Au nom des droits des femmes, NON à cette Europe-là!
Au nom des droits des femmes, NON à cette Europe-là!
La Constitution européenne, dobédience très libérale, vient dêtre adoptée en grande pompe par les chefs dEtat des Vingt-Cinq à Rome, le 29 octobre dernier. Nous publions ici une critique de ce document du point de vue des droits des femmes, élaboré par la «Commission Femmes, genre et mondialisation» de ATTAC-France.
La Constitution a déjà fait lobjet de nombreuses critiques condamnant le processus antidémocratique de son élaboration et de sa ratification. Il a été démontré quelle impose des politiques libérales ayant pour objectif central le marché promu au rang de valeur suprême de lUnion européenne. Toute politique autre que libérale devient impossible pour les décennies à venir. Il est difficile dimaginer des avancées dans le domaine social du fait des modalités de vote à lunanimité qui y sont retenues. Ce cadre économique néolibéral remet en cause les services publics et ne peut quaggraver les inégalités et renforcer la précarisation qui touche déjà majoritairement les femmes. Il préserve la continuité de lorganisation patriarcale de la société et est donc incapable de permettre aux femmes de prendre toute leur place dans la société.
Ce texte ne reprend pas les critiques déjà formulées (Attac, Copernic), qui montrent en quoi la Constitution est inacceptable. Il a pour but dajouter un certain nombre de points qui révèlent que la Constitution ne satisfait pas les droits des femmes et ne répond pas à lexigence élémentaire dégalité entre hommes et femmes.
1- Les droits manquants
Les droits fondamentaux décrits par la Charte (partie II de la Constitution) sont notoirement insuffisants, en particulier pour les femmes. Voici les absences inadmissibles:
Droit à la contraception, à lavortement et à lorientation sexuelle de son choix
Le droit à la maîtrise de son corps est une liberté fondamentale pour tout individu. Il inclut le droit de décider de sa capacité reproductive, cest à dire le droit à la contraception et à lavortement, ainsi que le libre choix de son orientation sexuelle. Ces droits sont absents du traité.
Droit à vivre sans violence
Ce droit élémentaire est également absent. Les violences subies par les femmes commencent à sortir de loccultation qui les caractérise depuis si longtemps, et elles concernent tous les pays, à des niveaux divers mais toujours élevés. Pourtant, on constate une tolérance indéniable envers ces violences et la Constitution en témoigne par son absence totale de préoccupation pour cette question.
Droit au divorce
Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis dans larticle II-69, mais le droit au divorce ny figure pas. Le divorce est plus souvent demandé par les femmes. Les violences conjugales qui existent dans tous les pays et toutes les classes sociales sont une réalité, à lorigine de nombreux divorces. Le droit à mettre fin au mariage doit être expressément prévu.
Droit à lemploi
La Constitution reconnaît à toute personne «le droit de travailler» et «la liberté de chercher un emploi» (article II-75). Quelle chance! Mais cest bien différent du droit à lemploi! Alors que dans lEurope des 25, le taux de chômage moyen est de 9% (2), la politique de lemploi définie par les articles III-203 à III-208 naffiche même pas lobjectif de réduction du taux de chômage. Elle réalise dailleurs la prouesse de ne pas mentionner du tout le mot chômage! De même, lobjectif dégalité entre hommes et femmes dans le domaine de lemploi ny figure pas explicitement alors que les inégalités entre les sexes y sont omniprésentes, que ce soit dans laccès à lemploi, le déroulement de la carrière, les salaires ou les retraites. Rappelons quen Europe, le taux de chômage moyen des femmes est de 10% contre 8,3% pour les hommes, que le salaire moyen des femmes à temps complet ne vaut que 75% de celui des hommes, et que les femmes issues de minorités ethniques sont partout doublement discriminées.
Rendre effectif un véritable droit à lemploi pour tous et toutes est particulièrement important pour les femmes car le modèle de la femme et surtout de la mère au foyer na pas disparu et se ravive en période de chômage. Avoir un emploi est la condition de lautonomie des femmes, pourtant elles se heurtent à de nombreux obstacles. La volonté de réduire ces obstacles supposerait dintégrer dans la politique de lemploi des objectifs concernant la mise à disposition de services de gardes de lenfance et de soins aux personnes dépendantes ce qui relève de la mission des services publics , le droit au congé parental, lapplication des lois sur légalité salariale, la lutte effective contre les inégalités, linstauration de droits propres daccès à la protection sociale en remplacement des droits dérivés ou encore une fiscalité ne défavorisant pas lemploi des femmes.
Mais ni le droit à lemploi, ni sa transcription en terme de politique ne figurent dans la Constitution. Labsence de ce droit, labsence de tout objectif de réduction du chômage comme de toute norme exigeante de qualité de lemploi sont loin dêtre des oublis, ils sont tout simplement incompatibles avec la doctrine libérale qui est le fondement de la Constitution. Parce que lenjeu pour les femmes est important, on présente en annexe quelques éléments sur la politique libérale de lemploi contenue dans la Constitution et sur linstrumentalisation de la conception de légalité hommes/femmes qui a été faite.
