M2, métro lausannois: plus jamais ça

M2, métro lausannois: plus jamais ça

Dénoncer le M2 en cours de réalisation. Une provocation? Ce projet n’a-t-il pas été présenté dans les formes et agrée par une majorité de Vaudois?1 Ne sera-t-il pas d’utilité publique et écologique? Mais le choix d’un métro répondait moins aux besoins des Lausannois qu’à ceux de gros entrepreneurs privés. Les bénéfices à tirer de l’exploitation des transports publics étant réduits, le Capital a imposé une conception, dépassée mais plus rentable, sous couvert du «développement durable» des transports et de la ville. Beaucoup ont été trompés.

Il ne s’agit pas de monter en épingle les nuisances qu’engendrera jusqu’à 2008 ce «chantier du siècle»ou le récent effondrement à la place Saint Laurent, ni de mettre en cause les compétences des professionnels y travaillant ou la bonne foi des habitant-e-s l’ayant approuvé. Mais les ravages de la course au profit se poursuivront, il faut donc d’analyser cette affaire pour prévenir de nouveaux désastres urbains. L’avenir des villes appartient à leurs habitant-e-s. Leur aménagement ne doit pas être laissé à des «spécialistes» confondant rigueur scientifique et profitabilité économique.

Lausanne ville de tramways

Le projet du M2 fait fi des leçons d’un siècle de transports publics et des charges pour les générations futures. De 1896 à 1964, Lausanne s’est équipée d’un réseau de transports exemplaire. Ses trams et trains irriguaient la ville et sa région, jusqu’à Pully, Lutry, La Rosiaz, Savigny, Moudon, Cugy, Montheron, Bergières, Prilly, Renens, Bois de Vaux et la Pontaise par le Valentin, sans crémaillère malgré ses 11,27% de pente! Les trams étaient lents et bruyants mais remplissaient leur fonction et davantage: les déplacements étaient des promenades, les passagers autant de rencontres fortuites et les trajets des spectacles de la ville et de ses gens.2

Ce réseau homogène a été détruit en 1964, asphyxié par les voitures privées auxquelles les «décideurs» donnaient la priorité absolue. Les nouveaux moyens de transport publics hétéroclites3, bus, trolleys, «ficelle», taxis ne devaient plus freiner la fluidité du trafic automobile. Après 40 ans du «tout pour la bagnole»: échec flagrant, engorgement de la circulation, accidents, bruit, pollution, coût exorbitant de gestion des transports publics et privés. D’où l’urgence d’un retour en arrière et les arguments en faveur du M2. Mais faute de tirer les leçons de l’erreur de 1964, le projet ménage le trafic privé et pour cela – les surfaces de circulation étant limitées – enterre le M2, dédaignant l’urgence de modérer le trafic privé et l’échéance de son dépérissement dû à la raréfaction des énergies fossiles.

Tramways, le retour

Ce choix contredit les solutions adoptées en Europe. L’exception lausannoise en la matière tourne le dos au retour du tram à Nantes, Bordeaux, Montpellier, Berne, Zurich, Genève… Le tram reconquiert des voies sacrifiées aux autos et les rend aux piétons, aux cyclistes et à la nature. Le métro ne modérera pas le trafic, mais libérera des voies de trolley et de bus où les voitures viendront s’engouffrer. Réédition de l’erreur urbanistique de 1964, car «il y a deux types d’urbanisme: le premier, traditionnel, à la mesure des piétons, le second basé sur l’automobile. Il faut revenir au premier»4 Or, le M2 découle du second. Le Mouvement de défense de Lausanne (MDL) mettait en doute l’opportunité du projet et proposait un renforcement du réseau de surface.5 Le professeur Philippe Bovy, directeur du Laboratoire de mobilité et développement territorial de l’EPFL et père du TSOL, dénonçait cette «solution chère et risquée», sans être écouté.6 L’inutilité et l’inopportunité de construire un métro à Lausanne ont été dénoncées sans succès, faute d’information et de mobilisation des usagères et des usagers. Ces critiques constructives étaient pourtant confortées par les choix de nos voisins. Le choix du tram parisien, qui transportera 100000 voyageurs par jour, vise à modérer le trafic car «un tramway [en surface] est […] un moyen radical pour diminuer la circulation automobile dans la capitale»7. Le matraquage d’arguments biaisés a étouffé les résistances. Verts, PS et partis bourgeois, des «forces qui ne sont généralement pas convergentes […]: écologie et économie»8 semblent s’être liguées pour la défense du développement durable du… capitalisme.

Révolue, l’austérité
budgétaire?

