Le Grand conseil refuse de taxer plus les gros bénéfices


Le Grand conseil refuse de taxer plus les gros bénéfices


Au printemps 1999, l’Alliance de Gauche déposait une initiative intitulée «Pour une contribution de solidarité temporaire des grandes fortunes et des gros bénéfices». Celle-ci prévoyait une augmentation marginale et temporaire de la taxation des fortunes des personnes physiques, à partir de 1,5 million, et des bénéfices des entreprises supérieurs à 1 million. Le Grand Conseil vient de rejeter ce texte et de le renvoyer en commission, en dépit de l’appui des socialistes. En effet, les verts ont voté avec la droite, contre la taxation des gros bénéfices, qui pourrait, à leurs yeux, limiter les «investissements du futur». Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits du rapport de minorité défendu devant le Grand Conseil.


par Bernard Clerc


Les deux mécanismes prévus par l’initiative sont intéressants. Le premier consiste à prévoir une imposition supplémentaire sur le bénéfice des personnes morales de plus de 1 million tant que le taux de chômage est supérieur à 2%. Le lien établi avec le taux de chômage part de la constatation que, lors de la dernière crise, de nombreuses entreprises ont vu leurs bénéfices augmenter alors que, dans le même temps, elles procédaient à des licenciements. Elles ont de cette manière reporté sur les collectivités publiques les coûts de leurs restructurations. Ne seraient concernées par ce mécanisme que les entreprises qui réalisent des profits substantiels. Il convient de rappeler ici qu’en matière d’imposition des personnes morales notre canton se situe tout à fait dans la moyenne suisse et que, plus largement, la fiscalité des entreprises est tout à fait compétitive en comparaison internationale. On peut certes discuter du seuil de chômage retenu par les initiants encore que, il faut s’en souvenir, ce taux, à Genève, était inférieur à 2% entre 1980 et 1990. 2% de chômage cela signifie plus de 4000 chômeurs/euses indemnisés et un nombre bien supérieur de demandeurs d’emploi.


En sept ans, le nombre d’entreprises réalisant un bénéfice imposé de plus de 1 million a donc augmenté de 109%.

Dans la même période les bénéfices imposés de l’ensemble des sociétés sont passés de 2,281 milliards à 3,616 milliards soit une augmentation de 59%. Pour les personnes morales dont le bénéfice est supérieur à 1 million, les bénéfices imposés sont passés de 2,002 milliards en 19941 à 2,938 milliards en 1998 soit une progression de 47% en cinq ans ! On le voit l’évolution des bénéfices est sans aucun rapport avec celle des revenus de la majorité de la population.


Sur la base des statistiques de l’année 1998 fournies par l’administration fiscale, ce sont 499 personnes morales sur 18 136 dont le bénéfice est supérieur à 1 million qui seraient concernées par cette imposition supplémentaire, soit le 2,75% d’entre elles. L’initiative prévoit que le taux supplémentaire s’échelonne de 1% à 4% suivant le niveau des bénéfices, portant le taux d’imposition de 11% à 14% selon les cas. Il convient de rappeler, qu’avant le passage au taux fixe, le taux d’imposition en fonction de l’intensité de rendement s’échelonnait jusqu’à 14%.


On le voit l’effort demandé est tout à fait raisonnable et n’est pas de nature à remettre en cause la compétitivité fiscale de notre canton ni sur le plan national et encore moins sur le plan international.Le second mécanisme prévu par les initiants consiste à prélever, sur les fortunes imposables supérieures à 1,5 million, un impôt additionnel limité à cinq ans et non soumis aux centimes cantonaux et communaux. Les initiants ont tenu à préciser que la limite inférieure de 1,5 million qui a été retenue a pour objectif de ne pas imposer les personnes ayant économisé pour s’acheter une villa. Il ne serait pas judicieux de toucher ces personnes, surtout au moment où celles-ci sont à la retraite. Au-dessus de ce montant on ne se trouve à l’évidence plus dans la catégorie de petits revenus.


Comme pour les personnes morales, il est intéressant d’examiner l’évolution du nombre de contribuables dont la fortune imposée est supérieure à 1 million (la ventilation par tranches supérieures à 1,5 million ne nous est pas connue pour les années antérieures à 1998) :


En huit ans, le nombre de contribuables dont la fortune imposée est supérieure à 1 million a progressé de 51% et la fortune imposée cumulée de ces contribuables est passée de 18,1 milliard à 32 milliards soit une hausse de 77% ! En 1999, la fortune de ces contribuables représentait le 76% de toute la fortune imposée dans le canton. Là encore, l’évolution de la fortune est sans aucun rapport avec celle des revenus de la majorité de la population.


En une année, de 1998 à 1999, le nombre des contribuables disposant d’une fortune imposée supérieure à 1,5 million est passé de 4 264 à 4 435 en progression de 4%. La fortune cumulée imposable de ces contribuables a progressé de 27,815 milliards à 29,310 milliards, une hausse de 5,4%. Or, à l’évidence, les personnes disposant d’un niveau de fortune de cette importance perçoivent des revenus élevés et ces derniers ont aussi évolué de manière significative.


La répartition par tranches de bénéfice imposable n’est pas publié dans le rapport de gestion du conseil d’Etat avant 1994. Le dernier rapport de gestion du conseil d’Etat pour l’année 1999 fait état d’une progression des revenus imposables très différenciée :
1,07% pour les revenus imposables inférieurs à 100 000 Fr.

7,08% pour ceux compris entre 100 et 500 000 Fr.

17,4% pour ceux compris entre 500 000.- et 1 million;

25,7% pour ceux supérieurs à 1 million !

Ces quelques chiffres montrent que l’évolution des revenus et de la fortune est de plus en plus inégalitaire et que les riches deviennent toujours plus riches alors que la majorité de la population voit ses revenus stagner. En termes réels, les salaires en Suisse n’ont progressé que de 0,17% ces dix dernières années.


L’effort, limité dans le temps, demandé par l’initiative aux personnes disposant d’une fortune supérieure à 1,5 million serait donc le suivant :

3 millions: 17 500 Fr.

5 millions: 18 500 Fr.

10 millions: 48 500 Fr.

Les recettes supplémentaires provenant des bénéfices ont été évaluées par l’administration fiscale à 135 millions et celles découlant de l’imposition additionnelle des grandes fortunes à 130 millions.

C’est un total de 265 millions qui pourrait ainsi être consacré à l’amortissement de la dette pendant une période déterminée.



Une taxe provisoire sur les gros bénéfices…

Les verts disent NON avec la droite


De 1994 à 1999, les bénéfices déclarés par les entreprises suisses ont crû de 120% (17,7% par an), alors que les revenus des personnes physiques stagnaient.


Les élu-e-s écologistes ne voient pas à quel point cette explosion des bénéfices témoigne de la redistribution des richesses produites au détriment des salarié-e-s, sans pour autant déboucher sur des investissements générateurs d’emplois.


Une telle myopie atteste bien des progrès de l’idéologie néolibérale au-delà des cercles traditionnels de la droite: pour les représentant-e-s des verts, la mise en cause, même symbolique, du mécanisme inégalitaire de l’accumulation est devenu simplement tabou.


(jb)