Forum Social Mondial de Bamako: quel impact sur la société au Mali?
Forum Social Mondial de Bamako: quel impact sur la société au Mali?
«Les citoyens unis sont les acteurs du changement» fut l’un des slogans de la manif d’ouverture du FSM. L’Afrique est un «continent victime» clame un participant malien au FSM à Bamako, subissant les effets néfastes d’un système globalisé, des règles déloyales de l’économie des pays riches, sans profiter de leurs investissements. Mais «il faut cesser de contenir l’Afrique dans un misérabilisme» reposant sur la charité et l’aide humanitaire à court terme, se fondant sur l’incapacité des individus à construire une «autre Afrique».1
Sur le terrain, ça change! Face à l’apathie persistante des gouvernements, la société civile veut prendre les choses en main.2 Un sentiment de responsabilité individuelle, puis une conscience citoyenne réveillée, débouchent sur une forte volonté de participation de mouvements sociaux de base à la transformation des conditions de vie. Reprenant la devise de Sankara «mieux vaut un pas avec le peuple que cent pas sans le peuple», des groupes de résistance émergent, notamment sous l’impulsion des forums sociaux régionaux, continentaux et mondiaux.
Effervescence populaire
Associations, communautés de quartiers, groupes de jeunes et de femmes se multiplient. Le Forum Social Africain amplifie la dynamique et consolide les liens entre ces partenaires. D’autres conférences thématiques (sur le coton, le commerce, face aux APE3) et la création de réseaux internationaux sur la démocratie ou la liberté de presse révèlent cette ébullition sociale.
Au FSM 2006 au Mali, on sent une forte volonté des Africain-e-s (surtout Malien-ne-s) à participer aux débats. Les échanges sont riches. Même si sur les 20 000 inscrits officiellement certains sont dépassés par le contenu des ateliers. Au forum des femmes, une dame m’explique que «la plupart ne savent pas pourquoi elles sont là»: problème d’alphabétisation, prépondérance du français (beaucoup ne parlent que le Bambara), nouvelle manière d’appréhender les difficultés de la vie et d’en saisir les causes, venue par simple curiosité Des raisons expliquant cette mal-compréhension.
Les mobilisations populaires ne sont pourtant pas nouvelles, surtout au Mali: nombre de grèves y ont été organisées depuis le milieu du siècle passé, contre des licenciements massifs ou de soudaines hausses des prix. Depuis les années 80, l’entrée du continent dans une économie néolibérale (privatisation des services publics, eau et électricité) et les problèmes de prestations désastreuses de santé ont causé des révoltes sociales en Afrique du Sud, au Ghana, au Mali, intensifiées en 1990, période de nouveaux ajustements structurels dévastateurs.
Pour la souveraineté alimentaire
Migration, dette, droits des femmes ont été au centre des débats en 2006, comme la question de la souveraineté alimentaire. Alors que de nouvelles puissances Inde et Brésil émergent sur la scène défendant des intérêts propres, le Mali est à la proue de la lutte pour une agriculture respectant les spécificités locales, refusant l’imposition de monocultures extensives d’exportation et les coûteux et dangereux OGM4 ou pesticides.
Avec une économie à forte composante rurale, le but est d’abord de couvrir les besoins alimentaires plutôt que de faire des bénéfices. Les techniques de culture sont traditionnelles, peu modernes, mais adaptées à l’environnement. Cependant, les règles de concurrence mondiale obligent l’agriculture viable et rentable des Malien-ne-s à chercher d’autres moyens pour être plus productifs. Le FMI et l’OMC poussent à ce que l’abondant coton du Mali ne soit pas transformé sur place mais exporté5 (comme d’autres matières premières d’Afrique de l’Ouest.) Une concurrence loyale, la nécessaire révision des attributions de subventions aux pays «riches», le respect de la biodiversité locale et la valorisation du savoir-faire agricole local ont ainsi été des thèmes récurrents des débats.
Non au tout-au-marché
Bien que la sauce semble bien prendre entre Afrique et forums sociaux, on sent un besoin des revendications africaines de se démarquer. Les luttes altermondialistes d’outre-mer sont une collaboration indispensable au niveau des échanges d’expériences, d’idées, de compétences. Les forums créent des énergies positives localement et, hormis des cas isolés d’ONG, les menaces de récupération, subordination ou paternalisme, n’inquiètent guère les associations locales sachant garder leurs distances. Mais les Africain-e-s en ont assez d’être assistés et savent quelles mesures prendre pour leur avenir. Amadou Diakité de l’association «Yeleen»6 pense que l’Afrique doit construire avec ses spécificités une politique agricole propre: la sauvegarde du «patrimoine génétique» malien et l’identité culturelle fondée sur l’économie rurale. « Le tout-marché ne nous convient pas » dit-il « Il faut cesser de ne cultiver que pour le reste du monde et de devoir consommer les produits finis importés! » Ceci ne signifie pas pour autant une fermeture aux échanges commerciaux extérieurs.
Par ailleurs, le Mali et certains pays voisins ne souhaitent pas la voie de l’industrialisation sans limite. La population a un savoir-faire extraordinaire (par ex. la fabrication d’habits en coton) à mieux valoriser. «Le Mali a besoin d’un peu d’industries, mais pas comme en Occident: des corporations, des coopératives, priorisant la main d’uvre humaine et pas les machines» rétorque-t-il. Certes augmenter quelque peu leurs capacités techniques ne serait pas mauvais selon Amadou, mais pas d’agrobusiness ni d’OGM, synonymes d’appauvrissement.
Vers une démocratie citoyenne
L’effervescence des mouvements sur place est frappante et contredit l’approche de l’événement défaitiste ou superficielle des médias. Mais les barrières auxquelles ils se heurtent sont nombreuses: fragmentation entre tradition et modernité, manque de moyens financiers, développement «assisté» aux effets fâcheux (impossibilité d’autonomie pour les projets, ajustements structurels, conception nordiste du développement imposé, dettes ), clientélisme et corruption de l’Etat, récupération politique, etc.
Les grands défis? Que la démocratie formelle devienne une démocratie citoyenne; que l’Afrique puisse décider des conditions de son «développement» futur. Passant par la souveraineté, l’intégration au commerce mondial ou un mélange des deux? L’enjeu prioritaire est sans doute la façon dont le Mali pourra soutenir la jeunesse, force de changements pour l’avenir: avec une éducation adéquate, de quoi se soigner, de quoi travailler.
Gaétan MOREL
- Dans notre No 81, le compte-rendu à chaud du Forum social mondial de Bamako par N. Wehrspan a suscité cette contribution. Un «autre son de cloche» comme nous l’a écrit son auteur de retour lui aussi du FSM de Bamako.
- Les pouvoirs publics n’assument pas la gestion des tâches les plus élémentaires, comme la voirie.
- Projets d’accords de libre-échange avec l’UE prévus d’ici 2008.
- L’utilisation d’OGM implique l’achat aux occidentaux de semences très chères.
- Ce qui expose les paysans aux «risques» de production sans les revenus plus intéressants des produits commercialisables.
- Cette association soutient des projets alternatifs d’aménagement de l’environnement impliquant les habitants de quartiers de Bamako et promeut la production bio du coton et sa transformation au Mali.