Retour de Palestine occupée: impressions à quatre voix

Retour de Palestine occupée: impressions à quatre voix

Quatre militantes de solidaritéS sont de retour d’une mission civile en Palestine pendant laquelle elles ont séjourné à Gaza et en Cisjordanie. Elles nous livrent leurs premières impressions.

Paradoxalement, le désengagement de Gaza créé une situation dangereuse pour la Palestine et affaiblit la mobilisation civile internationale. Cette politique unilatérale du gouvernement israélien provoque un écran de fumée qui masque l’intensification de l’occupation et de l’appropriation de la Cisjordanie par l’Etat d’Israël. Comment parler de retrait et d’effort de paix alors que les dernières déclarations officielles de Sharon sont un appel clair à renforcer la colonisation du nord/ouest de la Cisjordanie et de la Vallée du Jourdain, sans parler de Jérusalem ou Hébron. Quant à la communauté internationale, elle préfère se déresponsabiliser en se laissant «bercer» par les paroles de Sharon et la campagne médiatique qui a entouré le désengagement à Gaza .

Valentina Hemmeler: Ma quatrième mission en Palestine m’a permis de revoir Gaza après 3 ans. Mes sentiments étaient tiraillés entre la joie de pouvoir entendre «welcome in my country» , de pouvoir circuler sans entrave dans cette minuscule bande de terre d’où les trop nombreux check points et les colonies ont été évacués et le désabusement de constater que Gaza n’est pas libre puisque les frontières terrestres, l’espace aérien et maritime demeurent sous contrôle israélien. Tout être humain ou marchandise est donc soumis au contrôle de la puissance occupante. Quant à la Cisjordanie, ce qui m’a touchée est de voir comment Israël avale ce territoire en construisant des murs, des check points ou terminaux de contrôle, des routes de contournement et d’immenses colonies. Le laboratoire de Gaza ayant fait ses preuves, le processus se reproduit en Cisjordanie. La récolte des olives offre le bonheur de pouvoir soutenir des paysan-ne-s palestinien-ne-s qui ont leurs champs de l’autre côté du mur ou proches des colonies, mais aussi le partage de leur tristesse et de leur inquiétude car ce sera peut-être la dernière année où ils pourront récolter les fruits de leur travail; le mur sera achevé dans ces villages d’ici à décembre et rien ne leur assure un accès futur à leurs champs.

Andrée Jelk-Peila: Lors de ma participation à la première mission civile suisse en 2002, la région était en conflit ouvert, la communauté internationale réagissait et se mobilisait. Aujourd’hui, on assiste à un pourrissement de la situation: c’est pire car plus silencieux et vicieux. On coupe tout simplement la population palestinienne de sa terre, de ses racines, de son instrument de travail. Nous avons côtoyé des familles qui, pour accéder à leurs champs, dépendaient de l’arbitraire d’une autorisation rarement accordée ou délivrée au compte goutte, souvent à qui n’en a pas l’utilité (vieillards, enfants, personnes de l’étranger ou même décédées). Dans cet Etat de non-droit, personne ne peut dire si demain, dans un mois ou dans un an il aura encore accès à sa terre, s’il pourra la cultiver. «Nous n’avons que peu de choix, nous disait un habitant de Mash’a: partir ou nous suicider. Pour ma part, je resterai mais je ne sais ce que feront mes enfants.» . Une banalisation tragique, inacceptable et révoltante contre laquelle nous devons impérativement lutter et que nous devons condamner.

Carmen Gazi: Un des aspects qui m’a profondément marquée c’est le manque de droits, l’arbitraire des décisions que subissent les Palestinien-ne-s au quotidien. Les destructions de la puissance occupante à Gaza, les étendues de cultures d’olives et d’agrumes entièrement rasées pour la «sécurité» des colons, l’enfermement que le redéploiement de l’armée israélienne a imposé aux Palestinien-ne-s et que je pourrais illustrer par deux images frappantes: les destructions de la tour de contrôle et de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Gaza et le magnifique bâtiment du terminal de la frontière égypto-palestinienne de Rafah qui attend patiemment de s’ouvrir au monde tant du point de vue humain que commercial. Ce qui m’a pincé le cœur c’est le regard d’enfants repliés sur eux-mêmes pour se protéger des souvenirs de la violence de l’occupant. Combien de temps faudra-t-il pour récupérer le sourire de ces enfants? Le cynisme de la communauté internationale qui reste silencieuse sur l’intensification de la colonisation en Cisjordanie, notamment à Jérusalem et dans la Vallée du Jourdain, comme corollaire du désengagement de Gaza. Je pense que le monde découvrira bientôt la honte d’avoir nié l’impact de cette occupation violente.

Maria Casares: Lorsque nous avons visité les colonies détruites par les Israéliens selon la méthode de la terre brûlée, je n’ai ressenti aucun sentiment, ni de joie, ni de tristesse. Nous étions accompagné-e-s d’une femme palestinienne qui a résisté jusqu’au dernier moment de l’occupation, refusé de partir et qui vit avec ses 6 enfants sous une tente à l’emplacement de sa maison détruite par l’armée israélienne. Voir l’expression de revanche sur son visage a été pour moi un moment fort d’émotion. Elle était là, avec nous, à l’intérieur d’une colonie, alors que pendant des années, la seule tentative d’approcher la zone de sécurité entourant les colonies, équivalait à des représailles parfois mortelles. Après trois ans de recul et de constats, je reviens de Cisjordanie avec le cœur gros en observant l’intensification de l’offensive israélienne et la spoliation des terres palestiniennes. Je pense que Sharon a gagné une bataille médiatique avec le retrait de Gaza; à nous de montrer et dénoncer cette mascarade politique qui consiste à «mieux» s’approprier la Cisjordanie.

La 17ème mission civile fera un témoignage le mardi 15 novembre, à 20h à la Maison des Associations(salle Gandhi). Vous êtes cordialement invité-e-s!­