Mission «femmes» en Palestine: la survie, une forme de résistance

Mission «femmes» en Palestine: la survie, une forme de résistance

Neuf femmes, militantes des Femmes en noir et des Collectifs Urgence Palestine Vaud et Genève se sont rendues en Cisjordanie du 8 au 18 octobre 2004. Leur but était de rencontrer des femmes et de récolter des témoignages liés aux conséquences de l’occupation. La mission a l’intention de soutenir des projets spécifiques ce qui permettra de travailler avec les Palestiniennes sur les formes de lutte, en vue d’un combat commun, car nous avons face à nous une force qui utilise la guerre, l’oppression sociale, sexiste et politique qui vise à étouffer toute résistance. Pierrette Iselin, qui a participé à la mission s’est entretenue avec Raja Salman, militante du Palestinian Women Development Center de Tulkarem (Palestine).

Raja Salman née en 1957 est membre depuis trente ans du Comité Central du Parti Populaire Palestinien du district de Tulkarem (autrefois Parti Communiste). Elle a travaillé comme volontaire au PMRC (Palestinian Medical Relief) pendant deux ans. Elle a aussi participé à l’organisation du PARC dans le secteur agricole pour les femmes. Elle est membre du mouvement des femmes contre le mur de l’Apartheid et elle travaille comme coordinatrice dans le Centre Palestinien de Développement pour les femmes et coordinatrice du projet de folklore palestinien.

Elle est mariée, est mère de cinq fils, a suivi des études de médecine pendant cinq ans en Bulgarie, mais l’occupation l’a empêchée de les terminer.

L’interview complet peut être lu dans «Entre les lignes», revue spécialisée sur la question palestinienne. www.cupvd.ch/ell.htm (pi)

Pouvez-vous vous présenter?

Je travaille depuis 2002 dans le Centre à Tulkarem. Le Centre prévoit d’organiser les femmes qui sont de plus en plus enfermées à cause des clôtures et des fermetures autour de la ville. Je travaille comme bénévole, je m’occupe de la formation pour les jeunes filles pour la broderie. Je vais à la rencontre des femmes sans emploi, je les oriente et leur propose des formations. De plus, j’essaie de les motiver politiquement autour de la mobilisation contre le mur.

En quoi les femmes sont-elles touchées par le mur?

Les femmes sont deux fois emmurées: à cause des intrusions militaires israéliennes constantes, la femme a peur pour ses enfants. Elle essaie de les garder avec elle, dans un endroit de plus en plus restreint où les enfants ne peuvent pas s’épanouir ou sortir. Cela mène à des situations où la femme doit utiliser la violence pour réprimer les enfants. D’autre part, les femmes perdent leurs lopins de terre et leurs jardins. Elles ne peuvent plus se rendre sur leurs champs ce qui leur enlève leurs seuls moyens de subsistance et leur raison de vivre. Pour certaines d’entre elles, la destruction de leurs maisons trop proches du mur représente une conséquence supplémentaire de dépression et de découragement. Les femmes perdent ainsi leurs foyers et ne sont plus responsables de leur entourage, ce qui les conduit souvent au désespoir: Elles n’ont plus le droit à la vie.

Les femmes ont-elles participé à des manifestations contre le mur?

Les femmes sont très présentes dans les manifestations. Elles s’organisent dans toute la région et incitent les autres femmes à y aller. Les séances de préparation sont décentralisées dans les villages et tout est minutieusement prévu. Mais les dernières manifestations ont été parfois très dures et violentes et l’armée israélienne n’a pas hésité à lancer des bombes assourdissantes et des gaz lacrymogènes pour les dissuader. Cependant, la résistance continue et avec l’aide d’internationalistes, nous essayons de résister pour accompagner les familles ou les femmes seules à aller récolter leurs olives de l’autre côté de la barrière.

En quoi le nombre des femmes sans travail augmente-t-il?

Avec la construction du mur, les femmes ont de moins en moins de perspectives de travail. Les jeunes filles ne peuvent plus sortir pour aller terminer leurs études ou pour s’engager dans une autre ville. Depuis que le mur est érigé, les familles ne laissent plus sortir les jeunes filles pour ne pas les mettre en danger et que leur honneur soit sali. En effet, les soldats leur font subir des humiliations aux check-points ou les menacent physiquement et cela n’est pas supportable. Ici à Tulkarem, quasiment plus aucune femme ne trouve du travail. Avant, c’était encore dans les services, mais comme le tourisme a fortement diminué, cela n’est plus possible d’être engagée. Et s’il y a des places de travail disponibles, la priorité est donnée aux hommes. Il reste en effet l’idée encore largement répandue que ce sont les hommes qui en primeur ramènent l’argent à la maison. Le pourcentage de chômage qui s’élève à 60% pour les hommes est de plus de 80% pour les femmes. Ce chômage très important laisse les mains libres aux patrons pour empêcher toutes manifestations et revendications au sein des entreprises. Les femmes pourtant ont un haut niveau de qualification, il y a un énorme pourcentage de femmes qui ont fait des études supérieures: elles sont médecins, ingénieurs, dentistes, mais elles restent à la maison.

Les femmes font surtout des broderies, est-ce que cela ne les confine pas une fois de plus dans des activités purement féminines?

La broderie fait partie de notre culture. C’est là que les femmes sont les plus habiles et elles ont tous les moyens pour exercer leur art à la maison. Mais cette activité n’est pas unique et nous tentons toujours de la dépasser par de la formation. En plus, nous aidons les femmes seules qui possèdent des terres et nous formons des équipes qui leur viennent en aide.

Quels sont vos buts actuellement?

Actuellement nous avons l’intention de nous présenter aux prochaines élections municipales. Les élections devraient avoir lieu dans les mois qui viennent. Nous aimerions avoir un quota de 20% de femmes (jusqu’à 30% si c’est possible) . Mais les femmes ne connaissent pas leurs droits. Notre Centre les motive à aller se présenter, à développer une campagne électorale, à se faire connaître. C’est un travail harassant. Il faut constamment se battre et montrer l’importance de l’enjeu électoral.

Parmi les 88 membres du Conseil législatif palestinien, 5 sont des femmes.

En 1999, parmi les 3439 membres des conseils régionaux, seules 22 étaient des femmes. Source: The Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS), janvier 2002 (pi)

Y aura-t-il un changement en Palestine?

Nous croyons que ces élections devraient changer les choses. Nous avons à la base des revendications auxquelles nous tenons beaucoup, notamment sur la monogamie et contre les mariages forcés, ainsi que la légalité au travail. De plus nous sommes pour le multipartisme. S’il y avait plus de partis, il y aurait plus d’émulation et de surveillance sur la corruption. Un doute subsiste: les échéances électorales sont sans cesse renvoyées…

Quel message faut-il passer dans la solidarité?

Il faut beaucoup insister sur la question du mur et des murs qui se construisent partout: parler du traumatisme physique qui résulte de la construction du mur, parler des résistances civiques à l’intérieur de la société palestinienne et parler aussi des murs culturels et sociaux qui enferment les femmes autour de questions spécifiques à leur genre.

Entretien réalisé par Pierrette ISELIN