«NEM»: des humains niés ... et pourtant si vivants

«NEM»: des humains niés … et pourtant si vivants

Le 15 mars, à la veille des débat du Conseil des Etats sur les Lois sur les Etrangers et sur l’Asile, le Carrefour suisse NEM-NEE avait organisé à Berne la projection d’un film de Charles Heller et Enrico Pizzolato, sur les conditions de vie des rejetés de l’asile, objets d’une «non entrée en matière» (NEM). Une trentaine d’entre eux étaient invités à venir témoigner directement.

Les élu-e-s étaient invité-e-s à cette projection à deux pas du Palais fédéral durant la pause de midi, sans guère de succès, même si la conseillère nationale verte Anne-Catherine Menetrey-Savary était présente. Heureusement, la salle était pleine de sympathisant-e-s, pour entourer la trentaine de «NEM» venus de Soleure, de Bâle, et de Bienne. Pour la plupart des hommes jeunes, Noirs, francophones, (d’autant plus perdus en Suisse alémanique), debout, souriants malgré la misère crasse dans laquelle ils doivent vivre, s’exprimant avec maturité politique et aisance en public. Il faut dire que l’on compte parmi eux des journalistes persécutés dans leur pays.

A hurler d’indignation!

Le documentaire tourné principalement à Soleure montre leurs conditions de vie: obligés de dormir dans des caves, chassés des foyers et des gares, laissés à la rue au froid, sans nourriture ni moyens de subsistance. Il enregistre leurs témoignages concernant des méthodes policières d’humiliation, de terrorisation et de violences physiques. Les «acteurs» du film étaient présents, qui tranquillement, confirmaient leurs témoignages et racontaient le racisme ordinaire qu’ils subissent, qui assimile notamment peau noire et vente de drogue. «J’aimais ma peau avant d’arriver ici, mais maintenant je la déteste» s’étonne un Ivoirien.

Ces jeunes hommes si vivants sont devenus invisibles aux yeux de la Suisse officielle, ils n’apparaissent plus comme des humains, mais comme des chiffres à biffer… Nous en sommes arrivés à ce que la philosophe Hanna Arendt dénonçait comme méthode totalitaire et que rappelle Marie-Claire Caloz-Tschopp: «la superfluité des êtres humains», non seulement dans le sens de quelque chose qui n’est plus nécessaire, mais d’un surplus éliminable du système politique et du monde. Anne-Catherine Menetrey est intervenue pour rappeler que le Conseil Fédéral nie tout problème humain, son seul but étant de faire baisser les statistiques des demandes d’asile acceptées.

A la fin de la réunion, un «NEM» a pris la parole: «Merci d’être venus, ce partage d’amour était très important, il nous aide à rester éveillés intellectuellement. Les souffrances que nous vivons concernent l’humanité tout entière.»

Gages d’espoir?

De la Berne fédérale, qui fait penser à un lion repu, je rentre à Genève, qui par contraste, paraît une ville métisse. Les «minorités visibles» (expression canadienne) sont bien présentes. Je sais qu’il y a une forte discrimination à l’apprentissage et à l’emploi, voire au logement, mais pour l’instant la présence des habitant-e-s originaires de pays non-européens s’impose tranquillement. Les jeunes se fréquentent, sortent ensemble, forment des couples et chaque jour au moins naît un enfant métis. Même le gouvernement genevois donne quelques petits gages d’espoir: sa volonté de régulariser des travailleuses sans statut légal, si imparfaite soit-elle, est un progrès. Et la réponse des autorités genevoises à Blocher concernant la Loi fédérale sur l’usage de la contrainte (LUsC) s’élève tout de même fermement contre l’usage de mesures trop humiliantes et violentes envers les réfugié-e-s expulsés. La pétition initiée par notre camarade Viviane Maurutto y est pour quelque chose! (v. solidaritéS n° 61, p. 6 et 7).

De plus, la lutte opiniâtre des camarades vaudois-es contre les renvois forcés porte des fruits et surtout est contagieuse! Elle donne espoir dans la lutte. Enfin, il faut saluer le courage et la ténacité hors du commun des militant-e-s soleurois-es de IGA-SOS Asile qui dénoncent les pires atteintes aux droits humains dans un canton tétanisé par la crainte de l’étranger, et prennent matériellement en charge les «NEM». C’est ce groupe de Soleure qui, en accompagnant le cas d’un «NEM» jusqu’au Tribunal fédéral, vient de remporter une victoire sur l’inhumanité. Selon la Constitution, qui l’emporte sur le Tribunal administratif de Soleure, toute personne vivant en Suisse a droit au minimum d’existence, donc de ne pas mourir de faim et de froid dans la rue. Mais Blocher s’entête: et annonce vouloir trouver des accommodements avec la Constitution ou carrément la changer!

Seul un puissant mouvement de solidarité peut retourner la situation. Une manifestation nationale s’organise pour le 18 juin à Berne. Il sera important de se mobiliser pour dire STOP à la politique de Blocher et montrer qu’une autre Suisse est possible…

Maryelle BUDRY