Chili: timide glissement vers la gauche

Chili: timide glissement vers la gauche

La candidate du Parti socialiste Michelle Bachelet a emporté les élections présidentielles chiliennes du 15 janvier dernier, à la tête de la coalition dite de la «Concertation», qui inclut également le Parti démocrate chrétien. Le politologue argentin Atilio Boron replace cette victoire dans le cadre de la conjoncture latino-américaine actuelle.

Quels sont les défis qui
attendent Michelle Bachelet?

Dans sa jeunesse, Bachelet était une militante de la gauche radicale chilienne, alors que son père est mort dans les cellules du régime Pinochet. Un défi immense attend la nouvelle présidente: démentir Violeta Parra qui disait dans l’une de ses chansons que « le Chili s’étend jusqu’au cœur de l’injustice ». Pour cela, elle devra inverser une tendance qui a fait de l’une des sociétés les plus égalitaires d’Amérique latine l’une des plus injustes, avec des indicateurs sociaux que l’on ne trouve que dans les pays les plus sous-développés de la région.

L’agenda qui attend Bachelet est accablant de lourdeur. Il s’agira notamment pour elle de redistribuer les richesses et de créer des emplois, de satisfaire les exigences des indigènes Mapuches dans leur lutte contre les multinationales, d’encourager le développement des secteurs populaires, de remettre à la justice les responsables de graves atteintes aux droits de l’homme, et de refonder le régime politique, encore largement marqué par la période Pinochet. Dans le domaine international, elle devra faire en sorte de garantir, en comptant sur l’engagement actif de l’ONU, un accès à la mer à la Bolivie.

Quelle signification la victoire de Bachelet a-t-elle pour le Chili et le continent sud-américain?

C’est une victoire importante, car elle renforce une tendance que seul l’intensification des mouvements sociaux – et en aucun cas les initiatives timorées des actuels gouvernements de centre gauche – peut parvenir à doter de nouvelles significations politiques. Mais la trajectoire de la Concertation ne laisse pas place aux illusions. Même si le Chili a connu un développement économique vigoureux, sa dette sociale est encore gigantesque. Cela montre d’ailleurs que s’il n’y a pas volonté de la part des gouvernements de redistribuer la richesse, le capitalisme livré à lui-même ne cesse d’accroître le fossé séparant les riches des pauvres, générant de ce fait un «apartheid social» incompatible avec l’esprit de la démocratie. Les gouvernements successifs de la Concertation ont peu fait pour s’opposer à cette tendance. Ils se sont de surcroît posés à eux-mêmes quelques pièges sociaux, sur lesquels ils trébucheront prochainement. Un exemple en est le phénoménal problème des fonds de pension, lesquels sont d’ores et déjà en faillite…

De quelle manière le résultat du 15 janvier fait-il écho aux processus politiques en cours dans la région?

Cette élection accentue un glissement vers la gauche que l’on constate effectivement dans la région. Mais pour l’heure, ce glissement est loin de constituer une véritable alternative de gauche, c’est-à-dire une alternative contraire à la logique capitaliste.

Paru dans le quotidien argentin Pagina12, lundi 16 janvier 2006.