Chattes sauvages lesbiennes en Suisse

Chattes sauvages lesbiennes en Suisse

«Le Bal des chattes sauvages», de Veronika Minder, est le premier documentaire et travail historique sur les lesbiennes suisses. De Johanna, la doyenne, née en 1912, à Samira, jeune suissesse de 25 ans, née de père palestinien, quatre générations témoignent à travers cinq femmes à la personnalité très forte. Un film qui compte par la qualité de leur parole. Entretien avec la réalisatrice.

Votre film parle de l’histoire des lesbiennes en Suisse et il se réfère aussi à la condition de vie des lesbiennes dans Europe de l’avant-guerre…

Je me suis rendue compte que l’histoire des lesbiennes suisses diffère un peu de l’histoire européenne des lesbiennes, notamment pendant la Deuxième Guerre mondiale car, en Suisse, il n’y a pas eu de déportation, ni de camps de concentration, ni pour les gays, ni pour les lesbiennes. Il faut savoir que c’est à cette époque que le code pénal suisse a dépénalisé et décriminalisé l’homosexualité. Au départ, chaque canton avait sa législation et sa pratique. Certaines villes criminalisaient l’homosexualité, d’autres presque pas ou pas du tout. Quand le code pénal suisse a été finalisé, en 1942, la décriminalisation a été généralisée, peut-être pour deux raisons: réprimer coûte, car il faut mettre les gens en prison et il y avait plusieurs gays parmi les juristes qui ont travaillé sur le code pénal. Pour ce code, les Suisses se sont basés sur la sexualité masculine. À l’époque, on pensait que les femmes n’avaient pas de sexualité, mais la décriminalisation a concerné tous les homosexuels. La Suisse est un curieux pays. D’un côté moderne, d’un autre très conservateur. Les femmes suisses ou étrangères pouvaient entrer à l’université depuis les années 1850, mais les femmes n’ont eu le droit de vote qu’en 1971. Le témoignage de Liva Tresch illustre bien cet aspect. Jeune, Liva allait à la messe et était très opposée aux homosexuels, jusqu’à demander leur élimination. Ça la dégoûtait. Elle vivait alors dans les montagnes, dans un tout petit village d’un pays très conservateur et catholique, dans le massif du Gothard. Ce n’est pas la même chose si on vient d’une ville comme Zurich ou Berne!

Pourquoi les lesbiennes avant tout?

J’ai voulu créer un univers ouvert et montrer que, parmi les lesbiennes, il y a une grande diversité. Etre lesbienne, c’est seulement une orientation sexuelle, ça ne veut pas dire que toutes les lesbiennes pensent politiquement ou idéologiquement la même chose. C’est vrai que nous partageons un peu notre histoire avec les gays. D’abord, c’est une lutte commune. Dans les années 1960, on partageait souvent les mêmes lieux de rencontres. Comme nous avons coutume de le dire, on se rencontrait dans le «milieu» – avec les gays, on était «en famille».

«Homo» est un mot qu’Ursula et Samira ont en horreur. Pourquoi?

Oui, il y a des mots qui ne sont pas très beaux pour nous définir. En français, lesbienne est un mot vieux, Lesbos, ça a 2000 ans, un peu comme tribade. Dire homosexualité féminine fait moins vieux jeu. Le rapport au mot change selon les personnes ou les générations. Samira, l’étudiante suisse, née de père palestinien, et Johanna la communiste, d’origine hollandaise, ont des cultures très différentes. La sociologie n’est pas la même pour chacune d’entre elles. Johanna vient d’une famille riche, alors que Liva vient d’un milieu de paysans pauvres où il y avait à peine à bouffer.

Pourquoi avoir utilisé des archives cinéma de Pathé?

J’ai utilisé justement les archives Pathé parce qu’on y voit l’esprit du temps avant-guerre, après guerre: la femme au foyer, la double journée de travail, les vêtements qu’on portait alors… La société imposait d’être soit masculin soit féminin. L’androgyne n’était pas admise. Quand j’avais vingt ans, dans les clubs de lesbiennes, il fallait être soit le jules, soit la femme.

Le mouvement homosexuel s’est-il trouvé, à un moment, en conflit avec les féministes?

En Suisse, mais je crois aussi en France et en Europe, il y a eu une génération de féministes qui rejetait les lesbiennes en raison de l’aspect fermé du milieu, mais aussi parce qu’elles reproduisaient dans leurs rapports ceux des couples hétéros. Les vieilles lesbiennes auraient voulu adhérer au féminisme, mais elles en étaient exclues, à Genève, notamment, dans les années 1960. Il y avait un conflit assez fort entre générations de femmes, entre la «tradition» de la lesbienne en costume chic d’homme qui buvait son whisky, et la jeune de 68, en jean, qui buvait sa bière! À l’intérieur même du mouvement homosexuel, il y a eu des divisions, certaines rejetaient les gays et travaillaient pour la non-mixité du mouvement. Maintenant, on connaît plutôt une époque de mixité gay et lesbienne; dès 1979, la première gaypride, en Suisse, a joué un rôle pour cela, ainsi que le fait que les gays se sentent mieux dans la société. La visibilité aide. Heidi, elle, est vraiment dans le féminisme. Elle avait lu Simone de Beauvoir dans les années 1960 et était une lesbienne connue dans les mouvements de gauche, mais je me souviens qu’à gauche, et même à l’extrême gauche, certains voyaient le fait que nous soyons lesbiennes comme une décadence du capitalisme! De même, aujourd’hui, certains Africains restent convaincus que c’est un phénomène de Blancs! Ce n’est pas vrai, car l’homosexualité touche bien sûr toutes les classes, toutes les sociétés. Aujourd’hui, une jeune lesbienne comme Samira, qui a 25 ans, envisage d’avoir un enfant, une vie de famille avec sa compagne. Mais pour faire l’enfant, elle préfère coucher avec un homme plutôt que d’avoir recours à une autre méthode de procréation.

Comment poursuivre la lutte contre l’homophobie après l’adoption du partenariat enregistré?

En juin 2005, nous avons eu une votation avec 65 % de «oui» au partenariat enregistré. Mais ce n’est pas encore gagné concernant l’adoption. Maintenant, notre gaypride change chaque année de lieu et se déplace aussi dans les petits villages. C’est important d’atteindre les villages des campagnes et des montagnes, parce que c’est là qu’il faut aujourd’hui convaincre du droit à l’homosexualité. Après 1968, les choses ont commencé à changer, puis, peu à peu, la mixité et la diversité sont devenues normales, mais il a fallu lutter. Aujourd’hui, on continue. Mon film est un film de propagande.

Propos recueillis par Laura LAUFER