Têtes raides: pas si fragiles

Têtes raides: pas si fragiles

Plus dur, plus aiguisé,
plus agressif, bref plus rock, le nouvel album des Têtes raides, «Fragile»,
est un pur délice. Retour sur un pilier de la musique française alternative, mal léchée mais toujours sympathique.

Cela fait vingt ans que les Têtes raides poussent la chanson pour dire, sans détour, tout le mal qu’ils pensent de la société capitaliste qui façonne notre quotidien. Né dans la banlieue parisienne sous le nom de Red Ted, le trio originel, formé de Christian, Iso et Cali, évolue dans un univers punk largement influencé par the Clash.

Red Ted devient les Têtes raides et sort son premier album Not dead but bien raides en 1989. Au fil du temps, le trio s’élargit et se mue, peu à peu, en une sorte de fanfare désarticulée. En 1992, Les oiseaux marque la transition musicale de la troupe vers un style plus acoustique avec une dominante de cuivres festifs.

C’est l’année suivante, avec Fleur de yeux , que les Têtes raides percent enfin dans le paysage musical français. Ils sont considérés depuis comme une des principales références de la scène alternative, influençant de nombreux groupes, comme Les Hurlements de Léo, Les Ogres de Barback ou encore La Tordue, pour ne citer que ceux-là.

Radicalité brute

Certain-e-s regretteront la disparition de l’accordéon, de l’ambiance festive et de la chaleur acoustique qui caractérisaient les précédents albums. Les Têtes raides reviennent à un style plus rock, plus punk, bref, plus proche de leurs premières amours.

Le virage, déjà initié par Qu’est-ce qu’on s’fait chier en 2003, est parfaitement maîtrisé avec Fragile , sorti le 8 novembre. Ce nouvel album évoque un retour à l’essentiel et sa «dureté» n’est finalement que le reflet d’une société de plus en plus violente, dans laquelle un nombre croissant d’individus ne trouvent plus leur place. La France de Sarkozy, méprisante et brutale derrière ses petits sourires obscènes, comme celle de Chirac, déconnectée et froide, ne peut que susciter la révolte.

La radicalité brute de Fragile , emportée par la folie surréaliste qui caractérise le groupe, montre qu’une nouvelle fois les Têtes raides sont en parfaite osmose avec les réalités sociales qui traversent la France.

Une baffe qui réveille

Si le style change, l’empreinte artistique des Têtes raides demeure. Comme d’habitude, leur musique est une question d’échanges, que ce soit avec des artistes actuels ou passés.

Le groupe de Christian Olivier, qui a mis en son des poèmes de Pessoa et de Prévert, revisite aujourd’hui «Chanson pour pieds» de Joyce Mansour, “la surréaliste d’Alexandrie” , et surtout une perle de Boris Vian: «Je voudrais pas crever» . Une bonne baffe dans la gueule…

On se souvient du duo avec Noir Désir sur Gratte poil , qui avait abouti à «L’identité» , chanson bien sentie et percutante sur la question des sans-papiers. Sur Fragile , la liste des invité-e-s ouvre l’appétit. On y retrouve Rachid Taha, Sara Mandiano, Didier Wampas, Mika Pusse, Jasmine Vegas ou encore les Néerlandais cultes: The Ex.

Fragile a été commencé à la fin de la tournée de Qu’est-ce qu’on se fait chier . A l’époque où, en pleine lutte des intermittent-e-s du spectacle, les Têtes raides lançaient un «Avis de K-O social» au Printemps de Bourges 2004. Pas étonnant dès lors que transpire, tout du long des 15 titres de l’album, cette inaliénable volonté d’en découdre avec les bourgeois.

Acéré et percutant, mais non dénué d’humour, Fragile est un disque incontournable d’un groupe lui-même incontournable du rock hexagonal.

Erik GROBET

Têtes raides, Fragile , Mon Slip / Warner