Rassembler la gauche combative: les leçons genevoises

Rassembler la gauche combative: les leçons genevoises

On pourrait résumer les résultats des élections cantonales genevoises par la formule suivante: de petites différences en voix, mais de grandes conséquences en sièges. Voyons plutôt…

D’abord, la participation est restée relativement faible (40,7%), même si elle a progressé de 4,5 points par rapport à 2001. Dans un canton qui compte 40% de résidents et plus de 50% d’actifs étrangers, femmes et hommes, sans aucun droits politiques cantonaux, la fraction de la population adulte qui a effectivement pris part au vote n’a donc guère dépassé 20%.

La gauche a reculé de 1,2 point par rapport à 2001, passant de 44,4% à 43,2%. Ce petit pourcent abandonné s’est traduit cependant pas la perte de 10 sièges, de 43 à 33 sur 100. En effet, les deux listes issues de l’ADG ont passé de justesse au-dessous du quorum de 7% – 6,9% pour le Parti du Travail et les Indépendants, 6,7% pour solidaritéS – et le petit groupe des Communistes a obtenu 1,2% des suffrages. Si bien que 15% des électeurs-trices de la gauche combative sont aujourd’hui privés de toute représentation parlementaire.

A droite, l’Entente bourgeoise – libéraux, radicaux et PDC – a perdu 6 points, et l’UDC presque 1, au profit du tout nouveau Mouvement Citoyen Genevois (MCG), qui a fait campagne autant contre les travailleurs-euses frontaliers que contre les amendes d’ordre pour les automobilistes: un concurrent (provisoire?) de l’UDC, aux couleurs bien genevoises.

Au sein de la gauche, le PS a reculé de 3,2 points, partiellement en faveur des Verts, qui ont sans doute aussi récupéré une fraction de l’électorat de l’ex-Action Citoyenne (2,4% en 2001). Il y a 4 ans, le PS perdait déjà de 2,9%, alors que les Verts progressaient de 1,8%. Quant à l’ADG divisée, elle a amélioré un petit peu son score de 2001, surtout si l’on tient compte de la troisième liste des Communistes. En 2001, au contraire, l’ADG pourtant rassemblée, il est vrai sur une seule liste restreinte, avait perdu 4,3% de ses suffrages de 1997.

Au sein de la gauche combative, évincée provisoirement du Parlement pour cause de quorum non atteint, l’équilibre des forces a cependant profondément changé. En comparaison avec les deux scrutins précédents où solidaritéS s’était présenté seul, notre mouvement a atteint 6,7% aujourd’hui, contre 5,4% en 2003 et 3,8% en 1995. Cela fait autant que les deux autres composantes de l’ADG réunies.

Ceci dit, la presse se déchaîne aujourd’hui contre «l’extrême gauche la plus bête du monde» et cette stigmatisation n’est pas sans écho auprès d’une partie de notre électorat qui ne comprend pas pourquoi, en dépit de nos divergences, le rassemblement autour d’une seule liste n’a finalement pas été possible. Cependant, quels que soient les justifications – ou le silence – des uns et des autres, ce qui compte aujourd’hui, c’est l’attitude que nous adopterons pour tirer pleinement les leçons de cette crise.

Tout d’abord, il faut bien admettre que, si l’ADG a pu jouer un rôle de rassemblement décisif au cours des années 90, du moins sur le plan électoral, elle a commencé a connaître ses premiers ratés, il y a cinq à six ans, lorsque l’auto-préservation de ses composantes les plus menacées a commencé à prendre le dessus sur la promotion des intérêts communs de ses électeurs-trices. La structuration des indépendants en groupe à part entière, au même titre que le PdT ou solidaritéS, a renforcé ce processus, puisqu’il n’était dès lors plus possible d’adhérer à l’ADG sans s’affilier à l’une de ses composantes.

Aujourd’hui, nous devons relancer la réflexion sur le meilleur moyen de rassembler à nouveau l’ensemble des forces situées à la gauche du PS et des Verts, qui aspirent à travailler à la construction d’une alliance politique contre le néolibéralisme en évitant les impasses de l’ADG. A lui seul, solidaritéS ne peut prétendre à ce rôle. Il nous faut donc reconstruire une maison commune, la plus ouverte possible, qui facilite les débats et l’action collective, tout en encourageant l’accueil de nouveaux arrivant-e-s.

Pour cela, il faut inscrire d’emblée ce projet dans une perspective nationale, en collaboration avec le réseau «A gauche toute!», en renforçant les bases de nos accords programmatiques. Ensuite, nous devons nous donner les moyens de rassembler dans un cadre commun, sans exclusives, l’ensemble des collectifs et des militant-e-s qui partagent de tels objectifs. Enfin, ce rassemblement doit se donner des règles qui assurent un fonctionnement interne transparent et démocratique, afin que l’ensemble de ses membres aient une prise directe sur ses orientations et décisions. Dans un certain sens, c’est aux sources de l’ADG qu’il faut aujourd’hui revenir, mais en refusant de prétériter son développement par une logique d’auto-conservation frileuse de ses composantes de départ.

Jean BATOU