Genre et militantisme: une lente évolution
Genre et militantisme: une lente évolution
Plus ça change, plus cest la même chose? Cest lune des impressions que lon pouvait avoir au terme du colloque Genre et militantisme qui sest tenu à lUniversité de Lausanne les 26 et 27 novembre derniers. Organisée par le LIEGE (laboratoire interuniversitaire en Etudes Genre) et le CRAPUL (Centre de recherche sur laction politique de luniversité de Lausanne), cette manifestation qui a proposé près de 50 communications1 a été loccasion de réfléchir sur lengagement féminin et féministe, ainsi que sur la présence des femmes au sein dassociations politiques et syndicales.
Lexamen de lintégration des femmes et du féminisme dans les mouvements sociaux dits progressistes débouche sur un constat sans équivoque: les pratiques sont très éloignées des discours et idéaux égalitaires. Quelle que soit lorganisation considérée (parti politique, syndicat, association), les femmes sont largement sous-représentées dans les instances dirigeantes et légalité entre les sexes demeure encore un objectif secondaire ou une question à part, sans lien avec les autres exigences.
Plusieurs recherches montrent que les revendications féministes font en règle générale lobjet dune tolérance polie, et non pas dune réelle intégration. Comment expliquer cela après 30 ans de féminisme? Tout dabord, la réflexion féministe ne jouit pas de la même légitimité que les autres perspectives politiques, y compris chez les femmes.
Modèle masculin du militant
Une seconde explication des résistances observées renvoie au fonctionnement même des associations. Sappuyant sur un modèle du militant masculin impliquant un engagement corps et âme, ces structures perpétuent une division du travail traditionnelle, les femmes étant les seules responsables de léducation des enfants et du travail ménager. Linvestissement militant de femmes, vivant en couple et ayant des enfants à charge, est tributaire des ajustements domestiques et familiaux.
Aux tensions constantes relevant de linjonction à la «conciliation» famille-travail, sajoutent les conventions masculines comme les joutes verbales, ainsi que le fait que les femmes sont rarement cooptées pour occuper des postes dirigeants. Les normes sexuées du contexte daction militante sont ainsi excluantes.
Dans son étude auprès de responsables féministes, les «mauvaises têtes», de diverses organisations mixtes françaises (partis politiques et syndicats), Josette Trat met au jour les difficultés et conflits quelles rencontrent quotidiennement: la faible reconnaissance dont jouit le féminisme, lépuisement, le poids des représentations stéréotypées des féministes (agressivité, mauvaise réputation), ainsi que labsence de relève.
Des brèches dans lordre sexué du champ militant
Une recherche vient cependant nuancer ce constat pessimiste. Intéressées par «le rapport de militants et dhommes de militantes à légalité des sexes», Yannick Le Quentrec et Annie Rieu mettent à la fois en évidence les résistances masculines à la dynamique égalitaire ainsi que les changements potentiels dans les rapports sociaux de sexe quintroduit laccès féminin à des postes à responsabilité sur la scène politique et syndicale.
Chez les militants, on observe des brèches dans lordre sexué qui sous-tend le champ militant et la sphère privée. Bien quun grand nombre dhommes consacrent tout leur temps à laction syndicale ou politique, quelques-uns dentre eux adoptent des pratiques quasiment inversées par rapport aux normes traditionnelles du travail domestique et assument une grande partie de léducation des enfants. Cest chez les «hommes de militantes» que les changements dans les rapports sociaux de sexe sont les plus visibles. Lengagement féminin dans la sphère publique amorce une remise en cause de la division sexuelle du travail traditionnelle.
A côté des conjoints qui ne participent pas du tout aux tâches domestiques, faisant payer aux femmes le prix fort de leur engagement, il existe des «hommes ressource» qui portent un regard positif sur lactivité militante de leur compagne et ont une implication importante dans la sphère privée. Autre changement mentionné lors des débats avec le public: la nouvelle génération militante remet plus souvent en cause que leurs aîné-e-s le sacerdoce militant.
Magdalena ROSENDE
- Les textes des communications sont disponibles sur le site du LIEGE: www.unil.ch/liege