion et énoncent des propositions concrètes, dont plusieurs point sont repris ici.
  2. Expression empruntée au syndicat SIT (2004), Un secteur et des travailleurs-euses dans l’ombre, Régularisons les sans-papiers et le secteur de l’économie domestique, Genève, Bulletin d’information, 93.