Droit à un revenu minimum
Le droit au revenu minimum nest pas reconnu. On régresse donc par rapport à la Déclaration universelle des droits de lhomme de 1948 qui déclarait que toute personne «a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et celui de sa famille». Le droit à un revenu concerne particulièrement les femmes qui sont majoritaires en France parmi les chômeurs non indemnisés et les bénéficiaires de minima sociaux et qui représentent 80% des travailleurs pauvres.
2. Désaccord sur la place faite aux Eglises
Les Eglises et les communautés religieuses sont reconnues comme interlocutrices régulières. LUnion maintient avec elles «un dialogue ouvert, transparent et régulier», au même titre que des associations représentatives et la société civile (article I-52). Cette reconnaissance est superflue – les libertés dexpression, de conscience et de culte sont garanties par ailleurs – et surtout dangereuse pour les droits des femmes: en Europe comme dans le reste du monde, la montée des intégrismes religieux et identitaires, tous fortement misogynes, correspond à une menace croissante contre les droits acquis comme la contraception, lavortement, le divorce, le libre choix de lorientation sexuelle. Les Eglises dune manière générale, et à plus forte raison les intégrismes théorisent des rôles sociaux différents pour les hommes et les femmes, voire un statut inférieur pour les femmes, avec toutes leurs conséquences en matière dinégalités. Seule la réaffirmation du principe de laïcité de toutes les institutions et règles de lUnion serait en mesure de garantir les droits des femmes contre les pressions des Eglises.
3- Sérieuses insuffisances
Légalité entre les hommes et les femmes nest toujours pas une valeur qui fonde lUnion. Par rapport à la version initiale où elle ny figurait pas, légalité entre hommes et femmes a été ajoutée dans larticle I-2 intitulé «Les valeurs de lUnion». Pour autant, elle nest pas mise au rang des valeurs qui fondent lUnion -ainsi que cétait demandé – au même titre que la liberté, la démocratie ou la dignité humaine. Elle napparaît que dans la seconde phrase de larticle qui dit: «Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et légalité entre les hommes et les femmes». Les valeurs contenues dans cette seconde phrase nont pas le même statut que les premières et on en perçoit la différence.
Mise en oeuvre de légalité entre les hommes et les femmes et de la lutte contre les discriminations
Les discriminations fondées sur le sexe, les origines ethniques, etc., sont interdites (article II-81). Mais cet affichage est loin de suffire. Légalité comme linterdiction des discriminations figurent déjà dans la plupart des législations des Etats, elles font lobjet de différentes Conventions au niveau des Nations Unies et du BIT: la réalité témoigne de lécart énorme existant entre le droit formel et le droit réel! Or, rien nest précisé dans le Traité sur les moyens que se donne lUnion pour mettre en oeuvre cette interdiction! Il est prudemment avancé que, «dans les limites de compétence que la Constitution attribue à lUnion, une loi cadre européenne peut établir les mesures nécessaires pour combattre toute discrimination» (article III-124). Le contraste est frappant entre labsence de dispositions sur cette question et la profusion des spécifications prévues par exemple pour la mise en oeuvre de la libre circulation des personnes et des services (articles III-133 à III-149): de quoi témoigner encore une fois que le libre marché et la concurrence sans entrave sont bien les valeurs suprêmes de ce Traité!
Principe de démocratie représentative
Le principe de démocratie représentative défini dans larticle I-46 doit préciser que la démocratie ne peut être représentative que si elle assure une représentation équilibrée des hommes et des femmes cest à dire la parité, et ceci à tous les niveaux de prise de décision.
Citoyenneté
La définition de la citoyenneté de lUnion doit être étendue aux résident-es pour les droits sociaux et pour les droits définis dans les articles II-36 à II-49 (droits de vote et déligibilité, de circulation). Les droits des femmes étrangères ou immigrées sont trop souvent dépendants de leur statut marital et elles sont soumises aux traditions oppressives de leur pays dorigine (codes de statut personnel) et au racisme. Il est indispensable quelles acquièrent les droits de citoyenneté.
Droit dasile
Le droit dasile défini dans larticle II-78 doit être reconnu pour les motifs de violences, répression et persécutions subies par des femmes en raison de leur sexe ou de leur sexualité.
Interdiction de la traite des être humains
Larticle II-65 qui interdit lesclavage et le travail forcé doit interdire explicitement la traite et le trafic de personnes à des fins de prostitution. Les politiques libérales envisagent le développement de la prostitution comme un marché potentiel très profitable, au même titre que nimporte quel service.
Conclusion
Lhistoire montre que les droits des femmes, comme les acquis sociaux, ont toujours été obtenus par des luttes. Ils ne sont jamais acquis définitivement et font lobjet de remises en cause récurrentes dans les périodes de recul social. Or la période actuelle de politiques libérales est une période de sérieuse régression des acquis sociaux. Le contenu du projet de Constitution qui ne fait que graver dans le marbre ces politiques témoigne constamment que le droit de la concurrence est la norme supérieure.
Dans un tel contexte, il est clair que les droits des femmes qui nont jamais été prioritaires, sont encore moins considérés comme une exigence éthique ou simplement démocratique.
La Constitution est loin de répondre à lexigence dégalité entre hommes et femmes et elle ne garantit pas les droits des femmes. Pour rendre possible une Europe sociale où les droits fondamentaux et les services publics seront des valeurs supérieures à celle du marché, non seulement les femmes mais tous les démocrates se doivent de refuser cette Constitution.