Légalisation du cannabis: une initiative salutaire aboutit!

Légalisation du cannabis: une initiative salutaire aboutit!

Le comité «Pour la protection de la jeunesse contre la narco-criminalité», regroupant des personnalités de différents partis ainsi que des professionnel-le-s de terrain, vient de faire aboutir avec plus de 100000 signatures, l’initiative fédérale «pour une politique raisonnable en matière de chanvre protégeant efficacement la jeunesse», lancée suite à l’enterrement par la droite de la révision de la loi sur les stupéfiants aux Chambres en juin 2004.1

Le débat médiatique porte actuellement sur l’augmentation de la consommation de cannabis dans la jeunesse et sur les perturbations psychiques sévères que cette consommation peut entraîner. Or l’initiative, dans l’article constitutionnel nouveau qu’elle propose et qui dépénalise le cannabis, contient justement un alinéa prévoyant que la Confédération «prend des mesures appropriées afin qu’il soit tenu compte de la protection de la jeunesse».2

Les jeunes au cœur du débat

En effet, l’essentiel des arguments avancés contre la légalisation du cannabis concerne la consommation à un âge toujours plus précoce dans la jeunesse, et une consommation régulière de taux élevés de THC toujours plus fréquente. La récente publication des résultats de l’enquête ESPAD3, menée dans 35 pays européens, montre que Suisse, République Tchèque, Grande-Bretagne et France, sont les pays où la consommation de cannabis chez les adolescent-e-s est la plus élevée, alors que ceux-ci ont, en Suisse, une consommation d’alcool et de tabac dans la moyenne européenne.

L’institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA) et l’institut de recherche sur les addictions (ISF) avaient également publié en été 2004 une étude montrant que 13% du groupe d’âge 13 à 29 ans ont consommé du cannabis dans les 6 mois avant l’enquête et qu’un tiers de ceux-ci ont des difficultés consécutives à leur consommation (troubles de la concentration, sanctions sociales). D’autre travaux ont mis en évidence l’apparition de décompensations psychiques graves associées à une consommation quotidienne de doses élevées de THC à l’adolescence.

Ces données sont à prendre au sérieux, et plaident contre une banalisation de la consommation de cannabis chez les jeunes. Toutefois, deux constats s’imposent également: d’une part, la politique actuelle prohibitive n’a eu aucun effet de baisse de la consommation. Au contraire, elle n’a pu contenir un phénomène social complexe dans lequel de nombreux facteurs interagissent (insécurité sociale, recherche de réconfort, lutte contre le stress, curiosité, quête d’identité…). D’autre part, les difficultés que rencontrent aujourd’hui une part des adolescent-e-s nécessitent une politique d’insertion sociale et professionnelle active pour les groupes «à risque de marginalisation» et une politique préventive encore plus intensive, alors que les budgets sont revus à la baisse par la droite au plan fédéral, baisse soutenue par une partie de la gauche et des verts dans plusieurs exécutifs cantonaux.

Hypocrisie prohibitionniste

Alors que le Conseil fédéral vient de lever en mars 2005 l’interdiction séculaire de l’absinthe, sans que cette mesure ne pose de problème aux prohibitionnistes, le débat se polarise sur les drogues illégales, oubliant de voir la poutre que constituent en matière de santé publique les consommations d’alcool, de tabac et de psychotropes divers.

Rappelons ici tout de même qu’en Suisse, un tiers des adultes de plus de 15 ans fume, ainsi qu’un quart des adolescent-e-s de 15 à 16 ans. Cette consommation engendre des coûts sociaux à hauteur de 10 milliards par an, selon une récente étude de l’Uni de Neuchâtel. Une autre étude2 vient de montrer une augmentation de la consommation d’alcool chez les jeunes de 15 à 16 ans, avec une plus grande fréquence d’états d’ivresse. En Suisse, 300000 personnes sont malades d’une dépendance à l’alcool, affectant jusqu’à 900000 personnes vivant avec eux. La consommation de médicaments psychotropes ou analgésiques est aussi fréquente chez les jeunes. La vente de médicaments présentant un risque d’abus dépasse en Suisse la somme de 400 millions de Fr. en 2003.

Pourtant, personne ne remet en cause la légalité de la production et de la vente de produits connus pour induire des dépendances dans la population générale et la jeunesse en particulier. Le cannabis est particulièrement visé par les prohibitionnistes car il continue de représenter pour l’idéologie dominante une velléité contestataire et une dérive hors du modèle social. Dans les faits, les problèmes posés par le cannabis impliquent des mesures de santé publique du même ordre que pour les drogues légales.

Favoriser une réelle prévention

Pour empêcher la consommation précoce et venir en aide aux jeunes en difficulté, il faut lever l’obstacle inutile et inefficace de l’interdiction, de la pénalisation. C’est la position officielle de l’ISPA: plutôt que de criminaliser une conduite qui peut être problématique, il est bien plus facile de travailler sur le terrain dans un rapport de confiance, pour renforcer des choix à moindre risque, dans une éthique de responsabilisation et d’autonomie.

La légalisation contrôlée telle que la préconise l’initiative, avec la priorité accordée à la prévention, en particulier pour la jeunesse, nous semble le meilleur choix pour réduire les risques d’une consommation «clandestine» et éviter ainsi les dérives réelles de la désinsertion sociale.

Gilles GODINAT

  1. V. solidaritéS No 47
  2. Schmid et al. 2003
  3. European school survey on alcohol and other drugs

Droits constitutionnels bafoués

Le Tribunal administratif genevois a condamné récemment les autorités de Veyrier (GE) pour avoir «gravement violé» les droits constitutionnels d’un citoyen. En effet, Sylvain Goujon, militant pour la légalisation du cannabis, s’était vu refuser – sans motivation, ni base légale – une autorisation de récolter des signatures pour l’initiative, lors d’une manifestation au stade du Bout du Monde. Ceci sous prétexte que la teneur de l’initiative déplaisait aux autorités municipales… «Ce n’est pas en légalisant le cannabis qu’on protège la jeunesse» avait affirmé le maire au Matin à l’époque.

Pour sa «défense» – assurée par Me Olivier Jornot, par ailleurs président du parti libéral – la commune de Veyrier a plaidé… qu’en fait, le lieu envisagé pour la récolte n’était pas sur son territoire, «détail» lui ayant échappé à l’époque, mais qui ne lui a pas évité une condamnation exemplaire, avec un émolument conséquent à sa charge. (gg)