Jean-Paul II: un pontificat ultra-patriarcal

Jean-Paul II: un pontificat ultra-patriarcal

Nous reproduisons ici un extrait de l’interview accordée par Angela Bonavoglia à Amy Goodman, que diffuse la liste Alternet. A. Bonavoglia est une féministe catholique états-unienne qui vient de publier «Good Catholic Girls: How Women Are Leading the Fight to Change the Church» («Bonnes filles catholiques: comment les femmes mènent le combat pour changer l’Eglise»).

Peux-tu revenir sur l’importance de Jean-Paul II pour les femmes dans l’Eglise?

C’est un héritage mélangé. Jean-Paul II a été très franc en ce qui concerne les discriminations envers les femmes. Il a pris parti contre les violences faites aux femmes et les discriminations qu’elles subissent. Il a encouragé les femmes dans les rôles qu’elles occupaient dans le domaine social, politique, artistique, culturel ou économique. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il a négligé la place des femmes dans la religion, certes pas complètement, puisqu’il a nommé des femmes à des positions auxquelles elles n’avaient encore jamais été nommées. Il a nommé les deux premières femmes à la Commission Théologique du Vatican, et placé une femme à la tête d’une académie pontificale. Il pensait donc être féministe et il existe des femmes catholiques qui se considèrent comme des «féministes papales».

Toutefois, sa vision des femmes puise à la source de ce qu’on appelle «la complémentarité des sexes» et il voyait de grandes différences entre hommes et femmes, et estimait la contribution des femmes comme étant au fond «qu’en se donnant aux autres quotidiennement, les femmes accomplissent leur plus profonde vocation». Il considérait ainsi les femmes comme nourricières, dont les qualités seraient l’humilité, l’écoute, la patience. Donc une notion des femmes aux capacités passives, bien que, comme je l’ai dit auparavant, il s’est ouvertement opposé aux discriminations faites aux femmes.

Ceci dit, durant son pontificat, il y a eu une exclusion totale des femmes du domaine de l’Ordination, ce qui, je le pense, est un problème extrêmement sérieux, puisque l’Ordination dans l’Eglise catholique est la seule route vers les plus hauts niveaux de sacrement. Ce n’est que par l’Ordination que les femmes pourraient représenter le divin, et donc un domaine véritablement essentiel de la spiritualité. Ce n’est que par l’Ordination qu’elles pourraient avoir de l’influence aux échelons les plus élevés du pouvoir et de l’autorité. Aujourd’hui nous voyons les conséquences de cette structure hiérarchique de l’Eglise catholique: c’est le problème principal dont nous héritons pour ce nouveau millénaire. Nous sommes face à une structure basée sur une hiérarchie exclusivement masculine et – théoriquement – célibataire, qui pose beaucoup de problèmes, tout comme l’autre domaine au sein duquel les femmes ont vraiment lutté et souffert en ce qui concerne leur rôle dicté par l’Eglise, c’est-à-dire la sphère privée.

Alors que les femmes ont été discriminées dans la sphère publique par leur exclusion de l’Ordination, dans la sphère privée, durant ce quart de siècle de pontificat au Vatican, l’autorité morale des femmes a été usurpée par l’éducation sexuelle très rigide promulguée par l’Eglise, et pas seulement aux Catholiques, mais dans le monde entier, en essayant de l’intégrer dans des politiques sociales, comme l’absence de contrôle de natalité, aucune contraception d’urgence, même pour les victimes de viols, pas de préservatifs, même pour lutter contre l’épidémie du SIDA, et l’interdiction de l’avortement, quelles que soient les circonstances. Ces positions ont été un lourd fardeau, surtout pour les femmes les plus pauvres dans les pays en voie de développement, où l’Eglise a le plus de pouvoir. Ce sont donc deux domaines où j’estime que l’héritage de Jean-Paul II est blessant pour les femmes.

Pourquoi le pape a-t-il été si opposé aux femmes prêtres?

