Privatisation de Swisscom: dernier acte?

Privatisation de Swisscom: dernier acte?

Mercredi 23 novembre, le Conseil fédéral – unanime selon les médias, mais évidemment piloté par Merz et Blocher – annonçait qu’il préparait une loi prévoyant la «cession totale de la participation de la Confédération dans Swisscom» pour lui donner une plus grande «marge de manœuvre entrepreneuriale», la participation majoritaire de la Confédération pouvant «restreindre la liberté d’action de Swisscom sur le plan stratégique». Il fallait, selon le gouvernement, que Swisscom puisse «contracter plus facilement des alliances» sans que la Confédération ait à «assumer les risques auxquels l’entreprise est exposée.» En outre, par cette opération, on supprimerait le «double rôle» de la Confédération «en tant que propriétaire et autorité de régulation dans le domaine des télécoms».

Le jackpot qu’espère engranger le ministre des finances, en vendant le 66% des actions Swisscom que l’Etat détient encore, serait d’environ 17 milliards… de quoi financer des cadeaux fiscaux au plus riches à hauteur de centaines de millions par an, pour compléter ceux qu’on fait à longueur d’année sur les dos des chômeurs-euses, des retraité-e-s, et de l’ensemble du budget social de la Confédération.

Les médias ont titré sur la «privatisation» et les boucliers ont été levés du côté du Parti socialiste, des syndicats… et même du PDC. Il y aura donc, peut-être, une bataille référendaire contre ce bradage de Swisscom. Mais, à l’orée de celle-ci, deux où trois choses méritent rappel. D’abord que la «privatisation» des télécoms en Suisse a commencé avec le démantèlement des PTT en 1997 – que nous avions combattue sans succès par un référendum – et qui a fait entrer Swisscom en bourse et «libéralisé» le marché des télécoms, en cassant le monopole de service public de notre ex-régie nationale.

Le gros du chemin de la «privatisation» a été fait ce jour là, et PS et les syndicats ont poussé à la roue, jurant que c’était qu’une «modernisation» nécessaire dont bénéficieraient consommateurs et travailleurs-euses. La constitution disposait à l’époque que les bénéfices des télécoms, qui servaient à financer un service postal, qui n’est plus que l’ombre de lui-même, appartenaient à la collectivité. Le gâteau des profits dans ce secteur – dont Swisscom ne réalise plus qu’une partie – a été partagé avec les actionnaires des multinationales de la branche, sans que le peuple n’ait mot à dire

Aujourd’hui, Swisscom dégage certes des grosses recettes pour la Confédération, plus d’un milliard par an, malgré des pertes massives dans des aventures étrangères… de plus de 3 milliards en cinq ans à travers l’achat et la revente de l’opérateur allemand de téléphonie mobile Debitel par exemple.

Et c’est un argument mis en avant par les opposants à cette ultime étape de la privatisation: on braderait la poule aux œufs d’or. Mais ces œufs d’or là ont été réalisés au prix de milliers de suppressions d’emplois, de licenciements et d’une dégradation significative des conditions de travail. Ils sont réalisés aussi sur le dos de consommateurs, qui payent nombre de prestations au prix fort.

Ainsi, la légitimité d’une bataille contre ce dernier acte de la privatisation de Swisscom ne peut se fonder que sur une perspective de réelle «renationalisation», qui implique de revenir sur la division entre les deux «rôles» dits de «régulation» de la branche et de «propriétaire» de l’entreprise. Au nom de cette dichotomie néolibérale on peut justifier en effet de privatiser n’importe quel service public.

Pour nous, les citoyen-ne-s, les usagers-ères et les travailleurs-euses de la branche ont autant le droit de se prononcer sur les règles de fonctionnement d’un service public, que sur les orientations, des plus immédiates au plus «stratégiques», du développement de celui-ci.

Aujourd’hui, pour les citoyen-ne-s, le «contrôle démocratique» sur Swisscom, sur les services de base auxquels les usagers ont droit, comme sur les tarifs, relève d’une plaisanterie. Les syndicats et certains porte-paroles socialistes, comme l’ex-patron de la poste Jean-Noël Rey, se sont insurgés contre l’interdiction faite à Swisscom par le Conseil fédéral – en actionnaire plus ou moins avisé… – de racheter l’opérateur irlandais de téléphonie fixe Eirecom. Mais comment défendre le contrôle démocratique par les usagers irlandais sur une entreprise étrangère avec son siège à Berne? Et si ceux-ci sont privés de droits en la matière, comment les revendiquer chez nous?!

Certes, les télécoms doivent se développer à l’échelle internationale, mais alors construisons le projet d’un service public européen en la matière, d’une reconquête d’un pouvoir des citoyen-ne-s et des travailleurs-euses – localement et internationalement – sur un secteur vital, contre la prétendue fatalité des marchés et des profits… Un rêve dira-t-on! Bien sûr, mais à défaut de se fixer des horizons de ce type, c’est la défense des «acquis» contre le cauchemar néolibéral qui relève du rêve qui n’a guère de chances de se réaliser.

Pierre VANEK