LEtr et LAsi sont un laboratoire pour des solutions autoritaires

LEtr et LAsi sont un laboratoire pour des solutions autoritaires

En matière d’atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles, la politique migratoire et d’asile constitue un champ d’expérience et d’élaboration de solutions autoritaires. Les autorités policières, administratives et pénales s’appuient sur la très grande fragilité du «statut» de sans-papiers, de requérant-e d’asile ou plus généralement de migrant-e pour imposer dans la législation un arbitraire absolu en matière notamment de garantie de la liberté personnelle.

Les immigré-e-s sont victimes d’un véritable pouvoir discrétionnaire octroyé à l’administration, choquant à plus d’un titre par rapport au respect des libertés fondamentales reconnues en principe à tout être humain. Dans cette faille s’engouffrent inévitablement d’autres remises en cause des droits et des libertés de chacune et chacun. Ainsi le délit de faciès, d’abord lié à la couleur de la peau, s’élargit au contrôle systématique de jeunes. Ou encore, avec la nouvelle loi sur les étrangers (LEtr), une modification subséquente de la Loi fédérale sur l’investigation secrète permettant de mettre en œuvre une telle investigation, à savoir l’infiltration d’agents pour prévenir et surveiller la commission de délits, tel celui que commettrait une personne poursuivie pour avoir facilité le séjour illégal d’un-e étranger-ère en agissant dans le cadre d’une association formée « dans le but de commettre de tels actes de manière suivie » (art.116 al.3 de la LEtr). Les collectifs de sans-papiers ou les mouvements de soutien aux débouté-e-s du droit d’asile sont ainsi dans le collimateur!

Aggravation et généralisation
des mesures de contrainte

Les étrangers-ères peuvent être d’ores et déjà emprisonnés pour des raisons purement administratives, sans avoir commis une seule infraction tombant sous le coup du code pénal. Avec la LEtr, la détention dite préparatoire pourra être de six mois afin d’assurer le déroulement d’une procédure de renvoi, la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion pourra être de 18 mois, comme la détention pour insoumission. Au total, la détention ne pourra excéder 24 mois. Deux ans de privation de liberté sans avoir violé une seule disposition pénale! Pire encore a été introduite la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion, en cas de non-collaboration à l’obtention des documents de voyage.

Ainsi une personne qui a franchi la frontière helvétique, malgré une interdiction d’entrée en Suisse et alors même qu’elle ignore avoir été l’objet d’une telle décision, pourra être détenue jusqu’à 60 jours. Dans la même veine une personne pourra être détenue jusqu’à 20 jours dans un aéroport dans le seul but de permettre à l’autorité de se procurer les documents de voyage nécessaire. Ces deux exemples illustrent le fait que la détention administrative peut être ordonnée indépendamment du comportement de la personne concernée: une forme d’objectivation des motifs de détention prononcée au bon vouloir du Prince. Il n’est même plus question de sanctionner une absence de collaboration ou un comportement clairement oppositionnel: l’administration veut ouvertement garder les étrangers-ères concernés sous son entière maîtrise, en fonction de ses seuls intérêts.

Un récent rapport officiel, destiné à la Commission de gestion du Conseil national, évaluant la détention administrative1, analyse la pratique de six cantons en cette matière: les experts ont observé de très grandes différences d’application de l’un à l’autre, que ce soit sur la fréquence d’application que sur le statut juridique des personnes incarcérées, leur nationalité ou la durée et l’issue de la détention.

Les représentant-e-s des ONG, entendus à cette occasion, ont relevé que ces différences dans l’application des mesures de contrainte donnent l’impression aux personnes visées qu’elles sont à la merci de décisions arbitraires. La durée moyenne de détention varie de 20 à 47 jours selon le canton. Et, fait très révélateur, en raison du délai légal de 96 heures, les autorités judiciaires cantonales n’examinent la plupart du temps pas l’existence d’un motif pour les détentions de très courte durée: ceci signifie qu’aucune protection n’est donnée aux personnes concernées s’agissant de la légalité et de la proportionnalité de la détention subie.