Eh bien, c’était un traditionaliste, un traditionaliste profondément engagé. Je ne dis pas qu’il avait de l’hostilité envers les femmes, mais c’était un homme très traditionnel et, selon sa foi, la tradition de l’Eglise devait être immuable. Il n’y avait jamais eu de femmes prêtres et lui ne s’estimait pas la compétence de changer cela. Mais les théologiens sont nombreux, et en écrivant mon livre, Catholic Girls, j’ai interviewé beaucoup de théologiens qui ne croient pas que la tradition est gravée dans le marbre et qu’elle exclut absolument les femmes prêtres. En fait, la commission scripturale du Vatican, dans les années 70, a étudié la Bible afin de chercher une interdiction absolue de l’Ordination des femmes; elle ne l’a pas trouvée. Vu que ce n’est pas dans la Bible, ce serait donc du ressort de la tradition, mais c’est une position que beaucoup ont contestée.

Et en ce qui concerne l’avortement?

L’avortement est un problème bien plus complexe. Historiquement, la position de l’Eglise catholique s’est modifiée. Si l’avortement a toujours été un péché, il n’a pas toujours été un meurtre. A une autre époque, au Moyen Age, se posait la question du moment du développement où l’âme était insufflée au fœtus par Dieu; à partir de cet instant, et pas avant, un avortement devenait un péché. Mais, graduellement, cette attitude a évolué vers la position plus rigide que nous connaissons aujourd’hui au sein de l’Eglise. Des groupes comme Catholics for Free Choice, et bon nombre de femmes catholiques intéressées par les problèmes éthiques, parlent d’un «primat de la conscience», comme base de cette décision très difficile d’une femme, qui peut être prise en conscience.

Je pense que la rigidité de la position [de l’Eglise] par rapport à l’avortement doit être considérée, et comparée, dans un sens, avec son échec à adopter une position aussi rigide sur d’autres thèmes de la vie. L’Eglise est contre la peine capitale. Elle est contre la guerre, à l’exception de certaines conditions spécifiques. Mais elle n’a jamais affirmé que les personnes qui soutiennent ces questions ne peuvent plus venir communier et doivent être rejetées de l’autel, alors que c’est le cas pour l’avortement. Sur le plan purement politique, je pense qu’il faut se demander pourquoi. C’est une position et un argument très patriarcal, à mon avis. On peut l’imposer aux femmes sans risquer autant d’opposition que si la hiérarchie cléricale avait interdit la communion à toute personne soutenant la guerre préventive ou la peine capitale. Je pense donc que c’est important de considérer l’avortement dans le contexte des autres enseignements cléricaux.

Et au sujet du scandale des abus sexuels?

Les femmes ont été la clef de la réponse au scandale des abus sexuels, ce qui, à mon avis, est un point très important… Barbara Blaine a été abusée, de sa huitième année scolaire au collège. Elle a passé des années à tenter d’obtenir justice de la hiérarchie de Detroit, où ça lui est arrivé. Elle l’a obtenu en fin de compte: mais c’est seulement lorsqu’elle était sur le point de témoigner dans l’émission d’Oprah Winfrey, que le prêtre qu’elle dénonçait a été démis de ses fonctions. C’est ainsi Barbara, avec une poignée d’autres personnes, qui a fondé Survivors of Priest Child Sex Abuse (Survivants de l’abus sexuel des enfants par les prêtres), dans une chambre d’hôtel de Chicago, vers la fin des années 80, une organisation qui a grandi et compte aujourd’hui plus de 5000 personnes. Ce sont les véritables avocats des victimes, qui poussent la hiérarchie à les rencontrer, et qui contribuent à faire changer la loi afin de mieux poursuivre les coupables d’abus.

Quelle fut la réponse du pape à ce scandale?

Je pense que beaucoup de personnes l’ont trouvée insuffisante. Le pape n’a jamais pris [le problème] au sérieux. Les gens ont senti ce manque de sérieux. Et je vois dans la nomination du Cardinal Bernard Law, à la tête d’une basilique à Rome, l’un des plus tristes exemples de ce manque de sérieux. Ainsi, non seulement il n’avait pas été ouvertement puni, mais semblait même avoir été récompensé.

Le Cardinal Law étant le précédent évêque de Boston…

Exactement. Il avait démissionné en disgrâce, en raison des prêtres qui avaient été déplacés sous sa jurudiction; et à cause de tous les enfants, des centaines d’enfants, victimes d’abus sexuels dans cette région.