Écologie politique: bulles de savon vertes

Écologie politique: bulles de savon vertes

Potentiel alternatif de l’écologie politique éclatant comme une bulle de savon, marketing d’un «développement durable» qui vise à sauvegarder les conditions de la vie sur la planète tout en donnant aux grands pollueurs le moyen de s’afficher en faveur de l’écologie et aux pires destructeurs des systèmes sociaux, l’occasion de se poser en bienfaiteurs de l’humanité. Au-delà de la seule critique de la politique néolibérale menée par les Verts au gouvernement en Belgique, son pays, l’auteur de cet article propose une réflexion sur le fond qui nous concerne directement.

Il semble intéressant de revenir sur un livre publié en 1979 (l’époque où le courant vert faisait ses premiers pas en politique): «L’Economique et le Vivant», de René Passet1. Cet ouvrage n’est certes pas la bible des écolos. Ceux-ci ont puisé à beaucoup d’autres sources, dans des domaines très divers. Mais le travail de Passet nous semble décisif, pour deux raisons: premièrement, il aborde la question clé des rapports entre capitalisme et écologie; deuxièmement, ses conceptions sous-tendent très largement les discours d’aujourd’hui sur le développement durable, dans quantité d’institutions officielles.

Le problème, selon Passet, est que «l’Economique» est «centré sur la gestion des choses matérielles». Ce centrage était fonctionnel quand l’humanité vivait sous le règne de la pénurie, du fait du manque de capital. Cette époque est révolue mais l’Economique, lui, continue comme avant, et étend son activité au point de mettre en danger la biosphère. Enfermée dans sa «vision tronquée», «la science économique» est de moins en moins adaptée à la sphère humaine (qui inclut aussi «un univers de l’inspiration, de l’affectivité, de l’esthétique, du sacré») et à «l’univers plus large de la matière vivante et inanimée – la biosphère». «La logique des choses mortes l’emporte sur celle du vivant».

La solution existe: pour Passet, il faut une «prise en compte simultanée des lois relatives à l’économique, au vivant et au monde inanimé». «Ce n’est évidemment pas la spécificité de l’économique qui est en cause», dit-il: elle «débouche sur la définition de combinaisons et de conduites optimales qui peuvent être parfaitement valables (sic) du point de vue de la production, de l’échange et de la consommation». Mais ces lois «ne se réfèrent qu’à un partie des motivations humaines et n’ont rien à voir avec les mécanismes qui régissent le fonctionnement du milieu naturel». L’économique doit donc être «reconsidéré en fonction de son insertion dans un ensemble de mécanismes qu’il ne saurait bouleverser sans se détruire lui-même.»

L’intérêt de ce développement est de montrer comment les accents contestataires, sympathiques et utopiques du discours vert ont pu coexister avec une conception fondamentalement erronée, qui ne débouche sur aucune alternative concrète.

Il est complètement faux, en effet, de prétendre que l’économique est «centré sur la gestion des choses matérielles». Il suffit de voir l’importance des services de ressources humaines des entreprises pour s’en convaincre! Les «choses matérielles» ne produisent aucune richesse. L’écono-mique est centré sur le profit, donc sur l’exploitation du travail humain (générateur de plus-value) et sur l’appropriation des ressources (génératrices de rente). C’est une banalité de dire que l’organisation et le fonctionnement de la société sont subordonnés à ces deux impératifs.

L’exploitation du Vivant est la condition sine qua non de la production capitaliste. Il faut s’attaquer à cette réalité si l’on veut une économie respectueuse de la biosphère. En tant que convertisseur d’énergie, la force de travail humaine est une ressource naturelle. Qui croira qu’un système économique basé sur le pillage et l’exploitation «optimale» de cette ressource serait capable de respecter la logique du vivant? C’est un non-sens méthodologique évident.

La source théorique de ce non-sens est claire: pour Passet, le capital n’est pas un rapport social d’exploitation mais une chose, un ensemble de moyens et de techniques mis au service de la production selon des «lois» aussi intangibles que les lois de la nature. Pour lui, la voie de passage vers une économie respectueuse du vivant ne peut évidemment remettre en cause de telles lois et leurs conclusions «parfaitement valables». Le domaine de la production reste un tabou et on cherche au dehors des moyens chimériques d’écologiser et d’humaniser l’économie.

C’est dans le mécanisme intime de la production que réside le secret du capitalisme, disait Marx. C’est dans ce mécanisme aussi que réside l’antinomie entre ce système et la «logique du vivant». Faute de l’admettre, les écolos ne pouvait produire que des bulles d’utopies chatoyantes et fugaces.

Daniel TANURO

  1. René PASSET, L’Economique et le Vivant, ECONOMICA, Paris, 1979 (2e éd. 1996).