Après le tsunami en Asie du Sud, plus de catastrophes «naturelle»
Après le tsunami en Asie du Sud, plus de catastrophes «naturelle»
Devant la difficulté à dénouer lécheveau complexe des interactions géophysiques, sociales, économiques et financières, architecturales et écologiques qui
débouchent sur ce que lon appelle une catastrophe naturelle, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) parle plus volontiers de
catastrophe dorigine naturelle. Laction des sociétés humaines, de leur
fonctionnement économique et social, de leurs choix prioritaires est en effet
essentielle pour prévenir les
catastrophes, sen protéger et
reconstruire en augmentant ou en
diminuant les futurs risques. Sous le capitalisme, aujourdhui mondialisé, le rendement du capital investi reste le
critère dominant. Et criminel dans ses implications.
Labsence de système de détection et dalerte des tsunamis dans cette région a largement été mise en évidence. Les riches Etats-Unis sen sont offert un dans le Pacifique. Eux connaissaient le risque. Ce que lon sait moins, cest que les scientifiques indonésiens ont fait pression, lors de la réunion de 1997 de la Commission océanographique internationale, pour quun système de détection précoce soit mis en place dans lOcéan indien. On savait donc aussi Mais on ne fit rien. Les intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés ne sont pas à confondre avec ceux des anciennes populations colonisées.
Linégalité devant la catastrophe
Cest cette même différence de traitement et de ressources qui fait que lorsque des séismes dampleur semblable se déroulent en Iran ou au Japon, il y a 30000 morts dans le premier cas (Bam, 26.12.03, séisme de 6,8 degrés sur léchelle de Richter) et aucun sur lÎle Hokkaido (26.9.2003, 8 degrés sur léchelle de Richter). En Floride, à force égale, un cyclone provoque dix fois moins de morts quen Jamaïque ou en Haïti. Il y a donc une véritable inégalité sociale devant ces catastrophes.
Le rapport mondial du PNUD sur la réduction des risques de catastrophes rappelle que si 11 % seulement des populations exposées aux catastrophes naturelles vivent dans des pays à faible développement humain, elles représentent toutefois plus du 53 % du total des décès enregistrés. Il relève quentre le laisser-aller libéral et une volonté politique collective, il ny a pas photo quant aux résultats sur la protection contre les catastrophes. Fortement soumises aux risques cycloniques, Cuba et lÎle Maurice présentent des bilans humains incomparablement plus faibles que ceux de pays comme le Nicaragua ou le Honduras, où les décès se comptent par milliers. Il est donc possible de mettre en place des politiques de détection, de prévention et de protection efficaces.
Le raz-de-marée de la dette
On dit que laide internationale totale approchera les 8 milliards de dollars. Soit une semaine du budget militaire courant des Etats-Unis. Par contre, les cinq pays les plus touchés de la région (Indonésie, Inde, Sri Lanka, Thaïlande et Malaisie) versent chaque année 32 milliards de dollars au titre des intérêts de la dette. Le remboursement de cette dette et de ses intérêts peut représenter une fantastique ponction des ressources publiques: en 1999 et 2000, lIndonésie a consacré 50 et 40% de son budget au service de la dette.
Lors de la crise asiatique de 1997-1998, les remèdes de cheval imposés par le FMI ont précipité le pays dans la misère. À fin 1998, selon les chiffres gouvernementaux, 50 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté, estimé en Indonésie à 0,55 $ par jour dans les villes et 0,40 $ dans les campagnes. Les ajustements structurels imposés par le FMI, dirigé alors par Michel Camdessus, aujourdhui conseiller du Vatican, font exploser les prix des produits de première nécessité: 200 % pour lélectricité, 50 % pour le lait, 36 % pour le riz, entre août 1997 et janvier 1998.
