Maternité et politique familiale: impasses patriarcales-libérales
Maternité et politique familiale: impasses patriarcales-libérales
«La classe politique montre peu dempressement à empoigner le problème épineux de lavenir de la sécurité sociale à long terme, quelle ne devrait pourtant plus éluder. Au contraire, elle envisage même dintroduire de nouvelles prestations sociales distribuées selon le système de larrosoir, c.-à-d. sans prendre en compte les besoins individuels effectifs. Exemple: le projet dassurance maternité obligatoire et luniformisation du régime des allocations pour enfants.»1 Ce simple extrait du «livre blanc» des tenants du néolibéralisme permet de situer le débat qui va avoir lieu à Genève. Lassurance maternité fédérale ayant été acceptée par le peuple, il va sagir dadapter la législation cantonale genevoise.
Dans ce même paquet sera traitée la loi sur les allocations familiales cantonales (LAF). En effet, la LAF actuelle garantit une allocation par enfant, quel que soit le statut salarial, indépendant, sans activité des parents. Elle a généré un recours des milieux patronaux, jusquau Tribunal fédéral, qui a déclaré la loi non conforme, puisque les cotisations des employeurs servent également à verser des allocations à des enfants de «non actifs»: les invalides, retraité-e-s, veuves et veufs, étudiant-e-s, allocataires de laide sociale, membres du personnel de maison, conjoint-e-s à la maison…
Tour de passe-passe du PDC
Les employeurs payent une cotisation, fixée par lart. 27 de la LAF, sur la masse des salaires soumis à cotisation AVS. En 2005, ce taux de cotisation régi par la LAF baissera. Dans le même temps, et suite au recours des patrons, «une nouvelle dépense» a dû être inscrite au budget 2005 de lEtat, à hauteur denviron 16 millions, afin de pouvoir verser les allocations familiales aux enfants des «non actifs».
On peut donc présager dune révision analogue des lois touchant aux allocations maternité et familiales cantonales. Plusieurs projets ont été déposés par divers courants politiques représentés au parlement. Il existe aussi un document déposé par le Président PDC du Département de lAction Sociale et de la Santé (DASS), ainsi quune motion du PDC qui préconise un simple transfert de charges.
Dans cette optique, lassurance maternité genevoise serait réduite au niveau minimaliste de la loi fédérale acceptée par le peuple. En contre-partie, les allocations naissance seraient portées de 1000 à 3000 francs, afin de compenser la baisse de deux semaines de lassurance maternité cantonale. Les allocations mensuelles seraient portées à 220 francs pour la première classe dâge, puis à 260 francs pour la deuxième classe dâge.
Un modèle révolu
Cest donc une nouvelle vision minimaliste qui est proposée par lun des partis de lEntente genevoise qui, par ailleurs, se pose en garant des valeurs de la famille! La politique familiale ne sarrêtant pas aux allocations familiales et à lassurance maternité, la situation genevoise ne peut être appréhendée sans un tour dhorizon plus large des principaux développements en la matière à léchelle nationale.
Premièrement notre modèle de société sest développé autour de la famille, pilier de lordre social. En effet, fondamentalement, la prise en charge des enfants, repose sur un système de normes qui senracine dans lhistoire de la famille judéo-chrétienne patriarcale. Pourtant, ce modèle est aujourdhui largement dépassé, comme dailleurs la longue période dexpansion économique tout à fait exceptionnelle de laprès-guerre! Nous avions connu alors un certain équilibre entre loffre demplois et la demande de biens de consommation, toutes deux en forte croissance, qui semblait légitimer la paix du travail. Ce modèle est aujourdhui révolu en raison des modifications structurelles de léconomie qui conduisent à une «société des quatre cinquièmes dexclus»2. «Précarité et flexibilité (économique) vont de pair et ils sont synonymes dexclusion et de misère. Les conditions de travail atypiques et les parcours professionnels interrompus échappent fréquemment aux mécanismes traditionnels de protection sociale»3.
Des progrès de la politique familiale?