L’absence d’un contrôle judiciaire effectif de la détention est extrêmement préoccupante. Elle constitue une brèche dans un principe constitutionnel fondamental (art.31 al.3 de la Constitution fédérale) en vertu duquel toute personne mise en détention a le droit d’être aussitôt traduite devant un juge qui prononcera le maintien de cette détention ou sa libération.

Ce récent rapport officiel a également mis en cause l’utilité de cette forme de détention: elle s’avère très coûteuse et n’est pas synonyme d’efficacité en matière d’exécution des renvois. Un usage fréquent de la détention en vue du refoulement ne va pas forcément de pair avec un pourcentage de renvois élevés. Les effets de la détention sur l’état de santé des personnes incarcérées ont été soulignés, celle-ci étant à l’origine de dérangements psychiques et d’états dépressifs.

Interdictions de territoire

Les mesures de contrainte en droit des étrangers prévoient également l’assignation d’un lieu de résidence et la faculté d’interdire de pénétrer dans une zone géographique donnée. En cas de désobéissance, la détention administrative en phase préparatoire peut être ordonnée et une sanction pénale prononcée. Ces interdictions de territoire sont appliquées dans des villes comme Zurich, Bâle, Berne, Lausanne ou Genève.

Prenant le prétexte de lutter contre le trafic de drogue, qui serait, selon la police, en mains de jeunes demandeurs d’asile noirs, la pratique aboutit à des résultats choquants. Les mesures sont prononcées pour des motifs extrêmement vagues, comme le fait de « fréquenter des personnes évoluant dans le milieu de la drogue ». Les interdictions de territoire, d’abord destinées à restreindre la liberté de déplacement de l’étranger-ère, visent désormais toute personne dont le comportement serait susceptible de créer un trouble de l’ordre ou de la tranquillité publique.

De telles mesures ont en effet été récemment mises en place dans le canton de Berne et dans certaines villes de Suisse allemande. Il est question de les introduire dans la Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure, pour lutter contre le hooliganisme. Ces interdictions de territoire choquent à l’heure où l’on nous rabat les oreilles avec la mondialisation!

L’administration tatillonne réduit la liberté de circulation d’êtres humains à quelques trajets tirés au cordeau sur le territoire d’une commune. Souvent victimes de non-entrée en matière (NEM), les interdit-e-s de territoire doivent, pour obtenir l’aide d’urgence, se présenter chaque jour à l’autorité, dont les bureaux se trouvent précisément dans la zone prohibée. Il en va de même pour l’abri de nuit spécialement aménagé pour les victimes de NEM, ou pour le lieu d’accueil de journée, ou encore les bureaux de la permanence juridique.

Parfois, à la faveur de démarches juridiques fructueuses et d’un effet suspensif paralysant l’ordre de départ, des personnes sont réintégrées dans les centres d’hébergement pour demandeurs-euses d’asile également situés dans le périmètre défendu. Outre le fait qu’elle est absurde, cette situation entraîne des conséquences pénibles pour les interdit-e-s de territoire. Des enquêtes pénales sont en effet régulièrement ouvertes contre eux parce que la police les a contrôlés alors qu’ils violaient l’interdiction.

Pour tenter de résoudre cette situation, l’autorité cantonale a établi des «laissez-passer» autorisant les intéressé-e-s à se rendre dans les différents lieux qui rythment leur vie et qui sont situés dans le territoire interdit. Mais le document précise bien que les trajets doivent se faire par le plus court chemin: des enquêtes pénales sont ouvertes lorsque les personnes concernées s’en écartent pour aller boire un verre. Surveiller, contrôler et punir, Orwell 1984…

Jean-Michel DOLIVO

  1. Contrôle parlementaire de l’administration (CPA), Evaluation des mesures de contrainte en matière de droit des étrangers, Rapport final à l’attention de la Commission de gestion du Conseil national, sous la direction de Tobler Andreas, Berne, 15 mars 2005. Consultable sur http://www.parlament.ch/f/ed-pa-gpk-auslaenderrecht.pdf.