Eclairage

Eclairage

Nous reproduisons ici un entretien qu’Aminata Traoré (ancienne ministre malienne de la Culture et altermondialiste engagée) a accordé récemment au journal Jeune Afrique.

Quelle lecture faites-vous des dramatiques événements de Ceuta et Melilla?

Il faut d’abord se demander qui sont les clandestins. Ils font partie de la couche la plus vulnérable de nos sociétés, ce sont les laissés-pour-compte du système, ceux qui ne peuvent s’exprimer en français, n’ont pas droit à un visa et ne peuvent s’acheter un billet d’avion. Ces événements sont des révélateurs: ils sont l’expression de l’échec le plus retentissant des stratégies de lutte contre la pauvreté.

Qui est responsable: l’Afrique ou l’Europe?

Surtout l’Europe. Car si les populations du continent africain sont contraintes à l’exil, c’est que les politiques économiques, d’ajustement structurel notamment – qui se sont traduites par la réduction des masses salariales, la suppression des bourses, la privatisation de la santé et de l’école, tout cela est connu – les ont ruinées. Et, tout en oeuvrant à la libéralisation des économies, l’Europe se ferme lorsque l’ouverture la dessert. Ce n’est même pas de l’opportunisme, c’est du cynisme. Mais les dirigeants africains eux-mêmes sont responsables: out­re la fracture Nord-Sud, l’émigration montre qu’il existe aussi une division à l’intérieur de nos propres sociétés, entre ceux qui profitent du système, et qui en effet partagent la responsabilité, et les autres. Reste que c’est l’Europe qui impose son modèle économique, et qui fait de l’adhésion à ce modèle l’une des conditions du financement du développement. Les gouvernants n’ont pas le choix, et le Maroc est victime comme le reste de l’Afrique.

Que pensez-vous des initiatives du président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, et de son homologue européen, José Manuel Barroso, qui promettent de s’attaquer aux causes structurelles du problème?

L’Afrique est trop dépendante de l’Europe pour se faire vraiment entendre. De plus, Barroso et Konaré sont des produits du système. L’un comme l’autre, ils doivent d’abord comprendre le message des clandestins, qui, sans le vouloir, ont montré que le système néolibéral ne peut générer que de la pauvreté.