Hauts salaires en Suisse? Tordre le cou à un mythe

Hauts salaires en Suisse? Tordre le cou à un mythe

Contrairement à une idée reçue, les salaires suisses ne sont pas parmi les plus élevés d’Europe. En effet, pour les comparer valablement à ceux des pays voisins, il faut tenir compte de quelques différences fondamentales…

Les statistiques internationales des salaires sont parfois exprimées «à parité de pouvoir d’achat», c’est-à-dire en tenant compte des niveaux différents des prix dans chaque pays. Elles devraient aussi considérer la totalité de la rémunération du travail, qui comprend le «salaire indirect» – part patronale des cotisations sociales – et le «salaire social» ­– redistribution d’une fraction des profits par le biais de la taxation des entreprises. Enfin, du point de vue patronal, l’élément déterminant, c’est le coût du travail par unité produite, soit le rapport entre la rémunération totale du travail et la productivité de celui-ci. Voyons plutôt…

Le niveau des prix

Ce qui importe pour les travailleurs-euses, c’est le pouvoir d’achat de leurs salaires. Or, à parité de pouvoir d’achat, le salaire moyen en Suisse s’établit à la 7e position européenne, derrière l’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark, le Luxembourg, la Hollande et la Belgique. Il est de 14,1% inférieur à celui des Anglais-e-s et de 12,4% inférieur à celui des Allemand-e-s (OFS, Enquête suisse sur la structure des salaires 2004 ).

Du point de vue patronal, le niveau élevé des prix en Suisse, aggravé par un franc fort, est souvent présenté comme un sérieux handicap à l’exportation. En réalité, le franc n’est pas surévalué par rapport à la zone euro, principale cliente de la Suisse, tandis que la faiblesse du billet vert contribue à alléger la facture en énergie, matières premières et produits semi-finis importés en Suisse, souvent libellée en dollars.

Les cotisations sociales patronales

Il serait trompeur de ne comparer que le niveau des salaires directs, même à parité de pouvoir d’achat. En effet, le montant des cotisations sociales patronales pèse aussi sur la rémunération du travail. Surtout, il détermine le volume et la qualité des prestations sociales garanties à la population. Or, sous ce rapport, la Suisse arrive en queue de peloton, avec des charges sociales patronales correspondant à 13% du salaire brut, contre 47% en Belgique, 45% en Suède et en France, 42% en Italie, 26% en Allemagne, 25% au Japon, 20% en Angleterre et 16% aux Etats-Unis (Hans-Joaquim Mittag, «Labour Costs in Europe, 1996-2002», Statistics in Focus , Eurostat, 9/2004 et OFS, Enquête suisse sur la structure des salaires 2004 ).

Ces différences ont une incidence déterminante sur le niveau de vie des salarié-e-s, en particulier des plus modestes: par ex., en Suisse, les primes d’assurance-maladie peuvent représenter plus du quart du revenu net hors impôts des ménages les plus défavorisés…

Hormis les différences au niveau des salaires et des cotisations patronales (coûts du travail), les variations de la charge fiscale des entreprises ont aussi une incidence sur le niveau de vie des salarié-e-s. En effet, la redistribution, sous forme de services publics subventionnés et de prestations sociales, d’une partie des taxes prélevées sur le capital peut être assimilée à un «salaire social».

A ce niveau, la Suisse fait encore une fois figure de lanterne rouge européenne, puisque la fiscalité y est parmi les plus favorables aux entreprises et aux spéculateurs. Selon une étude comparative récente de l’Université de Mannheim, citée par l’ambassadeur Eric Scheidegger, chef de la direction des activités de promotion du Seco, la charge fiscale totale sur les bénéfices des entreprises se monte à 36,1% en Allemagne, 33,1% en France, 32,8% en Italie, 31,2% en Autriche, 29,8% en Belgique, 28,9% au Royaume-Uni… et 21,8% en Suisse ( Newsletter: Location Switzerland , mars 2005).

La productivité du travail

Ce sont les coûts unitaires du travail (coûts du travail par unité produite) qui intéressent le plus les patrons. Ceux-ci ne sont pas seulement fonction des coûts du travail, mais dépendent autant de sa productivité. Ainsi, bien qu’aux Etats-Unis, les coûts du travail soient 32 fois supérieurs à ceux de l’Inde, les coûts unitaires du travail y sont inférieurs de 7% (!), parce que la productivité y est 34 fois plus élevée!

Sous ce même rapport, les entreprises suisses disposent d’un avantage sur leurs concurrentes européennes. Ainsi, le PIB par personne employée y est 14% plus élevé qu’en France et 35% plus élevé qu’en Allemagne (mes calculs d’après le World Competitiveness Yearbook 2004 ). De plus, de 1994 à 2002, les coûts unitaires salariaux ont augmenté au même rythme en Suisse qu’aux Etats-Unis – malgré l’affaiblissement relatif du dollar – mais sensiblement plus lentement que dans le reste de l’Europe (Credit Suisse, «Der Schweizer Arbeitsmarkt – viel Lohn und wenig Regulierung», Economic Briefing , n° 37, Juillet 2004).

Jean BATOU