Profits et licenciements: Imposer une autre logique


Profits et licenciements:
Imposer une autre logique


L’économiste français Michel Husson s’exprimait à Genève, mercredi 13 juin.1 Contre une économie politique du profit des multinationales, il en appelle à une économie politique des besoins des salarié-e-s.

Compte-rendu de la Rédaction

Nous vivons aujourd’hui un profond paradoxe. Les multinationales font de gros profits et continuent pourtant à licencier. En France, depuis 1997, la reprise économique s’est doublée d’une aggravation de la régression sociale: hausse de la précarité, gel du pouvoir d’achat, privatisations et limitations de la protection sociale. Il faut donc se serrer la ceinture, non plus parce que c’est la crise, mais parce que la concurrence internationale nous menace…


Le tournant des années 80


C’est dans les année 80, que s’opère un tournant très net vers ces nouvelles règles du jeux néolibérales, strictement capitalistes. Désormais, la réussite économique ne profitera plus, même marginalement, aux salarié-e-s, mis-e-s en concurrence dans le monde entier. Grâce à l’action politique de gouvernements tant bourgeois que sociaux-démocrates, les grands groupes multinationaux réussissent en effet à imposer leurs solutions: augmenter les profits. Le facteur politique est ici décisif: Thatcher en Angleterre, Reagan aux Etats-Unis, la gauche française, depuis 1983, marchent dans la même direction. La répression anti-syndicale comme la politique des taux d’intérêts élevés, accompagnent ces évolutions.


C’est la charte des droits du capital qui a triomphé. Il a réussi à faire reconnaître son objectif d’être traité de manière strictement égale partout. Tout ce qui entrave l’action des capitaux, d’où qu’ils viennent, doit être mis hors-la-loi, dans chaque pays. C’est l’un des enjeux de l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), débattu aujourd’hui au sein de l’OMC: les services publics doivent subir de plein fouet la concurrence de l’initiative privée sur tous les terrains. De même, les salaires réels ne doivent plus songer à être «indexés» sur la croissance. Les salarié-e-s qui maintiennent leur pouvoir d’achat doivent s’en satisfaire. Ainsi, quand la croissance est de 3%, comme au-jour-d’hui en France, le capital considère comme normal que les salaires stagnent. De même, alors que la bourse explose (jusqu’en 2000) et que les profits continuent à augmenter, c’est la précarité du travail qui se généralise!


La religion de l’austérité


La reprise de ces dernières années ne résulte pas des politiques d’austérité. En réalité, l’embellie de la conjoncture européenne s’est produite pour des raisons qui invalident précisément ces politiques. A en croire le dogme néolibéral, la création d’emplois dépend de la baisse du coût du travail. Le chômage résulte des salaires trop élevés. Or, depuis 1997, la conjoncture a repris, en même temps que l’austérité salariale devenait moins rigoureuse. En comparaison internationale, on n’observe aucune corrélation entre l’austérité salariale et la reprise économique, bien au contraire. Pour cette même raison d’ailleurs, l’application rigoureuse des recettes néolibérales pourrait conduire, actuellement, à une accentuation du retournement conjoncturel en cours.


La création de l’euro, monnaie forte et assainie, était présentée comme la condition sine qua non de la relance. Ainsi les pays méditerranéens étaient supposés ne pas pouvoir s’arrimer à l’euro, parce que leurs monnaies étaient trop faibles. Pourtant, ils y sont parvenus pour l’essentiel, alors que la parité de l’euro fléchissait sensiblement. En réalité, ce n’est pas l’euro fort, mais la hausse du dollar qui a dopé la relance. Autre paradoxe apparent, en France, on a vu le ministère des finances, champion de la «rigueur», embarrassé par des recettes trop importantes. Alors que Jospin ne voulait consacrer qu’un milliard à l’amélioration des prestations chô-mage, dix-huit mois plus tard, la «cagnotte» de Bercy (bonus des comptes publics) se montait à plusieurs dizaines de milliards de francs…


Des alternatives existent


La prétention qu’a la bourse de refléter le bon fonctionnement de l’économie pour tous est une énorme supercherie. Les fameuses lois de l’économie, qu’il faudrait scrupuleusement respecter, renvoient simplement à l’idée suivante: «tu prends la plus petite part, je prends la plus grosse». Or, ça peut fonctionner autrement. Il faut déconstruire ces logiques. Comme de nombreuses études empiriques le montrent, les multinationales ne peuvent pas s’en aller sans difficulté; elles doivent rester proches des marchés dont elles vivent. Enfin, des alternatives existent. Elles sont simples. Quand la croissance augmente, les salaires doivent aussi augmenter. Ce qui manque surtout, c’est le rapport de force pour l’imposer. C’est l’organisation nationale et internationale des salarié-e-s qui n’est pas à la hauteur de l’organisation du capital. Ainsi, l’émergence des mouvements sociaux contre les effets de la mondialisation néolibérale comble en partie un vide. Pour répondre aux défis actuels, il convient de revaloriser le thème de l’incursion, même modeste, dans les règles du jeux capitaliste. «Le monde n’est pas une marchandise!», cela veut dire exactement cela. La lutte autour de la production de médicaments génériques qui répondent à des besoins vitaux, notamment dans le Tiers-Monde, va aussi dans le même sens. Aujourd’hui, en France, l’idée d’interdire les licenciements dans les entreprises qui font du profit s’inscrit aussi dans cette perspective.



  1. Michel Husson est membre du conseil scientifique d’Attac-France et auteur de plusieurs livres. Il était invité à s’exprimer à Genève, avec deux syndicalistes de Danone, par le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM). Ce compte-rendu est signé par notre rédaction.