Parité femmes-hommes en politique: comment y arriver? Par les quotas?

Parité femmes-hommes en politique: comment y arriver? Par les quotas?

En janvier 2000, l’AG de solidaritéS prenait position majoritairement pour l’initiative des quotas (nous n’étions pas unanimes) et faisait campagne en sa faveur. Le 12 mars 2000, l’initiative était descendue en flèche par une énorme majorité des votant-e-s: 82% de refus (69% à Genève), l’un des échecs les plus retentissants de l’histoire des initiatives populaires en Suisse. Toute velléité d’imposer la parité hommes-femmes dans les institutions politiques semblait écrasée… Et pourtant, l’idée de mesures positives fait son chemin. Ce débat a été furieusement relancé à Genève, cet automne, par le mouvement Femmes en colère. La politologue Léa Sgier a analysé le processus et ses résultats pour les femmes, dans les pays ayant adopté des quotas. Cette contribution participe à la préparation de la journée de réflexion ouverte, que nous organisons le samedi 1er avril, autour du thème «Lutter contre le patriarcat et le capitalisme».

Les quotas de femmes en politique ont la vie dure: ils seraient une mesure anti-démocratique, une tyrannie de l’Etat, une restriction inacceptable de la liberté de l’électeur, une discrimination inversée qui ne laisserait plus «aucune chance» aux hommes. Ils réduiraient la femme à son corps et la politique à la biologie, conduiraient à l’élection de femmes incompétentes, infantiliseraient les candidates et stigmatiseraient les élues, rendraient le processus électoral intransparent. Au mieux, ils seraient simplement inutiles: après tout, les femmes n’ont qu’à élire des femmes si elles veulent l’égalité; d’ailleurs elles n’ont qu’à se lancer plus nombreuses si elles veulent plus de pouvoir; enfin, l’actualité politique montre que les femmes peuvent très bien réussir sans quotas, comme on le voit avec Angela Merkel, Ellen Johnson-Sirleaf, Michelle Bachelet, Tarja Halonen, Hilary Clinton, Condoleeza Rice, Ségolène Royal et autres présidentes ou potentielles présidentiables1.

Bref, les quotas seraient une idée saugrenue de quelques féministes aveuglées par leur dogmatisme (ou par leur supposée haine des hommes, c’est selon) au point d’avoir oublié tout bon sens démocratique.

Les quotas, ça marche…

Le réquisitoire est connu et il fait son effet: depuis le rejet de l’initiative des quotas en votation populaire en mars 20002, le sujet a pratiquement disparu de l’agenda politique. C’est dommage, car les quotas de femmes valent mieux que la réputation qui leur est souvent faite: loin d’être une mesure «extrémiste» et exceptionnelle, c’est aujourd’hui un instrument de politique publique largement répandu. L’Argentine a été le premier pays à introduire des quotas de femmes obligatoires pour les élections parlementaires en 1991; elle a été suivie par une quarantaine d’autres pays à travers le monde3.

Sans être un remède miracle à la sous-représentation politiques des femmes, les quotas «marchent». Ils ont permis la parité au Rwanda (49% de députées) et ont conduit à une augmentation rapide du pourcentage d’élues, par exemple en Argentine, en Belgique ou en France (sur les plans municipal et régional). Plus généralement, les premières études comparatives sur les quotas de femmes arrivent à la conclusion que c’est le seul moyen permettant d’agir efficacement sur la représentation des femmes sur le court et moyen terme4.

