Défaite électorale programmée ou deux listes inévitables?

Défaite électorale programmée ou deux listes inévitables?

La disparition d’une députation à la gauche du PS, lors des dernières élections genevoises, a suscité bien des réactions, des regrets, et des critiques de la part de gens qui se sentent proches de nous. De «l’extrême gauche la plus bête du monde» qui satisfait bien la droite… à «avec vos gamineries et querelles de personnes, vous nous avez privé d’une représentation au Grand Conseil»… en passant par une «défaite auto-organisée», ces réactions devraient nous faire penser que nous avons commis des erreurs dont nous devrions tirer les conséquences. Je ne suis pas d’accord avec cette analyse, et j’aimerais expliquer pourquoi.

Tout d’abord il est évident qu’il est rageant de constater que les deux listes ont manqué de si peu le quorum, que 15% des électeurs-trices ne sont pas représentés dans ce Grand Conseil. Il est tout aussi évident qu’avec une seule liste, il y aurait eu des députés de l’Alliance de Gauche. Peut-on déduire de ce simple constat que l’existence de deux listes était une erreur difficilement pardonnable?

Premièrement il est utile de considérer comment on en est arrivé à l’existence de deux listes séparées, même si je ne pense pas que la recherche du «responsable» soit l’élément le plus important. En effet, dès le départ, solidaritéS était conscient de l’enjeu de ces élections, de l’espoir qui existait de battre la droite, du danger d’une apparition divisée de l’ADG. La division a toujours affaibli électoralement la gauche, car elle est réductrice d’espoir. Dans ce sens solidaritéS a réellement tenté de trouver un compromis, fait des concessions importantes, et finalement ce sont les seuls Indépendants qui ont refusé ce compromis.

Rappelons que formellement la divergence portait sur le nombre de candidat-e-s, 9 par composante sans indication de l’appartenance des candidats pour les Indépendants, liste ouverte sans limitation et avec mention des appartenances pour solidaritéS, 12 candidat-e-s avec mention des appartenances dans le compromis.

Accepter les conditions
des Indépendants?

J’estime qu’à partir de ce moment, la présence de deux listes était inévitable, en d’autres termes que l’erreur politique aurait été d’accepter les conditions des Indépendants, même si cette acceptation aurait garanti le quorum. Cette position découle de l’analyse de l’évolution de l’ADG depuis sa création, et plus essentiellement des raisons mêmes qui justifient l’existence de solidaritéS, des éléments fondamentaux de sa plateforme politique. Rappelons que, dès sa création, solidaritéS a mis en avant sa volonté de «faire la politique autrement», comme conséquence de l’objectif d’une transformation radicale des rapports sociaux, et non d’un adoucissement social du capitalisme. Dans ce sens, «politique autrement» signifie:

  • Reconnaître qu’aucune transformation fondamentale ne se fera sans l’action collective de toutes celles et ceux qui ont à souffrir du système actuel. Chacun doit pouvoir devenir un sujet actif. Dans ce sens, l’activité parlementaire n’a de sens que si elle est liée aux luttes concrètes sur le terrain, et ne peut être conçue comme une possibilité à elle seule de progrès social, parce que pratiquée par de «bons» politiciens.
  • En interne, mettre en avant une pratique qui soit cohérente par rapports aux objectifs, en particulier en insistant sur le respect de l’autre dans le débat, sur la camaraderie et la confiance, sur l’honnêteté comme garantie anti-démagogie.

Dynamique unitaire
ou réflexes identitaires

Lors de sa création, en 1992, en particulier suite au départ de Christian Grobet du PS, la question du quorum était déjà présente, mais dans la perspective d’une vision et d’une dynamique unitaire. Le succès de l’époque, 21 député-e-s, découlait en partie d’une évolution plutôt droitière du PS, mais surtout de l’espoir donné par cette volonté unitaire, qui ne se limitait pas aux seules questions d’arithmétique électorale.

Force est de constater que cet espoir initial, qui se traduisait dans une pratique n’excluant pas à moyen terme une fusion, a relativement rapidement laissé la place à une défense identitaire de certaines composantes, à une méfiance face au partenaire, à des divergences menant à des listes séparées (municipales, nationales). Lorsque le secrétaire cantonal du Parti du Travail, René Ecuyer, en arrive à écrire que l’objectif de solidaritéS, c’est la mort du PdT, on peut se poser des questions sur la signification du terme alliance. C‘est ce qui explique l’importance, qui pouvait apparaître comme dérisoire, du nombre de candidat-e-s. C’était la traduction de la méfiance interne, de la peur de se faire bouffer par l’autre, qui était décisive dans la conception de la liste. En termes d’espoir, on peut faire mieux!

Ne pas tromper
l’électeur-trice!

Dans ces conditions, la présentation d’une liste unique aurait correspondu à une tromperie politique, de surcroît, l’abandon de la mention de l’appartenance à l’une des trois composantes aurait même fait croire à un renforcement de l’unité. L’obtention du quorum aurait ainsi été payée par le renoncement à des valeurs que je crois importantes, comme l’honnêteté face aux électeurs-trices, la crédibilité de nos orientations, la crédibilité du fait que nous voulons faire de la politique «autrement». La conséquence aurait certainement été un affaiblissement de l’espoir que peut représenter solidaritéS pour celles et ceux qui s’engagent concrètement sur le terrain des luttes sociales, qui savent que le bulletin de vote, même s’il est important, ne suffit pas face aux problèmes du chômage, du logement, des salaires, de l’inégalité des sexes, de la formation, de la santé, de la destruction de l’environnement, etc.

L’espoir ne peut venir que d’un renforcement de ces mobilisations, et de leur unification dans une perspective politique globale. solidaritéS est certes insuffisant dans cette perspective, mais la réponse n’est certainement pas à trouver dans ce qu’est devenue l’ADG. Mais c’est cet espoir qui doit guider nos priorités politiques, y compris face aux décisions d’ordre électoral.

Finalement, la manière dont s’est déroulée la campagne électorale ne peut que me renforcer dans cette conviction. Pour le moins, j’ai le droit de ne pas être fier de mes «alliés» dans cette circonstance, entre l’intolérable analogie de leurs positions sur les frontaliers avec celles du MCG ou de l’UDC, et la volonté d’occulter la présence de deux listes issues de l’AdG, ce qui a créé une réelle confusion chez beaucoup d’électeurs-trices.

La conclusion, c’est que l’on se retro­uve pour quatre ans avec un Grand Conseil pire que jamais, mais comme résultat d’une réalité de ce qu’est devenue l’AdG qui, si elle nous déplait, n’en est pas moins incontournable. La question qui se pose alors, c’est d’éviter à l’avenir de telles défaites, c’est-à-dire de travailler à la recomposition d’une force à la gauche du PS, sans exclusive mais qui corresponde à de véritables pratiques et perspectives unitaires.

Michel DUCOMMUN