Cette fin dannée 2004 a été marquée par le 10e anniversaire de lAnnée internationale de la famille et ceci nécessite un bout de bilan. Les années 90 auraient dû enregistrer des progrès dans la lutte contre la pauvreté des familles, dans la reconnaissance des services rendus par les familles à la société, dans la promotion de légalité entre femmes et hommes et dans le bien-être de lenfant, ceci afin de se conformer au mandat constitutionnel, principalement les art. 8 et 41.
Lart. 8 traite de légalité entre homme et femme et représente un enjeu majeur en matière de politique familiale, car il est tourné vers lavenir. Pour se faire, il faut changer limage traditionnelle du partage des tâches (mère au foyer et père «gagnant la vie» de la famille), porté encore actuellement par les partis bourgeois dont lUDC. Lévolution des mentalités et, pour bonne part, la démocratisation des études, a permis à un nombre important de femmes daccéder à des formations en adéquation avec le marché de lemploi, mais les structures patriarcales et le système scolaire ne permettent pas ladéquation entre vie professionnelle et vie familiale pour bon nombre de femmes.
Lart.41 précise un certain nombre de choses en matière de sécurité sociale. Pour y répondre, lEtat devrait garantir laccès aux soins pour les enfants et les parents en instaurant une couverture maladie (LAMal) en fonction de la capacité contributive de la cellule familiale, ou au moins un système de subside complet des primes LAMal pour les enfants, et ceci jusquau terme de leurs études. Lallongement de lespérance de vie devrait conduire à un nouveau pacte intergénérationnel en matière de financement et de prestations de sécurité sociale sur le modèle de lAVS.
Revenus familiaux et éducation
Cet article Constitutionnel traite également de la définition de la famille et, dans ce contexte, le secrétariat à léconomie (SECO) donne une définition de la famille qui me semble répondre aux nouveaux modes familiaux: «tout foyer comportant un ou plusieurs adultes vivant sous le même toit et assumant la responsabilité de la garde et de léducation dun ou plusieurs enfants»4. Il sintéresse aussi aux ressources économiques des familles qui, dune part, devraient concerner la fiscalité par limposition individuelle et une politique de déductions sur le modèle des bonus éducatifs, mais aussi lAVS pour les personnes prenant en charge des enfants.
Dautre part, il reste insoutenable que des familles ayant une activité salariale doivent faire appel à laide sociale pour compléter leur budget et ainsi faire vivre leur famille, il est donc temps dinstaurer un salaire minimum conventionné par branche économique dans ce pays. Enfin, il faut envisager linstauration dun revenu de formation et ceci dès lentrée en scolarité de lenfant, permettant ainsi au couple ou à ladulte élevant seul un enfant dorganiser sa vie en fonction des besoins familiaux.
Lart. 41 traite également de léducation et, dans ce sens, lEtat doit jouer son rôle propositionnel en définissant de nouvelles conditions-cadres appropriées, dabord en favorisant les horaires continus en matière scolaire et ensuite en instaurant une pré-scolarité obligatoire dès lécole enfantine. Par ailleurs, il faut garantir laccès aux études post-obligatoires et à la formation continue, selon les aptitudes de chacun-e, en développant une politique cohérente daccès aux bourses détudes et dapprentissage.
Ce même article constitutionnel aborde la question du logement. La pénurie de logements, conjuguée à laugmentation des divorces et séparations, conduit un nombre important de familles monoparentales à devoir rester dans des logements dont le loyer grève durablement leur budget, conduisant ainsi à des formes de précarisation. Il sagit donc de proposer de nouvelles solutions pour ces situations, par exemple, le nombre de familles ou quatre générations se côtoient doit amener une réflexion sur de nouvelles formes dhabitat intergénérationnel.
Ou se situe réellement le débat?
Plus récemment, sur lIle St-Pierre, le 31 août 2004, Pascal Couchepin a proposé des pistes dont quelques-unes pourraient répondrent aux exigences constitutionnelles: «Il faut si possible instaurer partout lhoraire continu (périodes blocs) au jardin denfants et à lécole. Il faut de surcroît augmenter loffre décoles de jour au niveau cantonal. Il est souhaitable de scolariser les enfants plus tôt pour des raisons de formation et dintégration. Il sagit de réaliser le principe de limposition individuelle pour lutter contre la pauvreté des familles»5.
