Georges-Henri Pointet (1908-1944): militant anti-fasciste

Georges-Henri Pointet (1908-1944): militant anti-fasciste

Actuellement, le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel (MAHN) abrite l’exposition «L’histoire, c’est moi: 555 versions de l’histoire suisse», conçue dans le cadre du projet «Archimob». Sur la deuxième guerre mondiale en Suisse, il existait déjà divers films: ainsi, ceux réalisés d’après Alfred Häsler, «Der Boot ist voll», et Niklaus Meienberg, «L’exécution du traître à la patrie Ernst S.»; «La trace interrompue: anti-fascistes en Suisse 1933-1945», tourné en 1982 par Mathias Knauer et projeté à un colloque de l’Université ouvrière de Genève, mai 20001. Alors que les milieux réactionnaires tentent d’opposer «Archimob» à la Commission Bergier2, il est important de rappeler ces témoignages. Dans cette optique, seront projetés le 18 novembre, au MAHN «Un Suisse à part: Georges-Henri Pointet» (2000) et «Des Suisses à l’aventure», sur les engagés suisses dans les Forces françaises libres (2003) – deux films de notre ami Daniel Künzi, d’après un scénario de l’écrivain Gilles Perrault. Grâce à sa biographie d’Henri Curiel (communiste égyptien, assassiné le 4.5.1978 à Paris), G. Perrault découvrit l’anti-fasciste neuchâtelois Pointet… exilé en Egypte.

Né à Neuchâtel le 17 avril 1908, Georges-Henri Pointet étudia à l’Université. Président de la Fédération des étudiants (FEN), journaliste occasionnel, il se fit remarquer par ses qualités intellectuelles: «Il y avait là Denis de Rougemont, Roland de Pury, Eric de Montmollin, garçons de talent, certes, auxquels leur milieu avait donné une maturité et une élégance remarquables. Pointet, fils du peuple, les rejoignait d’un coup d’aile et les dépassait bientôt. Il les battait non seulement dans la discussion, mais sur leur propre terrain, celui de l’expression littéraire»3. Touché par la crise de 1929, le canton de Neuchâtel ne resta pas fermé aux idées de l’époque (la révolution russe, le socialisme ou le fascisme). A l’extrême-droite, le Français Charles Maurras trouva des disciples (l’historien Eddy Bauer, le journaliste René Braichet et l’éditeur Marc Wolfrath), rédacteurs de la revue «L’Ordre national neuchâtelois»4.

Quelques mois après sa promotion au grade de lieutenant, Pointet appuya la candidature du socialiste Paul Graber au Conseil d’Etat (novembre 1933). Réaction des bien-pensants: des officiers membres de la Société de Belles-Lettres menacèrent Pointet de lui «casser la tête» à la sortie d’un meeting du PSN. En décembre 1933, Pointet fut sommé par les autorités militaires de signer une déclaration où il se serait engagé à faire tirer sur Paul Graber ou ses électeurs5. Son refus lui valut d’être «mis à disposition» (privé de commandement) par le chef d’armes de l’infanterie, Ulrich Wille Jr, pro-nazi notoire6.

Victime, au surplus, d’une interdiction professionnelle, Pointet trouva un poste d’enseignant… au Caire! Il milita en Egypte et, durant ses vacances, dans le canton de Neuchâtel. Il animait au sein du Parti socialiste – avec André Corswant (1910-1964) – une aile gauche prônant l’unité d’action socialiste-communiste, et fonda le Front antifasciste. Si, dans «La Sentinelle», Pointet dénonçait le fascisme dans l’armée suisse, Corswant présentait l’Union Soviétique comme modèle du socialisme…

Fin août 1939, la Jeunesse socialiste chaux-de-fonnière approuva le Pacte germano-soviétique, après une conférence de Pointet7. Cette position discutable permit au PSN d’expulser (à un moindre coût politique que dans le cas du socialiste genevois Léon Nicole) la Jeunesse socialiste, «centre nicoliste et communisant»8.

Mobilisé en septembre 1939, sans commandement, Pointet regagna l’Egypte. En 1942, il s’enrôla dans les «Forces françaises libres». Après les campagnes d’Afrique du Nord et d’Italie, il participa au débarquement de Provence et tomba au combat, le 23 août 1944, aux environs de Toulon.

Ni «homme d’acier», ni «héros infaillible», Pointet ne méritait pas l’oubli, dans lequel l’histoire officielle (ses antagonistes des années 1930 y ont fait carrière…) l’avait laissé sombrer. Il est temps de l’en ressortir…

Hans-Peter RENK

  1. Actes du colloque «L’autre Suisse, 1933-1945)», Les cahiers de l’UOG, no 2/2003.
  2. Pietro Boschetti, Les Suisses et les nazis: le rapport Bergier pour tous. Genève, Ed. Zoé, novembre 2004.
  3. Jean Liniger, «Georges-Henri Pointet», La Sentinelle, no 226, 29.9.1944.
  4. Claude Hauser, «Quand le «Romandisme» fleurissait à Neuchâtel: regards sur quelques intellectuels maurrassiens entre les deux guerres», Revue historique neuchâteloise, 1998.
  5. Cf. les articles de Paul Graber, in La Sentinelle (décembre 1933).
  6. Georges-Henri Pointet, «Armée et fascisme en Suisse», La Sentinelle, no 151, 4.7.1935; Journal du Groupe pour une Suisse sans armée, no 47, automne 2000.
  7. Compte-rendu d’A. Corswant, in: La Sentinelle, no 196, 25.8.939
  8. En juillet 1939, A. Corswant adhéra au parti communiste (clandestin à Neuchâtel depuis son interdiction en 1937). Avec d’autres membres de la JSN et du Front antifasciste, il participa en 1944 à la fondation du POP.

Bibliographie

Jean Liniger, Georges-Henri Pointet: 1908-1944: vie, textes, documents. Nyon, Imprimerie de la Côte, 1967.

André Corswant: textes édités par le POP neuchâtelois. Genève, Imprimerie du Pré-Jérôme, 1975.

Jules Humbert-Droz, Dix ans de lutte antifasciste, 1931-1941. Neuchâtel, La Baconnière, 1972.

Jean Liniger, En toute subjectivité: cent ans de conquêtes démocratiques et régionales, 1880-1980. Neuchâtel, Messeiller, 1980.

Pierre Jeanneret, Léon Nicole et la scission de 1939: contribution à l’histoire du parti socialiste suisse. Lausanne, chez l’auteur, 1986/1987.

Pierre Jeanneret, «Georges-Henri Pointet», Dix grandes figures du socialisme suisse, no 2. Lausanne, Parti socialiste vaudois, 1992.