La perspective actuelle dun moratoire de la dette, annoncée par les milieux de créanciers internationaux, comme le Club de Paris ou le G8, nest quun trompe-lil, surtout si les intérêts continuent à courir. La Banque mondiale et le FMI sont en effet décidés à redoubler leur action, ce qui implique nécessairement un renforcement de leur politique dévastatrice. Par ailleurs, le rééchelonnement de la dette du Club de Paris entraîne automatiquement un nouveau programme de prêts du FMI. Enfin, sur les marchés financiers mondiaux, un Etat au «bénéfice» du moratoire verrait ses éventuels emprunts «bénéficier» aussi dun taux spécial. Le moratoire nest donc quune manière de resserrer les mâchoires de létau en attendant la reprise des versements.
Seule lannulation de la dette de ces pays serait un véritable soulagement. Les pays impérialistes le savent bien, qui nhésitent pas à le faire, lorsque leurs intérêts stratégiques et politiques sont en jeu. LIrak occupé vient den bénéficier sous la pression des Etats-Unis. LEgypte de Moubarak avait connu le même sort avant la première guerre du Golf. La Pologne fut libérée de sa dette lorsquelle quitta le Pacte de Varsovie, et le Pakistan reçu le même traitement avant lintervention en Afghanistan.
Si la dette peut être annulée pour mieux préparer des menées et des guerres impériales, pourquoi nen est-il pas question lorsquil sagit de la survie de populations entières!
Une formidable solidarité
Bien sûr, le cirque médiatique a donné et redonné dans lémotion et le spectaculaire, jusquà lindécence même. Certes, les promesses de dons ne sont pas les dons, la ville iranienne de Bam en sait quelque chose, elle qui na reçu quune très faible partie de ce qui lui était promis. Bien sûr, les Etats se sont livrés à une surenchère grotesque. Certes, une partie de laide restera sur les tarmacs des aéroports ou sera revendue sur des marchés parallèles. Bien sûr, la réaction naurait pas été la même si des touristes occidentaux nétaient au nombre des victimes. Elle ne fut effectivement pas la même lorsque des centaines de milliers de personnes périrent dans les inondations du Bengladesh, il y a quelques années. Certes, les catastrophes rampantes de la région, les millions de personnes mourant de la pollution de leau chaque année, ne rencontrent pas la même générosité.
Mais voilà: malgré toutes ses limites, le formidable élan de solidarité internationale, largement spontané, a représenté aussi quelque chose comme une mondialisation positive. Lexpression dun sentiment nouveau, dune de ces évidences devenant enrichissantes lorsquelles simposent: face aux catastrophes sociales, sanitaires, économiques, lhumanité peut réagir comme un seul peuple. Il y a dans cette reconnaissance dun sort partagé la promesse de la perception dun avenir commun. Cest cet élan quil faut faire fructifier. Et cest bien pour se porter à sa hauteur que les chefs dEtat ont crû bon de livrer leur partie planétaire de poker menteur.
Sortir de lambiguïté de la charité et de la compassion
Pour aller au-delà du geste initial de solidarité, faire quil ne soit pas en même temps le dernier, un travail dexplication sur les sources réelles du sous-développement et sur son maintien sont nécessaires. On soulignera conjointement les risques sanitaires accrus que font courir aux populations riveraines certaines pratiques voulue par lindustrie touristique (comme léradication des zones protectrices de mangroves au profit des plages de sable blanc si photogéniques), comme les dégâts écologiques causés à certaines zones côtières, ainsi fragilisées, par lélevage intensif des crevettes de lindustrie agroalimentaire. Bref on dévoilera ce qui, inextricablement et quotidiennement, lie et noue les existences dici et de là-bas.
Le premier pas dans cette direction consistera à relancer la campagne pour labolition immédiate et sans conditions de la dette du Tiers-monde. Le second sera dinstaller cette solidarité en actes dans la durée. Le troisième, aux implications plus immédiates, sera de sopposer aux renvois multiples de sans-papiers et de réfugié-e-s planifiés. Car, on laura remarqué, sur les côtes de Thaïlande et dailleurs, le secours immédiat apporté par les populations locales aux touristes ne dépendait daucun passeport.
Daniel SÜRI