Là où ils sont en vigueur, les quotas ont certes causé des inquiétudes chez certains hommes confrontés avec plus ou moins de bonheur à une nouvelle concurrence féminine, et à certaines femmes soucieuses de montrer qu’elles n’ont pas (eu) besoin de «ça» pour réussir. Quelques soucis aux dirigeants des partis aussi, contraints d’adapter leurs stratégies de recrutement, de campagne et d’alliance, ou alors de recourir à des manœuvres tactiques pour contourner les quotas. Mais rien qui ressemble de près ou de loin aux effets catastrophiques souvent imputés aux quotas: nul collapse démocratique n’est à signaler, nulle déferlante de femmes-quotas incompétentes, élues ‘seulement parce qu’elles sont femmes’, nul effondrement de la gouvernabilité du système, nulle difficulté insurmontable de recrutement pour les partis, nul ostracisme à l’égard des «femmes-quotas» nouvellement élues.

Ce n’est pas la panacée

Certes, les quotas ont leurs limites: parfois ils n’ont pas d’effets, faute de conditions institutionnelles ou de mesures d’accompagnement adéquates, ou simplement faute de volonté politique de les appliquer correctement. Parfois ils n’ont pas beaucoup de sens, notamment dans des pays qui sombrent dans la violence (l’Irak ou l’Afghanistan par exemple) et qui n’ont pas d’appareil étatique consolidé. Sans oublier qu’ils ne sont pas l’instrument parfait qui, à lui tout seul, remédierait à tous les problèmes de représentativité du parlement.

Toujours est-il que dans certaines limites et sous certaines conditions, les quotas peuvent être un instrument possible pour faciliter l’accès des femmes à la politique. Une action volontariste en ce sens reste nécessaire: les obstacles pour les femmes qui souhaitent faire de la politique restent nombreux à tous les niveaux, de la division sociale du travail à l’organisation interne de beaucoup de partis, en passant par des stéréotypes à l’égard des femmes au pouvoir. Les quelques politiciennes qui font la une de l’actualité ne doivent pas devenir l’arbre qui cache la forêt: la représentation des femmes en politique reste loin de la parité5. Elle n’augmente pas simplement avec le temps qui passe, mais grâce à un engagement actif en faveur de l’égalité, comme le montre d’ailleurs l’exemple des partis qui s’efforcent déjà de mener une politique de parité par des quotas facultatifs.

Sans vouloir défendre le quota à tout prix, on pourrait néanmoins souhaiter qu’un vrai débat de fond puisse s’ouvrir sur cette question aussi en Suisse: un débat qui aille au-delà de la confrontation frontale du «pour» et du «contre» pour oser aborder la question de fond en rapport avec les quotas: celle du pouvoir et de sa redistribution. Peut-être qu’une mesure «impossible» deviendrait ainsi l’objet d’un débat possible.

Lea SGIER *

* Chargée d’enseignement au Département de science politique de l’Université de Genève, elle travaille sur une thèse de doctorat sur les quotas de femmes en Suisse et en France.

  1. A. Merkel: Chancelière de l’Allemagne; E. Johnson-Sirleaf, Présidente du Liberia et première cheffe d’Etat du continent africain; M. Bachelet: Présidente chilienne, première cheffe d’Etat d’Amérique latine; T. Halonen: Présidente de la Finlande; H. Clinton et C. Rice, candidates potentielles à la présidence américaine; S. Royal, candidate potentielle à la présidence française.
  2. http://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vi235t.html.
  3. La plupart des pays d’Amérique latine, plusieurs pays européens (France, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Grèce sur le plan local), africains (par exemple le Rwanda, le Niger, l’Ouganda) et asiatiques (l’Inde sur le plan local, l’Indonésie, le Pakistan). Dans cinquante autres pays, des partis politiques respectent des quotas sur une base facultative. Voir www.quotaproject.org
  4. Dahlerup, Drude (2005). Women, Quotas and Politics . London: Routledge.
  5. Avec 19% de députées en moyenne en Europe (OCDE), 16% au niveau mondial, 25% en Suisse au niveau fédéral, 24% au niveau cantonal. Voir http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index.html, et Seitz, Werner (2004), «Les femmes et les élections fédérales de 2004: embûches sur la voie vers l’égalité politique», Questions au féminin, 1.2004, pp. 57-60.