Des rives du lac ... à la dérive des Verts


Des rives du lac …à une dérive des Verts


L’accès public aux bords du lac et des cours d’eau, entravé par les obstacles mis en place par les propriétaires privés, est une revendication populaire de longue date…

Pierre Vanek

En mars, l’Alliance de Gauche déposait un projet de loi prévoyant le libre passage des piétons le long des rives du lac et cours d’eau du Canton. Ceux-ci sont en effet souvent sauvagement «privatisés» par des propriétaires, s’appropriant l’exclusivité d’une part du domaine public cantonal qui appartient aux citoyen-ne-s. C’est une vieille revendication à Genève, une pétition de l’ATE1 avait été déposée à ce sujet il y longtemps. Notre projet disposait bien entendu, que dans le cas de biotopes à protéger, l’on puisse déroger à la règle du libre passage. De plus, il ne prévoyait aucun aménagement particulier, mais imposait aux propriétaires d’aller dans le sens d’un retour à l’état naturel des lieux. Ainsi, outre les piétons, c’est un «libre passage» bienvenu pour la faune qui aurait été rétabli.


Application de la loi fédérale


Loin d’être révolutionnaire, la mesure proposée ne faisait, d’ailleurs, que concrétiser la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire qui dit qu’il convient «de tenir libre les bords des lacs et des cours d’eau et de faciliter au public l’accès aux rives et le passage le long de celles-ci.»2 Robert Cramer, conseiller d’Etat, au nom du Département de l’Intérieur de l’Agriculture et de l’Environnement (DIAE), avait d’ailleurs accueilli ce projet de loi avec une prudente ouverture, laissant la responsabilité de la décision aux député-e-s, mais proposant d’en préciser la rédaction, pour éviter de la part des propriétaires toute lecture du projet comme allant dans le sens d’une «expropriation». Le DIAE proposait de plus une extension de la possibilité de limiter l’accessibilité de certaines rives pour assurer non seulement la sauvegarde de biotopes protégés, mais plus généralement la protection des sites, ainsi qu’une redéfinition des termes du projet qui parlait de «berges» pour qu’il porte sur les «rives»…


Au bord de la rivière… la droite ne se laisse pas faire


Bien entendu, en commission parlementaire3, les élu-e-s de la droite, parti libéral en tête, se sont élevés contre nos propositions avec des arguments répondant aux intérêts de leurs milieux, parmi lesquels on trouve de riches propriétaires du bord de l’eau. Normal, il faut savoir défendre ses intérêts de classe! On a tout entendu: la loi fédérale serait déjà respectée, il suffirait pour cela de quelques accès limités aux rives. Les propriétés privées seraient menacées d’envahissement et l’Etat devrait les protéger en érigeant à grand frais des barrières. Le «public» c’est sale est ça laisse des déchets. Et surtout, la meilleure défense des «biotopes magnifiques» proliférant à l’abri des propriétés privées, menacés par l’accessibilité aux citoyen-ne-s, serait d’en réserver l’exclusivité aux propriétaires… Ces objections ne tenaient pas la route: l’Etat n’aurait pas eu de charge nouvelle, le cas échéant c’était aux propriétaires de se barricader – mais sur leur terrain et à leurs frais – pour assurer leur splendide isolement. La protection des biotopes et des sites naturels était réservée dans notre projet, mais sur la base de décisions de la collectivité… En outre, le sens civique ça existe et nos concitoyen-ne-s sont capables et peuvent être éduqués dans ce sens de respect de la nature et des sites, ce d’autant mieux qu’ils en sont propriétaires collectifs et que leurs droits sur ce bien commun sont reconnus. Bref, la cause aurait dû être entendue. On aurait d’ailleurs pu auditionner à ce sujet les associations de protection de l’environnement, ce que les députées vertes présentes ont demandé, dans un premier temps des travaux.


Ni à gauche, mais à droite…


Or ce ne sera pas le cas! En effet, embouchant les mêmes trompettes que la droite, les députées vertes présentes4 ont pré-féré, au nom de la préservation de la nature et de la biodiversité, considérer que celle-ci était mieux assurée par le maintien du statu quo …et des privilèges des propriétaires. Elles ont voté, au terme d’une seule brève séance, la non-entrée en matière sur le projet de l’ADG. Ce qui implique l’arrêt des travaux et l’impossibilité d’audition des associations environnementales qu’elles avaient d’abord souhaitée! Ce dérapage à droite s’inscrit dans la ligne de nombre de prises de position préoccupantes des Verts. Pour n’en citer qu’une, on rappellera le ralliement récent de ce parti à la droite, concernant l’Accord intercantonal sur l’élimination des entraves techniques au commerce (AIET) adopté par une majorité de circonstance, à laquelle ils avaient prêté leur concours. Cet accord puise son inspiration du côté de l’OMC, et donne les moyens – de l’aveu même de juristes du canton – à un organisme ad hoc et non-élu, d’entreprendre, sans contrôle parlementaire ou populaire, le démontage légal relevant de la politique énergétique antinucléaire genevoise, en ce qui concerne la construction… Ce nouveau dérapage, à propos des rives du lac et des cours d’eau, ne relève pas de l’anecdote! Il se fonde sur une ligne associant la défense de l’écologie à celle des privilèges de certains et discréditant ainsi celle-ci! Pour défendre l’environnement de manière démocratique, il est indispensable de mettre du rouge dans son vert. Nos collègues du parti écologiste genevois devraient y prendre garde…



  1. Association Transports et Environnement
  2. Loi fédérale sur l’aménagement du territoire, Art.3 al. 2 lettre c
  3. commission de l’environnement et de l’agricultrure, séance du 7.6.01
  4. Anne Briol et Morgane Gauthier