On n’est plus en 1964, dans le délire productiviste des «trente glorieuses». Le choix pour améliorer les transports publics devait tenir compte de leur coût. Or le M2 enterré coûtera plus du double de l’équivalent en surface9 et plus de trois fois plus que le TSOL/M1. La comparaison entre deux projets semblables le prouve (voir tableau ci-dessous).

Tram à Valenciennes Métro à Lausanne
Mise en service: 2006 2008?
Longueur: 9,5 km avec 19 stations 6 km avec 14 stations
Personnes transportées par an: 20 mios 25 mios
Agglomération desservie: 350 000 habitants 300 000 habitants
Coût total: 375 mios de CHF 647 mios de CHF

Cet exemple est confirmé par ceux de Montpellier, Nantes, Strasbourg, Orléans…10 A ceux qui diront que Lausanne n’est pas Valenciennes, que sa pente et son sol renchérissent les coûts, nous répondons que c’était de bonnes raisons de renoncer au métro! De plus, le choix enterré augmente autant les dépenses qu’il allonge la durée des travaux: 6 ans de chantier, alors que la pose des premiers 11 km de rails du tram lausannois inauguré en 1896 a pris 5 mois!11

Privatisation des transports publics

Cette manne publique ne sera pas perdue pour l’«économie» privée. Le creusement d’un tunnel et la construction des gares dans un site fortement construit, pentu et sur un terrain chaotique, avec un enchevêtrement de gaines de câbles, tuyaux et canalisation, sont une aubaine que marchands de ferraille (6000 tonnes), de béton (100000 m3), transporteurs de déblais (344000 m3) et exploiteurs d’une légion de travailleurs (300 à 500) ne pouvaient laisser échapper. Le coût des travaux de génie civil induits par la variante en sous-sol représente 46% du coût du M2. Le patronat se frotte les mains discrètement. Son extrême droite l’écrit: «Le métro M2 rapportera quelque 400 millions de francs à des entreprises vaudoises.»12 Ingénieurs et architectes ne s’en plaignent pas: Olivier Français, conseiller communal et directeur des travaux, l’écrivait sans fard: le M2 donne «Un nouveau souffle pour la construction.»13

Ainsi les litanies de «développement durable», «moyen de transports non polluant», «chantier du siècle» sont du bluff ayant peu à voir avec les besoins de la population. Au contraire, ce projet promet des surprises qu’une rigoureuse «étude d’impact» devait prévoir et une information sérieuse dénoncer. Or les études du Canton ont tu sciemment les aspects négatifs du M214 parmi lesquels:

  • Enterrer les voyageurs. Pourquoi pénaliser les voyageurs ayant renoncé à leur «bagnole» et les enterrer comme des taupes? Pourquoi les livrer aux bons vouloirs d’une machine, aussi «performante» soit-elle: «l’ouïe», «la voix» et «le regard» de la machine M2 permettront au TL de continuer à garder un contact «humain» avec leur client» assure le responsable de la sécurité.15 Pourquoi transporter des passagers en tunnel alors que les drames qui y paraissent inévitables?16 Confinés dans leurs wagons automatiques et électroniques – roulant à cinquante pieds sous terre – habitués certes à «voir» les vitres des bus tapissées de pub – ils seront privés du spectacle de leur ville. Alors que le tram au contraire «Quatre fois moins cher que le métro permet de voir et d’être vu: cette réalisation de surface évite les mauvaises surprises des travaux souterrains.»17 A l’anxiété d’être transportés sans pilote, s’ajoutera celle de devoir s’aventurer dans des gares sordides et dépeuplées. Eloignement des stations, descente aux enfers, voyage dans un boyau, transbordements sous-sol/surface, corvée pour les anciens, les handicapés et les passagers chargés de commissions… Quel masochiste renoncera au porte-à-porte automobile?
  • Pollution automobile. En supprimant des couloirs de bus, le M2 libérera autant de voies pour les autos. Pourtant, chaque année en Suisse, plus de 1300 personnes meurent de leur pollution et les coûts de santé publique s’élèveraient à 1,6 milliards.18 Le M2 créera un appel d’air… pollué comme commencent à le craindre les médias: «L’accessibilité du centre ville aux transports individuels pourrait s’en trouver facilité»19 ou «Un métro pour moins de pollution, ou pour faire de la place aux voitures?»20 On est loin d’«Améliorer la qualité de vie et la qualité de l’air au centre ville et le rendre plus attractif» comme le prétend François Marthaler, conseiller d’Etat vert et chef du département des infrastructures21, à moins de multiplier gendarmes couchés et dressés, amendes, péages et autres mesures répressives, dans une ville déjà empoisonnée par la surveillance policière.
  • Evacuer les déblais. Le M2 c’est aussi une question prosaïque de m2 de macadam et de m3 de matériaux d’excavation. La masse des déblais remplirait une dizaine de cathédrales de Lausanne, mais est impropre à construire le moindre mur. Pour s’en débarrasser, on en coule dans le Léman, au Bouveret.22 Et quelle sera la masse de CO2 émise en six ans par les engins de chantier, l’impact sanitaire de leurs émissions et les effets environnementaux de l’abattage de tant d’arbres?
  • Mobilité: «mal du siècle»23. Avant d’accroître les moyens de transport il aurait été utile de s’interroger sur la cause du mal et les moyens de le guérir en limitant la corvée des déplacements et la perte de temps et d’argent causés. C’est en réduisant le temps de travail, en organisant les livraisons à domicile, en favorisant l’agrément des promenades à pied, à vélo, en planche à roulette… en libérant la ville des voitures, qu’on mettra fin à la bougeotte imposée. Le slogan «M2: Ouchy-Epalinges en 18 minutes» évacue ces solutions comme l’a illustré Mix et Remix: «… et une fois que tu es à Epalinges, tu fais quoi?»24 sans parler de l’insolence citoyenne du génial dessinateur Burki.
  • Travailleurs menacés. Malgré les précautions, les risques sont élevés. L’accident du 22 février, qualifié abusivement de «géologique», aurait pu enfouir nombre d’entre eux et précipiter dans les cratères de la Place Saint-Laurent et d’un commerce voisin, profond de 16 à 18 m, autant de passants ou clients. Des risques prévisibles, tant le sol lausannois recèle de «surprises» géologiques connues de longue date: «Depuis 1876, au moins cinq articles scientifiques ont évoqué les risques du “lac de Saint Laurent”.»25 Les accidents de tunnels devaient être d’autant plus prévenus qu’en 1989, lors du percement du M1, un ouvrier a été tué par un éboulement, que le chantier des NLFA aurait déjà fait 11 morts et que selon L’Evénement Syndical du 2 mars: «Il n’y a pas de commission pour la sécurité» sur les chantiers du M2.

