Le cri du peuple: la commune en image

Le cri du peuple: la commune en image

Jacques Tardi, à qui l’on doit notamment l’extraordinaire La guerre des tranchées, s’est lancé en 2001 dans l’adaptation en bande dessinée du roman libertaire de Jean Vautrin sur la Commune de Paris, Le cri du peuple*. Le projet devait tenir en trois tomes, mais Tardi a finalement décidé de consacrer à l’insoutenable répression des Versaillais durant la semaine sanglante un quatrième et dernier tome, qui vient de paraître.

C’est avec talent que Jacques Tardi a adapté à la bande dessinée le roman de Vautrin, qui fait revivre le Paris de 1871, avec ses espoirs, ses joies et ses amours, comme ses souffrances, ses désillusions et ses pleurs. Si l’œuvre romanesque de Vautrin et Tardi ne cache pas un parti pris tout à fait clair pour les insurgés du 18 mars, elle n’en demeure pas moins exemplaire dans son attachement à respecter les faits historiques.

Cet hommage au «petit peuple» met en scène toutes sortes de personnages fictifs, qui côtoient des figures historiques de la Commune, comme Vallès, Ferré, Varlin, Bergeret et, bien entendu, les généraux du «petit Foutriquet», alias Adolphe Thiers, président du Conseil. Ainsi, ce sont plusieurs destins croisés et autres petites histoires nées de l’imagination de Vautrin qui s’intègrent habillement au récit historique, donnant à ce polar, une dimension particulièrement touchante et haletante.

La République proclamée

Le premier tome «Les canons du 18 mars», sorti en 2001, traite des premiers jours de l’insurrection, lorsque le peuple de Paris s’empare des canons de Montmartre et que les soldats se rallient à la cause du peuple, forçant le gouvernement à s’enfuir à Versailles. Le pouvoir conservateur et monarchiste était renversé et le 28 mars, la République proclamée.

On croise au fil des pages l’institutrice Louise Michel, Jules Vallès ou encore le peintre Courbet, mais on découvre surtout les personnages centraux, pour la plupart librement imaginés, des différentes énigmes qui vont traverser l’ensemble du récit: le capitaine Tarpagnan, qui prend fait et cause pour l’insurrection à Montmartre et qui tombe amoureux de la belle Gabriella Pucci, alias Caf’Conc, prostituée tenue par La Joncaille, patron du gang de l’Ourcq, le notaire Horace Grondin qui veut venger la mort de sa fille dont il croit Tarpagnan responsable, ou encore le serrurier-cambrioleur Fil-de-fer…

Le désespoir s’installe peu à peu au cours du tome second, «L’espoir assassiné», qui met en scène la riposte des Versaillais qui commencent à attaquer pour de bon les insurgé-e-s. L’atmosphère devient lourde et, tandis que les fils de la sombre intrigue qui entoure la mort de la fille de Grondin commencent à se délier et que l’enquête sur le gang de l’Ourcq avance, on commence à pressentir la fin de la Commune…

Les tensions arrivent à leur paroxysme dans le troisième tome, «Les heures sanglantes». Les troupes versaillaises avancent sur Paris et les batailles s’intensifient. La fin de la Commune est proche et la conscience parmi les insurgés que cette fin sera des plus brutales se répand, sans pour autant altérer la ferveur avec laquelle ils entendent défendre leur république. Le dessin de Tardi illustre admirablement bien le désordre régnant à Paris, entre le 20 et le 24 mai 1871, comme la désorganisation des communards, qui leur sera fatale face à la barbarie des forces réactionnaires, tandis que les héros de ce récit continuent à affronter leurs destins respectifs…

Paris à feu et à sang

«Le Testament des ruines», quatrième et dernier tome du Cri du peuple, débute le mercredi 24 mai 1871 à 3 heures du matin, dans un Paris à feu et à sang, pour se terminer avec la mort de la Commune quatre jours plus tard. Quatre jours durant lesquels les intrigues entre les différents protagonistes se délient pour arriver à leur fin et quatre-vingts pages pour plonger le lecteur dans l’horreur et la cruauté la plus bestiale…

Le cri du peuple est incontestablement un des grands chefs-d’œuvre de Tardi. Personne d’autre n’aurait sans doute pu restituer aussi bien que lui le climat obscur et sombre de cette période trouble. Ses somptueuses planches nous plongent dans l’atmosphère de ces neuf semaines de luttes, de rêves et d’utopies portées par ce petit peuple gouailleur de Paris. Et quand bien même la Commune a été brutalement écrasée, Le cri du peuple nous rappelle avec talent que ses idéaux ne sont pas morts avec elle.

Erik GROBET

* Tardi, Le cri du peuple, quatre tomes, Casterman, 2001, 2002, 2003, 2004.