Pionnier ou pionnière, un choix courageux

Pionnier ou pionnière, un choix courageux

Julien Thiébaud, jeune psychologue de 28 ans est présentement un homme heureux: il vient de terminer brillamment ses études par un diplôme de spécialisation à l’Uni de Lausanne et de décrocher un poste à l’Office d’orientation et de formation professionnelle à Genève.

Son mémoire de recherche sur l’intégration professionnelle de pionniers et de pionnières: une approche comparative a non seulement recueilli l’intérêt et l’estime des professeurs de Lausanne, mais encore l’a désigné pour animer l’antenne Cap Egalité à l’OOFP.

Les métiers des 10 pionnières:

  • cuisinière,
  • dessinatrice sur machine,
  • dessinatrice-électricienne,
  • ferblantière,
  • horlogère,
  • micro-mécanicienne,
  • informaticienne,
  • laborante de physique,
  • mécanicienne de machines,
  • monteuse-électronicienne.

Les métiers des 10 pionniers:

  • assistant en pharmacie,
  • coiffeur pour dames,
  • couturier,
  • diététicien,
  • éducateur du jeune enfant,
  • fleuriste,
  • hygiéniste dentaire,
  • infirmier en oncologie et soins palliatifs,
  • pédicure podologue,
  • préparateur en pharmacie

Qu’un homme s’intéresse spontanément à travailler en faveur de l’égalité sort de l’ordinaire. Julien Thiébaud explique son intérêt par son éducation: sa mère l’a habitué à participer tout jeune aux tâches ménagères et à s’intéresser à la littérature féministe. Déjà comme étudiant, il a collaboré par des travaux de rédaction aux programmes fédéraux pour l’égalité dans la formation (16+).

20 interviews approfondies

En tant que stagiaire à l’OOFP, il a pu participer à une des rares recherches sur les personnes qui s’engagent dans une profession où l’autre sexe est traditionnellement majoritaire (Michel Croisier, OOFP, 2002). Puis Julien s’est engagé seul dans la récolte de 20 entretiens approfondis, semi-directifs, de 10 pionniers et de 10 pionnières.

Ces personnes ont toutes obtenu leur diplôme professionnel en 1997 et 1998 dans un domaine où elles étaient moins de 12% de leur sexe. L’objectif des entretiens était de comprendre leur parcours de pionnier et de pionnière durant la formation et l’insertion professionnelle, six à sept ans après leur certification.

À partir de cet échantillon, forcément non homogène, il est difficile de tirer de réelles généralisations. Julien Thiébaud ne parle que de tendances, qui ont toutes vérifié ses hypothèses de départ, basées sur les récits spontanés des consultant-e-s de Cap Egalité ou sur les réponses au questionnaire de la première recherche.

Préjugés pour les pionniers

Du point de vie de l’insertion professionnelle, les hommes ont tout avantage à se tourner vers les professions féminisées. Les pionniers trouvent facilement une place de travail après leur formation et bénéficient d’un accueil à bras ouverts de la part de leurs collègues femmes ainsi que de la hiérarchie. Ils se plaignent certes des salaires, des temps partiels imposés, du manque de reconnaissance de la profession, mais ils trouvent les moyens d’évoluer dans leurs carrières, allant notamment vers l’enseignement et l’indépendance. En revanche, ils ont dû affronter les préjugés de la société au moment de commencer leur formation. L’entourage raille un jeune homme se dirigeant vers un métier de femme et en tire un lien avec son orientation sexuelle! «Fleuriste, c’est un métier de pédé» ou «Fais gaffe, tu vas devenir homo» sont des remarques courantes. Ce n’est pas un hasard que l’âge moyen du diplôme pionnier soit de plus de 27 ans chez les hommes. Ce genre de remarques est pratiquement impossible à assumer à l’adolescence.

Hostilité pour les pionnières

Les pionnières, elles, seraient plutôt admirées par leurs copines. Mais l’accueil des hommes dans leurs fiefs réservés est clairement hostile. Durant l’apprentissage, tant sur leur place de travail qu’aux cours professionnels, elles doivent subir des remarques sexistes à connotation sexuelle, des menaces, des gestes déplacés, des confrontations à du matériel pornographique. Puis, elles ont beaucoup de peine à s’insérer dans le monde du travail masculin avec leur diplôme atypique. La moitié d’entre elles ont connu une période de chômage importante avant de trouver leur premier job, alors que leurs camarades de volée trouvaient une place sans problème. Les refus d’embauche d’une femme sont même parfois clairement explicités, sans la moindre gêne. Sur leurs lieux de travail, elles reçoivent des salaires inférieurs et ont des responsabilités moindres que leurs collègues hommes. Certaines renoncent alors à exercer le métier qu’elle ont appris pour se tourner vers des voies plus traditionnelles. Exemple: cette année, la première vitrière, qui a reçu le prix Pionnière de l’OOFP, commence un apprentissage d’employée de commerce.

Des mesures à prendre

Il est donc nécessaire de soutenir les jeunes hommes qui veulent faire un choix non traditionnel et les jeunes femmes en apprentissage dans une profession dite masculine. Julien Thiébaud, dans le cadre de Cap Egalité de l’OOFP, animera des groupes de pionniers et de pionnières, permettant l’échange et facilitant l’entraide, ainsi que la dénonciation des discriminations. Il a le projet intéressant de promouvoir un système de mantorats. Pour obtenir la recherche ou entrer en contact avec Cap Egalité: julien.thiebaud@etat.ge.ch (OOFP, 6 Prévost-Martin, 1205 Genève)

Il est nécessaire surtout que le politique reconnaisse les difficultés à instaurer l’égalité et prenne des mesures en son pouvoir pour favoriser une société mixte et égalitaire. Par exemple et prioritairement, le DIP devrait rendre obligatoires des cours de sensibilisation au sexisme pour les enseignant-e-s de tous niveaux, de la petite enfance à l’Université. Une revendication souvent posée, mais jamais encore prise en compte.

Maryelle BUDRY