Théâtre féministe: appeler un chat un chat

Théâtre féministe: appeler un chat un chat

L’auteure

Eve Ensler naît en 1953 à New York dans une famille de la classe moyenne américaine. Mère au foyer et père cadre dans une entreprise, de l’extérieur tout semble parfait. Mais le père abuse d’Eve, durant de longues années, la mère le sait et se tait. Adolescente perturbée, elle commence à vivre en découvrant la littérature et la poésie, elle croit enfin en elle. Sa rencontre avec le féminisme lui permet de pardonner le silence maternel. Elle comprend que sa mère s’est tue par soumission et pour garder un niveau de vie agréable, elle qui n’avait connu que la pauvreté. Les mots des autres femmes résonnent en elle et lui permettent de guérir de ses propres maux. Elle reconnaît que « c’est l’écriture et le militantisme qui lui ont sauvé la vie. »

Même si son principal terrain de lutte est la cause des femmes, elle est farouchement opposée à l’invasion de l’Irak et à l’impérialisme américain qui est pour elle « l’ultime degré du patriarcat. » (met)

Pour la journée internationale des femmes, Les Monologues du vagin seront joués à Genève. C’est en rassemblant les témoignages de plus de 200 femmes « âgées, jeunes, mariées, célibataires, lesbiennes, professeures, actrices, musulmanes, chrétiennes, juives, noires, blanches… » qu’Eve Ensler, féministe et dramaturge, a écrit cette pièce. Elle raconte d’une part toutes les violences infligées aux femmes et à leur corps, mais dit d’autre part que la mise au jour de ces expériences est salvatrice pour les femmes. Oser dire, parler du vagin « parce que ce qu’on ne dit pas devient un secret, et dans les secrets, souvent s’enracinent la honte, la peur et les mythes. Le dire pour arriver, un jour, à le dire sans gêne, sans honte et sans culpabilité. » C’est se reconnaître en tant qu’être sensuel et vivant.

Durant trois ans, Eve Ensler va sillonner le monde en présentant son texte. A toutes les représentations, elle recueille des témoignages de viols, d’abus, de harcèlement, de mutilations génitales. Elle constate que les violences contre les femmes sont une véritable épidémie. Où qu’elle aille elle entend les mêmes horreurs. Elle imagine alors un monde sans oppression des femmes, c’est ainsi qu’est né en 1998, le V-day, jour pour célébrer les femmes et mettre un terme à la violence, comme un clin d’œil elle le fixe le 14 février, fête de la St-Valentin. Elle passe alors son texte des Monologues du vagin à d’autres femmes, militantes ou non, pour qu’il soit joué partout. Il est accompagné d’un cahier des charges: suivre scrupuleusement le texte, être une femme pour le déclamer, jouer bénévolement et verser les recettes à une association qui lutte contre les violences faites aux femmes.

Plus qu’une pièce de théâtre, les Monologues du vagin deviennent un label féminin et féministe pour que les souffrances puissent s’exprimer et que les plaisirs du corps soient enfin reconnus. Le V-Day est célébré de New York à Islamabad, de Paris à Kaboul. En 2004, des femmes afghanes ont présenté les Monologues du vagin , en solidarité avec leurs sœurs irakiennes.

De l’intimité du corps féminin, Eve Ensler est passée à l’extérieur, à l’enveloppe. En 2005, elle monte sa pièce The Good Body , elle y explore et dénonce la tyrannie de la beauté, faisant de la femme son propre bourreau. Pression de la société à être parfaite et intériorisation de ses normes par les femmes. « La pression est forte sur les femmes. Le capitalisme a toujours quelque chose à vendre, le patriarcat ne les trouve jamais assez belles, le modèle judéo-chrétien jamais assez pures .» Pour s’adapter à la culture dans laquelle elles vivent, elles se trouvent contraintes de modeler, changer, cacher ou mutiler leur corps.

Marie-Eve TEJEDOR


La pièce à Genève

Les Monologues du vagin seront présentés en français et en anglais par cinq femmes (voir notre Agenda). La recette est destinée à Solidarité-femmes. Nous rencontré la productrice et comédienne, Katrina Syran, qui sera sur scène ce 8 mars.

Qu’est-ce qui t’a touchée dans cette pièce?

Le sujet est grave mais ce n’est pas larmoyant, l’humour est très présent. Cette pièce me conforte dans l’idée que les femmes sont plus fortes et courageuses que les hommes, mais qu’elles ne peuvent pas s’imposer notamment quand il y a de la violence physique. Ce qui est également important c’est la reconnaissance du corps, de la sexualité et du sexe des femmes. Si ça permet de faire tomber des tabous c’est positif. Mais ce qui est essentiel c’est le combat à mener contre les violences et l’oppression que les femmes subissent. Parmi ces violences, le viol me révolte particulièrement parce qu’un homme qui le commet ne respecte pas la femme, c’est évident, mais aussi parce qu’il détruit le lieu d’où il vient, finalement il ne se respecte pas lui-même. L’une des dernières phrases de la pièce est magnifique, c’est la comparaison entre le cœur et le vagin, deux organes sources de vie.

Tu es originaire de Norvège, les femmes y sont aussi discriminées, mais il y a des mesures pour favoriser l’égalité…

Effectivement, la maternité et la naissance sont reconnues pour la mère et le père. Une jeune mère reste durant un an avec son bébé, en étant payée à 80%, elle est assurée de retrouver son poste ensuite. Le père dispose, lui, d’au moins un mois de congé. Ces mesures sont facilement applicables par les grandes entreprises, mais c’est plus dur pour les petites qui ne peuvent pas toujours assurer deux salaires pour un seul poste. On ne peut exclure une discrimination à l’embauche en défaveur des femmes. Les hommes au foyer sont bien plus nombreux qu’ici. Certaines Norvégien-ne-s trouvent que les mesures pour l’égalité coûtent trop cher. Il faut se rendre compte que ce qui est dépensé maintenant, n’est rien par rapport à tout ce que les femmes ont fait économiser, durant des années, avec leur travail non rémunéré. De plus, démographiquement, c’est nécessaire d’avoir des enfants et ça demande quelques mesures politiques.

Tu as un autre projet de pièce avec des monologues de femmes?

J’ai repris des personnages féminins de 3 pièces d’Ibsen et j’en ai fait des monologues. Ces femmes fort différentes représentent des facettes dans lesquelles chacune peut se reconnaître. (met)