Victoire électorale du Hamas, dernière victoire de Sharon?

Victoire électorale du Hamas, dernière victoire de Sharon?

Lesélections palestiniennes du 25 janvier ont donné une très nette victoire aux islamistes du Hamas, qui ont recueilli 76 sièges, contre 43 seulement au Fatah. En dépit de conditions très difficiles, liées à l’occupation et aux mesures d’intimidation, notamment à l’égard des habitant-e-s de Jérusalem-Est, la participation populaire a été massive. Que signifie ce vote? Comme le note sobrement Ali Abunimah, co-fondateur de The Electronic Intifada : « Le succès du Hamas est autant l’expression de la détermination des Palestiniens de résister aux efforts israéliens pour les contraindre à la reddition, qu’un rejet du Fatah. Il réduit le conflit à ses éléments les plus fondamentaux: il y a occupation, il y a résistance » (« Hamas Election Victory: A Vote for Clarity », 26 janvier 2006).

Les Palestinien-ne-s ont voulu exprimer ainsi leur rejet de la politique suivie par l’Autorité Palestinienne, d’abord au niveau de ses tâches quotidiennes d’administration, d’aide sociale et de sécurité dans les territoires, ensuite dans la conduite des «négociations» avec les autorités israéliennes, depuis les accords d’Oslo de 1993: en dépit de nombreuses reculades, pas le moindre résultat! En janvier 2005, l’élection de Mahmoud Abbas à la succession de Yasser Arafat n’a pas débouché sur la moindre concession significative de l’occupant. En réalité, le retrait israélien de Gaza n’a fait que masquer l’accélération de la construction du mur de l’apartheid, l’intensification de la colonisation en Cisjordanie et la poursuite de la répression sur une large échelle.

Les enquêtes d’opinion le montrent: les électeurs-trices palestiniens n’ont pas donné leur voix au Hamas, parce qu’ils/elles se seraient ralliés à l’islam politique ou aux orientations économiques libérales de ce mouvement. Ils/elles ont surtout voulu sanctionner les capitulations, l’impuissance et la corruption de l’Autorité Palesti-nienne. De nombreux Palestinien-ne-s sont en effet convaincus, que nombre d’arrestations et d’assassinats «ciblés» auraient pu être évités sans la passivité – voire la complicité – de l’Autorité palestinienne. Au contraire, les dirigeants du Hamas sont perçus comme des résistant-e-s courageux, non corrompus, et très actifs sur le terrain de l’entraide sociale.

Le porte-parole de ce mouvement, Moshir al-Masri, présentait récemment l’enjeu des élections ainsi: « Si un homme possède une maison et que quelqu’un vienne occuper cette maison (…) Est-il acceptable d’être chassé de chez soi et ensuite de reconnaître que sa maison appartient à celui qui l’a volée? Et d’aller, par-dessus le marché, négocier avec le voleur pour tenter de récupérer une minuscule chambre, et supporter ses atermoiements? Alors même qu’en plus, le voleur tue vos enfants, défonce vos cultures et détruit votre gagne-pain? Non. Aucune religion n’accepte cela. Ni aucune personne dotée de raison. » ( Voltaire , édition internationale, 20 janvier 2006).

Dans ce sens, le soutien populaire recueilli par le Hamas ne doit pas être interprété comme un rejet de toute négociation ou de toute volonté de paix, comme voudrait nous le faire croire les médias occidentaux. Tout au contraire, il est la conséquence du refus de toute négociation sérieuse et de tout engagement pour la paix de la part du gouvernement Sharon. Comme le remarquait récemment Ali Abunimah, co-fondateur de The Electronic Intifada , la ville de Qalqilya, au nord de la Cisjordanie, véritable ghetto muré de béton parmi les colonies israéliennes, avait déjà confié l’ensemble des sièges municipaux au Hamas l’an dernier…

Interviewé par France-Soir, Michel Warschawski, militant anti-sioniste israélien bien connu, a décrit la victoire du Hamas comme « la dernière victoire de Sharon ». Son gouvernement avait en effet tout entrepris pour en arriver là afin de se débarrasser de tout interlocuteur palestinien «acceptable». Avec la disparition d’Arafat, qu’il s’était ingénié à présenter comme le principal obstacle sur le chemin d’une «solution négociée», cette ligne devenait cependant plus difficile à tenir, en particulier vis-à-vis des diplomaties états-unienne et européenne. C’est pourquoi, l’administration Bush a tenté in extremis d’éviter la débâcle du Fatah en le subventionnant directement, par le biais de l’USAID.

Le futur gouvernement israélien, dominé sans doute par le Kadima , parti de Sharon, tentera certainement d’exploiter au mieux cette nouvelle donne pour pérénniser une politique unilatérale brutale sur le terrain. Mais les Palestinien-ne-s n’ont à vrai dire plus grand chose à perdre… Dans ce contexte, il n’est pas exclu que le Hamas, dont la direction est intelligente et pragmatique, s’engage dans un processus d’unification des forces palestiniennes sur une ligne de résistance à l’occupant. Ceci pourrait permettre la recomposition d’un secteur laïc progressiste, dégagé de toute responsabilité par rapport aux compromissions du Fatah, capable aussi de défendre les droits sociaux et démocratiques de la population, en particulier ceux des femmes. Dans ce cas, «la dernière victoire de Sharon» n’aurait été qu’une victoire à la Pyrrhus.

Jean BATOU