Bolivie: processus révolutionnaire différent

Bolivie: processus révolutionnaire différent

Nous reproduisons ici quelques réflexions du militant péruvien Hugo Blanco sur le contexte de la victoire d’Evo Morales en Bolivie, avec près de 54% des suffrages. Tout comme l’historien Adolfo Gilly, dont nous avons repris les commentaires dans notre précédent numéro, il décrit le processus en cours en termes de révolution sociale ouverte.

Je me trouvais en Bolivie lorsque le mandat présidentiel a été transmis à Evo Morales. J’étais invité par le camarade Evo. Une ambiance de processus révolutionnaire flottait dans l’air et traversait ce peuple. On le percevait dans le nombre de personnes réunies et la ferveur révolutionnaire des gens à l’occasion des grands rassemblements. On le sentait à l’occasion des discours combatifs d’Evo, qui fit référence au Che et à la phrase de Marcos: «commander en obéissant». Evo a parlé clairement contre le néolibéralisme. Cette ambiance se retrouve aussi dans le fait que le ministère de la Justice1 est occupé par une servante qui a souffert des abus physiques, psychologiques et sexuels qui sont de l’ordre de la «coutume» dans nos pays. Elle se perçoit dans le fait que le ministère du Travail2 est occupé par un syndicaliste, elle s’exprime dans le fait qu’une grande quantité de généraux ont été démis, etc.

Quelle révolution?

Ici, je veux me concentrer seulement sur un aspect: le type de révolution. Evidemment, nous respectons beaucoup la révolution cubaine et son principal instrument, l’armée de guérilla. Nous respectons de même beaucoup le processus vénézuélien. Un officier qui a fait un coup d’Etat contre un gouvernement corrompu et qui, par la suite, a gagné face aux partis bourgeois lors des élections, face à ces partis qui avaient dégoûté les gens. Nous reconnaissons que ce qu’ils ont fait est bien et que c’était le chemin correct à suivre.

Le processus révolutionnaire bolivien est complètement différent. C’est une montée des luttes populaires progressives et combatives, sans une organisation centralisée. Une partie des combattants a décidé de s’organiser pour conduire la lutte sur le terrain de l’ennemi: les élections. Cette fraction d’entre eux a construit un parti: Instrument politique pour la souveraineté des peuples (IPSP). Comme le pouvoir a placé des pièges légaux contre l’inscription de ce parti, cette fraction a décidé d’entrer dans une organisation qui avait un statut légal: le MAS. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui on fait référence au MAS-IPSP.

«Si je m’arrête, poussez-moi!»

Dans le mouvement révolutionnaire bolivien, y compris dans le MAS, il y a une grande diversité de points de vue. C’est de façon toute naturelle que les gens manifestent des désaccords avec Evo. Mais il n’y a pas d’expulsion, comme dans le PT du Brésil. Evo affirme: «Je peux me tromper, mais je ne trahirai pas». Il ajoute: «Si je m’arrête, poussez-moi!»

Cuba et le Venezuela ont chacun leur commandant. La Bolivie, non. Evo parle de manière systématique de la refondation de la Bolivie. Il mentionne que lors de la première fondation de la Bolivie», les populations indigènes en ont été exclues. Dans cette refondation, ces populations seront présentes. Mais pas seulement elles, tout le peuple bolivien sera aussi présent.

La Constituante du 6 août

Evo réaffirme que le 6 août 2006 sera mis en place l’Assemblée constituante. Cette Assemblée représente le grand désir ardent du peuple bolivien. Tous sont conscients que ce qu’ils ne veulent pas c’est d’une Constituante composée de partis traditionnels, comme l’ont été tant d’autres. Ils savent, avec clarté, que cela doit être une Assemblée constituante qui réunisse les représentants des peuples indigènes de tous les secteurs populaires de la Bolivie. Déjà on discute des objectifs que devra approuver cette Constituante. Les gens voient dans le gouvernement d’Evo une garantie de réalisation de cette Assemblée.

[Hugo Blanco propose ici certaines analogies avec la révolution russe de 1917, que nous avons coupées, faute de place, solidaritéS]

Le processus en cours au Pérou présente des analogies avec celui de la Bolivie, certes sous une forme embryonnaire. On y voit bourgeonner des révoltes victorieuses des mouvements sociaux qui ne se trouvent sous l’emprise d’aucune direction d’aucun parti. Le processus bolivien aura une grande influence dans notre pays. C’est notre obligation de le faire connaître.

Hugo BLANCO*

Cet article est daté du 27 janvier. Nous l’avons tiré du site de la Revue politique virtuelle «A l’encontre» (www.alencontre.org). Les intertitres et coupures sont de notre rédaction.

* Hugo Blanco est né à Cuzco avant d’étudier l’agronomie en Argentine. De retour au Pérou, il travaille à l’organisation des paysans de la Valle de la Convención et participe au soulèvement rural des années 1961-1963. Détenu et condamné à la peine de mort, sa peine est commué en de nombreuses années de prison. De retour d’exil en Suède, à la fin des années 70, il reprend sa place à la tête de la Confédération Paysanne et entre au Parlement comme représentant de la gauche. Au début des années 90, il est de nouveau contraint à l’exil par Fujimori.

  1. La ministre de la Justice se nomme Casimira Rodriguez Romero. Elle a connu les pires conditions de domesticité à l’âge de 13 ans. Depuis 1992, confortée par une foi religieuse, elle s’est engagée dans la création de la Fédération des travailleuses domestiques. Après dix ans, en 2002, une loi a été passée par le parlement pour assurer une protection minimum de ces travailleuses. (NdT)
  2. Le ministre du Travail se nomme Santiago Alex Galvez Mamani. C’est un dirigeant syndical du secteur manufacturier. Lors de sa nomination, il a affirmé: «j’assume ce défi avec beaucoup de responsabilités, d’autant plus que le destin du pays ne réside pas seulement dans les mains des dignitaires de l’Etat, sinon dans celles de chaque travailleur». (NdT)