«La politique familiale, en Suisse, est embryonnaire, pour ne pas dire inexistante, comme le relevait récemment un rapport de lOCDE»6, car la Suisse est imprégnée dun modèle libéral qui met laccent sur la loi du marché et la responsabilité individuelle. Pourtant, les changements fondamentaux de notre société appellent de nouvelles règles. Léconomie privée a imposé les siennes, en raison de sa puissance financière et parce quelles sont conformes à lidéologie dominante. Ainsi, «en 2001, les dépenses publiques sociales atteignaient 26,4% du PIB dont 50% affectés au financement des retraites et 1,34% à la famille»7.
Il sagit donc de sortir des débats caricaturaux sur le financement des institutions sociales qui partent de calculs simplistes sur les proportions de la population active qui diminuent, se stabilisent ou augmentent. Il sagit de repenser notre sécurité sociale basée sur le salariat pour la développer autour dobjectifs clairement assumés: le bien être social commun et lépanouissement personnel. Cela nécessite une définition des nouveaux rôles sociaux de chacun-e, mais aussi la garantie dun revenu suffisant pour une vie digne. En lien avec les articles constitutionnels cités plus haut, léconomie privée, la Confédération et les cantons doivent être sommés doffrir les conditions matérielles permettant cet épanouissement.
Pourtant, comme le relève avec pertinence la professeur Ursula Pia Jauch8, «la discussion actuelle se limite désormais au calcul du coût dun enfant, à lestimation de son utilité et à lévaluation de son rôle dans la constitution des rentes vieillesse. Pour moi, le problème est là: conformément à lair du temps, on ne sintéresse quaux aspects matériels de la question cela constitue à mon sens un immense appauvrissement de la réflexion».
Et à Genève
Le futur débat parlementaire sur les allocations familiales et lassurance maternité genevoises ne doit donc pas se réduire à un simple toilettage législatif. Il sagit de définir et dinscrire dans la volonté du législateur une conception sociale de la politique familiale. Dans ce domaine, nous avons besoin dune vision progressiste afin de répondre, au moins partiellement, aux défis de notre société, génératrice de précarité et dexclusion, qui conduit à une «misère de position»9. Vouloir naborder le débat que sous langle dun transfert financier entre deux principes assurantiels ne représente pas une réponse satisfaisante, de nature à défendre le principe de la solidarité contre le sauve-qui-peut individuel.
Enfin, lobjection bourgeoise qui vise les coûts supplémentaires dinfrastructure quentraînerait un «deuxième étage» en matière dassurance maternité cantonale, ne tient pas. En effet, le personnel nécessaire est déjà en place pour traiter lassurance maternité cantonale et la loi sur lassurance perte de gain fédérale existait et était gérée bien avant ladoption du congé maternité fédéral. Il sagira donc uniquement dadapter le système informatique actuel.
Dès lors, nous devons défendre les droits acquis et même rechercher une majorité pour que lassurance maternité genevoise soit développée mais en tout cas maintenue à son niveau actuel, et que la prime naissance et les allocations familiales correspondent aux montants proposés dans la motion du PDC.
Jean-Daniel JIMENEZ
- Ayons le courage dun nouveau départ Un programme pour la relance de la politique économique de la Suisse, D. de Pury, H. Hauser, B. Schmid Ed. Orell Füssli 1996 p.39
- Rossini S., Favre-Baudraz B. Les oubliés de la protection sociale, Réalités sociales, Fribourg, 2004, p. 101
- Ibid. p. 101
- Bébé et employeurs comment réconcilier travail et vie de famille Version abrégée de létude comparative de lOCDE portant sur la Nouvelle-Zélande, le Portugal et la Suisse, Rédaction: OFAS seco Berne 2004 p. 6
- Ibid. p.26
- Edito de la Revue de la FEAS Aspects de la sécurité sociale, n° 4.2004 p.1
- Bébé et employeurs comment réconcilier travail et vie de famille Version abrégée de létude comparative de lOCDE portant sur la Nouvelle-Zélande, le Portugal et la Suisse, Rédaction: OFAS Secrétariat de léconomie «seco» Département fédéral de lintérieur Berne 2004 p. 9
- Extrait de la revue Questions familiales de lOFAS N° 3/2004 p. 19 et 20
- P. Bourdieu.