Le M2 a été un choix des lobby de la bagnole et du béton, résultant d’une pollution de la rigueur scientifique par de faux postulats économiques, dictés par les intérêts d’une minorité dominante. La course au profit, confortée par une science sans conscience, n’arrêtera pas sans que nous n’y mettions fin par une reprise de contrôle public sur ce bien commun qu’est la ville. Il y a urgence, car ce «chantier du siècle» risque d’ouvrir un siècle de chantiers: métro d’Ouchy dès 2006, renforcement de la voûte du Flon, construction de parkings relais, chantiers pour le nouveau réseau de bus, tunnel sous Ouchy… Une autre ville est possible: choisissons là!

François ISELIN

  1. Lors du vote cantonal du 24.11.02, 31% d’électeurs ont approuvé le projet M2 (62% de OUI sur 50,2% d’électeurs)
  2. M. Grandguillaume et al., «Les tramways lausannois 1896-1964», Laus. 1977
  3. Il est prévu qu’en 2008 les TL transportent autant de passagers que le M2 et le TSOL!
  4. L. Bonanomi, Ch. Jemelin et V. Kaufmann, spécialiste de l’EPFL, Un métro: mais pourquoi faire?, Laus. 24.10.97
  5. Conf. de presse après l’enquête publique, du 10.11.00
  6. 24 Heures, 4.11.02
  7. Le Monde, 7.9.04.
  8. Moritz Leuenberger à la pose de la première pierre du M2, le 17.6.04
  9. Le montant actuel de 647,1 mios est de 70% plus élevé que l’estimation de 1996! Conf. de presse du 10.11.00
  10. «Le tramway est devenu la star des politiques de transports urbains», Le Monde, 19.6.00 & 13.2.01
  11. 24 Heures, 28-29.2.03
  12. La Nation, 1.11.02
  13. Tracés, 17.11.04
  14. Cant. de Vaud: «Étude du prolongement du métro Lausanne-Ouchy vers le nord-est», Rapports de synthèse publiés en mai 1995 et nov. 96. V. aussi synthèse de la consultation du 6.10.95
  15. Banc public, Spécial M2, oct. 2004
  16. Mont-Blanc 24.3.99, 39 morts; Kaprun 11.11.00, 155 morts; Gothard 24.10.01, 11 morts; Biogna 27.1.03, 2 morts…
  17. Le Monde, 13.2.01
  18. Etude du DETEC, 24H. 20.12.04
  19. «Éviter un fiasco au M2», 24H, 6-7-11.04
  20. Titre de 24H, 23.12.04
  21. Le Courrier, 22.2.05
  22. 24 Heures, 14.11.04
  23. Tracés, 17.11.04
  24. Tracés, 17.11.04
  25. 24 Heures, 24.2.05