Grippe aviaire, menace globale... et la Suisse?

Grippe aviaire, menace globale… et la Suisse?

Nous avons posé trois questions à ce sujet à Pierre VANEK, Conseiller national de solidaritéS / A Gauche toute!

Que fait la Suisse face au risque de catastrophe sanitaire lié à la grippe du poulet?

Parler de catastrophe potentielle est juste, mais attention – comme le souligne à juste titre Mike Davis – ça n’a rien d’une catastrophe «naturelle», pas plus que ne le serait l’explosion d’une centrale nucléaire. Nous avions – en février de l’an dernier déjà – publié dans solidaritéS un article d’une camarade de notre mouvement qui mettait l’accent sur les conditions sociales et économiques liées à la mondialisation capitaliste qui ont maximisé ces dangers et qui relevait, notamment, deux problèmes majeurs liés à l’ordre néolibéral: la mainmise des multinationales pharmaceutiques sur les brevets des médicaments indispensables et le fait que la seule politique de santé publique qui puisse prendre le mal à la racine doit mettre au centre la lutte contre la pauvreté, l’exploitation et les pratiques antisociales qu’elle engendre.1

Mais concrètement, la Confédération n’a-t-elle pris aucune mesure?

L’Office fédéral de la santé publique a publié le 30 août un document sur cette crise. Il relativise le risque, reconnaissant les mutations du virus (H5N1) ces derniers mois, mais indiquant qu’il n’y a pas de preuves «incontestables» d’une mutation critique du virus, permettant à celui-ci d’être transmis facilement à l’homme. Evidemment, tant que la bombe n’a pas explosé… il n’y aura pas de preuves «incontestables» des dégâts qu’elle pourrait faire…

Pourtant la Confédération a pris deux mesures, l’une de lancer un appel d’offres international pour acquérir 100 000 doses du vaccin HN51 à venir. L’autre de stocker l’antiviral Tamiflu – produit par Hofmann-La Roche – à hauteur de la quantité nécessaire pour traiter 25% de la population helvétique, selon les recommandations de… Roche.

Ces mesures sont elles
satisfaisantes?

Non, même du point de vue de l’urgence. Comme conseiller national, j’ai l’intention de déposer à Berne lors de la prochaine session qui commence le 19 septembre, une intervention demandant deux choses:

Premièrement, une prise de position de la Suisse dans toutes les instances internationales OMS, OMC, etc. en faveur de licences obligatoires (compulsory licencing) permettant à toute entreprise publique ou privée du monde entier de produire les antiviraux ou vaccins nécessaires pour lutter contre la pandémie de grippe aviaire menaçante pour l’homme. Il est en effet inadmissible que, dans cette situation, la propriété privée des brevets ou licences vienne empêcher à l’échelle mondiale la production massive des moyens de riposte appropriés face à cette bombe à retardement. La Suisse officielle, qui s’enorgueillit des milliards que rapporte son industrie pharmaceutique, a une responsabilité morale et politique incontestable dans ce domaine. Le droit à la santé est un droit humain fondamental auquel on ne saurait opposer le «droit au profit» des multinationales et de leurs actionnaires.

Deuxièmement, je propose que – comme mesure de crise – et dans le cadre de l’aide publique au développement, la Suisse acquière 10 millions de traitements de l’antiviral Tamiflu pour les mettre à disposition en cas de besoin aux pays en développement, en collaboration avec l’OMS.

Rappelons que l’aide publique au développement Suisse se montait en 2003 à 0.4 % du revenu national brut (RNB) pour un montant de 1700 millions de francs environ. Le coût des 10 millions de traitements que j’évoque devrait se situer aux alentours de 10% de ce montant. On passerait ainsi ponctuellement de 0.4 à 0.44 % du RNB, bien loin toujours de l’objectif de 0.7% préconisé par les Nations Unies!

  1. «La grippe du poulet illustre l’échec de la santé publique néolibérale», solidaritéS, n° 40 du 13 février 2004.