Pacification armée et rapport sur les extrémismes

Pacification armée et rapport sur les extrémismes

Le 1er octobre 2004, la Fondation «Général Guisan» et la brigade d’infanterie 2 ont conjointement organisé l’inauguration des nouvelles salles de conférence du «Centre Général Guisan». Cette journée a été agrémentée par un séminaire suivi de festivités pour permettre aux autorités de «mettre en perspective des actions de pacification» et d’évoquer les formes de conflictualité intérieures contemporaines qui tendent à dépasser les compétences des Etats ou sont en passe de leur échapper. Il y avait là du «beau» monde très masculin, tel Jean-Pierre Hocké (ancien président du HCR), Jean-Jacques Langendorf (historien militaire), Victor-Yves Ghebali (IHEI), Pierre Aepli (chef de la répression de l’anti-G8), de même que des généraux français ayant participé à la «pacification» du Kosovo et de la Côte d’Ivoire, ainsi qu’à la protection du G8 d’Evian.

Le but fondamental de cette journée était de réhabiliter l’usage de la force dans le contexte des problèmes de société, par rapport auxquels le terrorisme, les bandes armées, mais aussi, dans un tout autre registre – on appréciera l’amalgame! – l’activisme des mouvements sociaux se développent. Dans un tel contexte, la résolution pacifique des crises, le désarmement progressif et le droit international humanitaire, hier encore valeurs cardinales du prêt à penser stratégique, ont montré leurs limites. En même temps, dans notre société où la coercition armée n’est plus admise en tant que fait social, l’usage de la force est devenu un fardeau que nul ne veut porter; le fait d’imposer sa volonté à autrui semble par avance exclu. Pourtant, la violence fait toujours partie des modes opératoires nécessaires à l’imposition d’un rapport de force. Donc, que faire?

Cohésion sociale menacée

Pour les différents intervenants, la menace future dépasse le cadre strictement militaire. Il s’agit de défendre la cohésion sociétale, l’identité nationale et le niveau de vie. C’est un défi permanent pour toutes les ressources de l’Etat. Les démocraties représentatives peinent à le relever, car les manipulations de l’expression populaire, le non-respect des décisions d’autorité et les préoccupations l’immédiates sont la règle. L’adaptation du métier du soldat et de policier est nécessaire pour faire face à ce nouvel environnement «anarchique». Comme les problèmes du soldat se confondent depuis toujours avec la vie des sociétés, il faut «redéfinir son rôle» en fonction de cette situation.

La vocation des armées et des forces de l’ordre doit être repensée dans le sens d’«un outil de pacification et de progrès». C’est pourquoi, le besoin d’hommes ou d’esprits neufs se fait sentir: un appel est lancé afin que «autorités politiques, autorités militaires, autorités de police travaillent ensemble pour résoudre les situations de crises, de guerres civiles, de guerres protéiformes, où la force armée, la diplomatie et la politique, l’écoute et la recherche de solutions sont des instruments pour conduire si ce n’est vers la paix, au moins vers d’avantage de sécurité. Cet enjeu exceptionnel est un défi complexe à relever, dont l’urgence est très pressante».

Abus de démocratie…

On ne peut s’empêcher de mettre en parallèle ce séminaire avec le rapport sur les extrémismes en Suisse, publié récemment par le Conseil Fédéral, qui criminalise la contestation et ses auteur-e-s tout en ne faisant pas grand cas du racisme blochérien et des tendances à stigmatiser la gauche de la part d’une droite protéiforme. Tout le mouvement de contestation contre les nouvelles formes d’impérialisme y est présenté comme un danger pour la pérennité de la société et la conservation de la prospérité. Il réussit même à affirmer que les «extrémistes» de gauche commettent des «abus de démocratie», alors que ces abus sont plutôt le fait des tenants de la manière forte et de la répression policière, de cette droite qui craint toujours de perdre son pouvoir absolu et son contrôle sur le peuple.

Le maître mot de ces hommes du «sérail», vêtus de costumes aux étoffes brillantes et coûteuses, c’est la «pacification» armée au service de la domination et de la contrainte étatique. Rien à voir bien sûr avec la «pacification» de la Hongrie par Moscou en 1956. Un air de famille cependant avec le maintien de l’ordre contre les grèves et les manifestations de masse de 68… relooké récemment pour réprimer le mouvement altermondialiste et anti-guerre, par ex. l’anti-G8. Et quelques prestigieux ancêtres à déterrer parmi les sabreurs des guerres coloniales, en Algérie, au Moyen-Orient, en Indochine… sur l’expérience desquels le séminaire de Pully invitait à réfléchir.

Il faut réagir

La «pacification», voilà un terme qui peut être apprêté à toutes les sauces et servir toutes les causes. Aujourd’hui, il fonctionne comme support pour justifier l’établissement de la «sécurité armée» intérieure. C’est bien une insulte aux êtres autonomes, autogérés, capables de résoudre leurs conflits pacifiquement et sans violence, car il sous-entend que la paix ne peut être réglée que par les armes. On en est toujours à la politique du gros bâton et de la peur pour éviter toute révolte. Ce rapport sur les extrémismes et ce séminaire sur la «pacification» sont à l’image d’une société construite sur des valeurs autoritaires, fondée sur le droit du plus fort et la domination sans partage d’une élite restreinte de privilégiés, sur l’accumulation de richesses et sur la position sociale qu’elles confèrent.

Il nous faut nous réveiller en sursaut et nous rendre compte des dangers de dérives liberticides et antidémocratiques dont des séminaires et des rapports comme ceux-ci sont symptomatiques. Nous devons protester contre de telles menées et les mettre en question en organisant piquets ou manifs chaque fois que les spécialistes de la répression se réunissent pour discuter de sujets qui concernent directement nos vies. Face à cette dérive sécuritaire, nous avons besoin d’actions plus concertées. Afin de coordonner nos actions, il serait nécessaire de former un «atelier de travail» pour dénoncer de tels colloques et rapports qui traitent de l’usage de la force, soi-disant pour «pacifier» les gens. Que tous ceux/celles qui trouvent que nous devons «faire quelque chose» s’annoncent!

Georges TAFELMACHER*

* Membre du GSsA-VD et du Comité Urgence Palestine-VD (Pully)