Les Suisses et les Nazis: le rapport Bergier pour tous

Les Suisses et les Nazis: le rapport Bergier pour tous

Suite à la crise suscitée par les «fonds en déshérence» (après la 2e guerre mondiale), le Conseil fédéral avait mandaté une «Commission indépendante d’experts Suisse-Seconde guerre mondiale» (dite «Commision Bergier») pour traiter une série de questions controversées de la politique suisse, telles que la politique des réfugié-e-s ou les relations économiques entre la Suisse et le IIIe Reich. En mars 2002, cette commission déposa un rapport de 11000 pages (28 volumes).

Une synthèse était nécessaire. Exercice périlleux, dont Pietro Boschetti se tire avec honneur. Dans un espace restreint (moins de 200 pages), il présente de manière didactique les thèmes abordés par la Commission Bergier1.

Loin d’être une «attaque contre toute la population suisse», ce texte établit les responsabilités des élites dirigeantes. En ce qui concerne la politique des réfugiés, Boschetti signale le rôle des autorités civiles, ainsi que du haut commandement de l’armée; d’autre part, il rappelle les résistances que cette politique a rencontrées au sein de la population2. Rappelons que le Conseil fédéral disposait, depuis septem-bre 1939, des pleins pouvoirs et se jugeait investi d’une mission supérieure, derrière laquelle le peuple n’avait qu’à se ranger.

Dans sa préface, le professeur Bergier rappelle la nécessité du devoir de mémoire: «J’ai dit cent fois au cours de ces dernières années et je le répète ici: l’historien n’est pas un juge, une Commission n’est pas un tribunal. Il ne sert à rien de condamner les uns, d’absoudre les autres. Ce qu’il faut, c’est savoir et comprendre. Un pays, un peuple, ne peut accomplir son destin et décider de son avenir que s’il est au clair avec son passé, quel que soit celui-ci, fait d’ombres et de lumières. Il doit en assumer toute la responsabilité, non juridique, mais historique.»3

Une «mémoire courte»

Le travail de Pietro Boschetti aurait dû avoir une contrepartie en langue allemande. Mais, en Suisse allémanique, la recherche historique se heurte à des obstacles certains… Une fondation bâloise, qui finançait le projet, ayant «retiré ses billes», la version allemande a passé à la trappe. Heureusement, pour la version française, un éditeur indépendant a accepté de publier cette synthèse.

Ainsi, nos compatriotes alémaniques (sans oublier les Tessinois et les Romanches) sont privés d’un texte utile. La montée de la droite nationale conservatrice (adepte d’une histoire suisse mythique) suscite un climat délétère que l’on pensait disparu depuis les années 70. A cette époque, certains mandarins avaient tenté d’empêcher la publication d’un recueil de textes sur l’histoire du mouvement ouvrier, faisant suite à un séminaire organisé par des étudiant-e-s de l’Université de Zurich4.

«Ces étranges patriotes»

Parmi les détracteurs du rapport Bergier, signalons le «groupe de travail Histoire vécue», dont le porte-parole est le conseiller national UDC Luzius Stamm; la Ligue vaudoise (petite sœur de «L’Action française», du royaliste Charles Maurras).

Or, ces Messieurs ont quelques cadavres dans leurs placards. La Ligue vaudoise a participé, en mai-juin 1940, aux tentatives de «rénovation nationale», c’est-à-dire l’instauration d’un régime corporatiste dirigé par un «landamann de la Suisse»: parmi les candidats sérieux, le comte fribourgeois Louis-Gonzague-Frédéric-Marie-Maurice de Reynold5.

Ancêtre de l’UDC, le Parti des «Paysans, artisans et bourgeois» comptait dans ses rangs Eduard von Steiger (chef du Département fédéral de l’Intérieur). En 1942, il «justifia» le refoulement des réfugiés par cette formule infâme «La barque est pleine». D’autre part, le fondateur du PAB en Argovie, le colonel et chirurgien Eugen Bircher (1882-1956) était un hitlérien notoire. Il a organisé de 1941 à 1943 des missions médicales très particulières aux côtés de la Wehrmacht, en Union Soviétique6, et faisait figure de candidat sérieux au poste de «Gauleiter» en cas d’invasion de la Suisse par les nazis.

L’ouvrage de Pietro Boschetti fait donc œuvre de salubrité publique, à un moment où le racisme et la xénophobie des années 30 et 40 refont surface et sont représentés ès-qualité au Conseil fédéral. Les circonstances ont voulu que la parution de cet ouvrage rende hommage aux résistant-e-s de ces années noires, parmi lesquel/les notre regrettée camarade Aimée Stitelmann, une citoyenne qui a refusé, dès sa jeunesse, de s’incliner devant une prétendue «raison d’Etat».

Hans-Peter RENK

  1. Pietro Boschetti, Les Suisses et les nazis – le rapport Bergier pour tous, Editions Zoé, 2004
  2. Les réfugié-e-s accueilli-e-s en Suisse l’ont bien souvent été grâce à l’aide de la population.
  3. Jean-François Bergier, Préface (p. 10-11).
  4. Ces textes rappelaient que le mouvement ouvrier suisse n’avait pas connu éternellement la «paix du travail».
  5. Aram Mattioli, Gonzague de Reynold idéologue d’une Suisse autoritaire. Ed. universitaires, 1997.
  6. Frédéric Gonseth, «Mission en enfer» (film tourné en 2003). Cf. solidaritéS, no 35.